Si Roland, Guillaume de Gellone et Jeanne d'Arc exercèrent partiellement
la fonction de Perceval, son « incarnation » historique la plus complète ne fut
autre que Bertrand du Guesclin, dont certaines particularités biographiques
laissent d'ailleurs présager cette dignité. Nul n'ignore l'agressive laideur du
futur connétable de France, qui, dès sa naissance, horrifia sa mère, la belle
et blonde Jeanne de Malemains, d'origine normande et épouse d'un chevalier
breton sans fortune, Robert du Guesclin. On sait moins, peut-être, que Jeanne
déplorait particulièrement le teint foncé
de son enfant, évocateur pour nous de ces « têtes noires » dont nous avons,
grâce à Guénon, décrypté le sens. Analogie renforcée par une légende (fausse si
on la prend ad litteram, mais très
symbolique) faisant descendre les Du Guesclin du roi sarrasin de Bougie, Aquin,
compagnon de cet Abd-el-Rahman que Charles Martel vainquit à Poitiers en 732.
Aquin, fuyant les armées carolingiennes, se serait installé près de Saint-Malo,
très précisément sur le rocher de Glay, entre Cancale et la pointe du Grouin,
où les ruines de sa forteresse se voyaient encore au XIXe siècle. [1] Après
trente ans de règne, il avait rembarqué précipitamment en apprenant la venue de
Charlemagne, abandonnant dans sa fuite un enfant que l'empereur recueillit et
fit baptiser sous le nom de « Glay Aquin », qui au fil des ans et des déformations
des copistes serait finalement devenu Du Guesclin...
[…]
Le 10 juillet, Bertrand rendait son âme à Dieu, en confiant
dans ses ultimes paroles le « cœur » de sa mission : « Ah, douce
France mon amie, je te laisse bien brièvement. »
Grâce à lui, et pour s'en tenir à la seule histoire visible,
la France avait presque totalement effacé les conséquences du traité de
Brétigny. Seuls Calais, Bordeaux, Bayonne et leurs environs restaient soumis
aux Plantagenêts ; mais il est vrai que si Bertrand n'était pas mort si tôt,
Jeanne d'Arc, comme le souligne Micheline Dupuy [15], « n'aurait peut-être
jamais eu l'occasion de rencontrer un seul Anglais »... Jeanne d'Arc, la
dernière et virginale incarnation de Perceval, qui acheva la tâche. Jeanne dont
la mission, comme celle de Du Guesclin, lui avait été désignée dès son enfance.
Mais au fait : dans la légende, le fils de Perceval, Loherangrin ou
Lohengrin, le Chevalier au Cygne, n'est autre que le Lorrain Garin... sous
l'armure duquel chevaucha la Pucelle.
Et de même que Du Guesclin avait été plus particulièrement
chargé de la « voie » graalique reliant la France de l'Ouest (spécialement
depuis le Mont-Saint-Michel) au Razès, Jeanne eut à s'occuper d'un très antique
chemin menant d'Est en Ouest, parallèle au chemin de Saint-Jacques et s'y
substituant en quelque sorte pour la France [16]. Il joint le mont
Sainte-Odile, en Alsace, à l'extrême pointe du Finistère, en suivant très
exactement le parallèle 48° 27’. Les principales étapes en ont été mises au
jour par Louis Charpentier et Denis Boudaille [17], à commencer bien sûr par ce
mont Sainte-Odile entouré d'une enceinte cyclopéenne sans doute néolithique.
Puis le chemin passe par le Champ du feu et la Pierre piquée, Raon l'Étape (qui
tire son nom d'un très ancien pèlerinage préchrétien, et où l'on trouve, à
proximité, une « Pierre d'appel »). Ensuite vient Sion, la « colline inspirée »
près de laquelle les invasions germaniques ont laissé un mont de Wotan (Wotan mons), devenu Vaudémont. Puis —
bien sûr ! — Domrémy et son Bois-Chenu peuplé de fées, non loin d'un
Vaudeville également consacré à Wotan, et encore Joinville, cher au duc de
Guise et dédié par les Romains à Jupiter, la forêt de Fontainebleau ou Fontaine
de Belen, et Chartres, où, lous le verrons, on croise un autre axe. Le chemin
passe ensuite à Bellême, Alençon, Saint-Fraimbault-de-Lassay [18] et Pontmain,
où la Vierge, le 17 janvier 1871, delivra
un message de salut pour la fin du cycle. Après la forêt de Fougères et ses
nombreux monuments mégalithiques, la « voie sacrée » retrouve près de Bazouges
un menhir de jalonnement, passe ensuite sur l'emplacement d'une église ronde
nommée le Temple, près d'énormes mégalithes brisés. Plus loin encore, le
parallèle rencontre les rochers du Cragou (peut-être une forme altérée de
Gargan), avant de s'enfoncer dans les monts d'Arrée, d'atteindre la ria de
l'Elorn vers Landerneau, et de pénétrer dans le pays de Léon.
Or, comme le souligne encore pertinemment L. Charpentier :
« A ces monts d'Arrée correspondent, dans la région de Galice où se termine le
Chemin des Étoiles, les monts Aro,
qui se trouvent légendairement liés, comme le mont Ararat du Caucase, à l'atterrissage de Noé après le cataclysme du
déluge. » Louis Charpentier remarque non moins judicieusement que le chemin de
Compostelle se situe près du 42e degré, celui d'Armorique près du 48e, celui de
Cornouailles près du 51e, et il se demande si ces chemins vers l'océan ne se
seraient pas étagés de trois en trois degrés : « Il nous manquerait alors le
45e pour retrouver la progression rationnelle de 42-45-48-51. Or le 45e passe
par Le Puy-en-Velay qui a, depuis des
temps immémoriaux, vocation de pèlerinage, au même titre que Glastonbury,
Chartres et Saint-Jacques.
