"Le Règne de la quantité et les signes des temps" - extrait

Ce dont nous voulons parler, c’est le caractère plus particulièrement extravagant que revêtent les représentations dont il s’agit quand elles sont transportées dans un domaine autre que celui auquel elles étaient primitivement destinées à s’appliquer ; c’est de là que dérivent, en effet, la plupart des fantasmagories de ce que nous avons appelé le « néo-spiritualisme » sous ses différentes formes, et ce sont précisément ces emprunts à des conceptions relevant essentiellement de l’ordre sensible qui expliquent cette sorte de « matérialisation » du suprasensible qui constitue un de leurs traits les plus généraux [1]. Sans chercher pour le moment à déterminer plus exactement la nature et la qualité du suprasensible auquel on a effectivement affaire ici, il n’est pas inutile de remarquer à quel point ceux mêmes qui l’admettent encore et qui pensent en constater l’action sont, au fond, pénétrés de l’influence matérialiste : s’ils ne nient pas toute réalité extracorporelle comme la majorité de leurs contemporains, c’est parce qu’ils s’en font une idée qui leur permet de la ramener en quelque sorte au type des choses sensibles, ce qui assurément ne vaut guère mieux. On ne saurait d’ailleurs s’en étonner quand on voit combien toutes les écoles occultistes, théosophistes et autres de ce genre, aiment à chercher constamment des points de rapprochement avec les théories scientifiques modernes, dont elles s’inspirent même souvent plus directement qu’elles ne veulent bien le dire ; le résultat n’est en somme que ce qu’il doit être logiquement dans de telles conditions ; et on pourrait même remarquer que, du fait des variations successives de ces théories scientifiques, la similitude des conceptions de telle école avec telle théorie spéciale permettrait en quelque sorte de « dater » cette école en l’absence de tout renseignement plus précis sur son histoire et sur ses origines.

Cet état de choses a commencé dès que l’étude et le maniement de certaines influences psychiques sont, si l’on peut s’exprimer ainsi, tombés dans le domaine profane, ce qui marque en quelque sorte le début de la phase plus proprement « dissolvante » de la déviation moderne ; et l’on peut en somme le faire remonter au XVIIIe siècle, de sorte qu’il se trouve être exactement contemporain du matérialisme lui-même, ce qui montre bien que ces deux choses, contraires en apparence seulement, devaient s’accompagner en fait ; il ne semble pas que des faits similaires se soient produits antérieurement, sans doute parce que la déviation n’avait pas encore atteint le degré de développement qui devait les rendre possibles.

[...] occultisme et science moderne tendent de plus en plus à se rejoindre à mesure que la « désintégration » s’avance peu à peu, parce que tous deux s’y acheminent par des voies différentes.

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[1] C’est surtout dans le spiritisme que les représentations de ce genre se présentent sous les formes les plus grossières, et nous avons eu l’occasion d’en donner de nombreux exemples dans L’Erreur spirite.

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