« Un tel parallèle passerait à Lascaux, non loin des Eyzies,
et aboutirait vers Lugon-Libourne et,
dans les temps préhistoriques, avant que les alluvions n'eussent créé
l'estuaire, dans la ria que devait constituer la Dordogne. »
Le Puy s'impose décidément comme un haut lieu, et d'ores et
déjà, ce « parallèle secret » que nous venons de mettre au jour grâce à Louis
Charpentier, complète le « méridien caché » régi par El-Khidr. En outre, une
double constatation s'impose : si le parallèle 48° 27' est jalonné de sommets
et de monuments mégalithiques, le 45e parallèle est caractérisé quant à lui par
des grottes, ce qui reconstitue ainsi à l'échelle de la géographie sacrée
française le complémentarisme symbolique de la montagne et de la caverne. Et
que la cité du Puy se situe précisément sur ce dernier axe lui confère un
statut « agartthique » qu’il conviendra de retenir.
Enfin, grâce à saint Martin, nous pouvons désigner Amiens,
sur le méridien de Paris, comme la pointe d’un triangle dont la base serait
justement ce 45e parallèle. Et Rennes-le-Château représentera alors
la pointe d’un triangle inversé (symbole du cœur et de la coupe du Graal) dont
la base n'est autre que le parallèle 48° 27'… Ceci nous donnant bien sûr l’exacte
figure d'un sceau de Salomon géant posé sur la France, véritable signature de
sa fonction eschatologique.
Notre Queste du Graal se déploie donc avec une égale
précision dans les deux dimensions de l'espace et du temps — l'armée 1328, nous
l’avons dit et répété, constituant pour le symbolisme temporel un repère
capital, puisqu'elle vit le transfert du Graal pyrénéen dans le centre portugais
islamo-chrétien de « Sarras ». Le transfert ultérieur de ce même
Graal dans le royaume du prêtre Jean, en Inde; autrement dit dans le Centre
suprême, correspondra à une autre date cruciale, beaucoup plus connue et sur
laquelle Guénon a insisté : 1648. L'année des traités de Westphalie qui
dépecèrent le Saint-Empire, et du retrait des derniers Rose-Croix en Orient,
accompagnant le Graal.
Il est permis ici — est même recommandé — de méditer sur le « rapprochement » établi par Guénon dans Le Roi du Monde entre le lapsit exillis de Wolfram, c'est-à-dire
notre pierre noire du Razès, et la pierre noire oraculaire dont parie Ferdinand
Ossendowski dans Bêtes, Hommes et Dieux,
l'énigme du Roi du Monde [19]. Celle-ci aurait été « envoyée jadis par
le "Roi du Monde" au Dalaï-Lama, puis transportée à Ourga, en
Mongolie », où elle disparut il y a environ cent ans. (A l'époque où Guénon
écrivait.) Or, voici ce que le Maître ajoute dans une note comme toujours fort
suggestive :
« II y aurait aussi un rapprochement curieux à faire avec le lapsit exillis, pierre tombée du ciel
et sur laquelle des inscriptions apparaissaient également en certaines
circonstances, qui est identifiée au Graal dans la version de Wolfram
d'Eschenbach. Ce qui rend la chose encore plus singulière, c'est que, d'après
cette même version, le Graal fut finalement transporté dans le "royaume du
prêtre Jean", que certains ont voulu précisément assimiler à la Mongolie,
bien que d'ailleurs aucune localisation géographique ne puisse ici être
acceptée littéralement [...]. »
On en déduira que la disparition de la pierre d'Ourga
précédait sa… réapparition dans le Razès, qui eut lieu très précisément le 15
novembre 1886, soit le jour même de la naissance à Blois de René Guénon. (On
pourra voir là aussi une explication supplémentaire des relations que Saint
Louis, le « roi du Graal », entretint avec les Mongols...)
Et lorsque le temps de la synthèse ultime sera venu, lorsque
sera rassemblé ce qui était épars, lorsque le Centre suprême, Terre sainte et
royaume du Graal ne feront plus qu'un, se manifestera la fonction eschatologique
du Saint Vaissel évoquée par Guénon [20] quand il écrit, à propos de
l'assimilation verbale du vase (grasale)
et du livre (gradale ou graduale), que les deux sens se trouvent
étroitement rapprochés dans la légende du Graal, « car le livre devient alors
une inscription tracée par le Christ ou par un ange sur la coupe elle-même.
Nous n'entendons actuellement [c'est
nous qui soulignons] tirer de là aucune conclusion, bien qu'il y ait des
rapprochements faciles à faire avec le "Livre de Vie" et avec
certains éléments du symbolisme apocalyptique. »
________________________________
[1] Cf. Micheline Dupuy, Du
Guesclin, Capitaine d'aventure, Connétable de France, Librairie Académique
Perrin, 1977. Livre auquel nous devons beaucoup pour les aspects historiques de
la carrière de Bertrand.
[15] Op. Cit.
[16] De même qu'existe en Angleterre, « un tracé qui, des
environs de Douvres, mène jusqu'aux confins de la côte atlantique, exactement
dans une ria de la côte nord de Cornouailles ». (Louis Charpentier, Les Jacques et le mystère de Compostelle,
éd. Robert Laffont , 1971. )
[17] Op. cit.
[18] « Fraimbault de Lassay » (Frambaldus de Laciac [ou
Laceo]) et « Lancelot du Lac » possèdent la même signification... (Cf. Réjane
Molina, op. cit.)
[19] Plon, 1924.
[20] Aperçus sur l’Esotérisme
chrétien, chap. IX, « Le Sacré-Cœur et la légende du Saint Graal ».
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