Nous n'avons pas oublié que la
naissance de René Guénon coïncida exactement avec le retour de
l'influence « isiaque » dans le Razès — ce qui permet déjà
d'envisager sa mort en Égypte comme une sorte de compensation
sacrificielle, reflétant d'ailleurs l'ensemble d'une existence vouée
certes à l'enseignement, mais aussi, mais surtout, au combat contre
les puissances infernales pour lesquelles l'Égypte, justement, est
le passage obligé.
René Guénon est originaire de Blois,
antique cité de Belen, l'Apollon gaulois, et promise par
d'inquiétantes prédictions aux fastes captieux accompagnants la
geste du Grand Monarque ou Roi de Blois nostradamique, étroitement
associé à la face obscure des mystères du Razès. Sa naissance est
donc symboliquement marquée par l'ambivalence de cette mission
spirituelle de la France dont, par-delà les reniements passés et
futurs, il atteste secrètement l'assomption ultime, mais non point
le couronnement...
Signe de contradiction posé au
crépuscule d'un cycle d'humanité, son œuvre adamantine réaffirme
dans tous les domaines les exigences pérennes de la Tradition, et
juge par là même une époque en complète déréliction, oublieuse
de l'« unique nécessaire ».
Que ce métaphysicien s'affirmât
irréductible aux critères en usage dans le monde intellectuel, n'en
rendit que plus dérangeantes ses démonstrations implacablement
logiques, formulées en une langue rigoureuse et dense, et dont la
compréhension impliquait que l'orthodoxie doctrinale retrouvée
s'accompagnât pour le lecteur d'une orthopraxie rituelle. Cet appel
à la totalité de l'être — et non pas au seul mental — explique
en partie la vigueur des réactions suscitées, qu'elles fussent
d'adhésion ou de rejet.
Autour de l'œuvre, une certaine
conspiration du silence a désormais fait place à une pléthore
exégétique plus inconsciemment perverse, qui risque d'en obscurcir
la fulguration et d'en diluer dans l'air du temps les exhortations
irréfragables. Ainsi a-t-on vu apparaître ces dernières années,
dans tels numéros spéciaux de revues « littéraires », un
« guénonisme mondain » désinvolte et bavard, regroupant
littérateurs et artistes à la mode, anciens gauchistes repentis,
universitaires enhardis, enfin délivrés de leur autocensure,
représentants des médias, etc., chacun voulant dire son mot,
enrichir le débat de sa « sensibilité » propre, de son «
approche » personnelle... Ce n'est pas — soyons équitable —
qu'en dehors des horripilantes coquetteries, des bavardages
insipides, on ne rencontre des témoignages excellents, profonds, qui
inspirent le respect. Mais l'ensemble dégage bien cette impression
désagréable de miroir brisé où se reflète, étincelante parfois,
déformée ailleurs, souvent méconnaissable, une œuvre dont
l'auteur se voulait pourtant « Serviteur de l'Unique ». Elle s'en
trouve ainsi désamorcée, dépouillée de son caractère subversif à
l'égard du désordre établi et de la ci-devant idéologie
dominante, qui semble vouloir — fût-ce en utilisant ceux-là même
qui s'en croient libérés — compromettre et entraîner dans sa
chute ses plus farouches adversaires. Episode hélas significatif de
l’implosion de sens qui caractérise cette fin de siècle.
Guénon, nous sommes au regret de le
proclamer, n'est pas un « penseur » de bonne compagnie,
fondateur d'un courant qui s'intitulerait pour suivre la mode « le
nouvel ésotérisme » ! On n'en fera jamais même à titre posthume,
un commensal de l'intelligentsia dans les dîners parisiens. Il a en
effet défié le siècle et son œuvre porte en filigrane la trace de
sa lutte avec la contre-initiation qui pressentait en lui un
irréductible adversaire, apparu de surcroît en un lieu stratégique
de l'échiquier où se joue le jeu divin. Au-delà de ses mises en
garde contre le Grand Monarque, premier protagoniste de la Grande
Parodie et incarnation de la France des ténèbres, il faut en effet
accorder valeur de signe au fait que Guénon soit né français, ce
qui conditionnait le mode d'expression de son œuvre et désignait le
peuple auquel elle s'adressait d'abord. Son départ pour Le Caire en
1930 —après qu'il fut parvenu au terme- des petits mystères —
et son « islamisation » subséquente, autorisée par son état
de Rose-Croix effectif, n'infirment nullement ce postulat ; car s'il
finit ses jours en Égypte, dont il adopta la tradition et les mœurs,
redisons-le, comme jadis les Rose-Croix en pays étranger, la raison
en est purement « fonctionnelle ». Ainsi l'exigeaient les
nécessités de son combat.
Cette fonction, Guénon l'a lui-même définie de façon lapidaire, en rendant compte dans Le Voile d'Isis de janvier 1933 [1] d'un numéro de la Revue Internationale des Sociétés Secrètes. Après avoir évoqué quelques individualités relevant consciemment ou non de la contre-initiation, il concluait ainsi : « [...] et, pour surveiller le chemin qui mène des uns aux autres, le "point géométrique" où nous nous trouvons (mettons que ce soit, si l'on veut, le sommet d'une Pyramide) est particulièrement bien situé ! Faut-il préciser que, sur ce chemin, nous avons relevé les traces d'un "âne rouge" et celles... du Dragon de l'Élue [2] ? »
Ce sommet de la pyramide est à
plusieurs titres révélateur. D'abord, c'est là, d'une façon
générale, que se tient symboliquement tout prophète. Ensuite, nous
avons vu combien Guénon, à propos du sceau des États-Unis,
soulignait le pseudo-symbolisme de la pyramide tronquée (signe
d'incomplétude à l'image de la Grande Pyramide de Chéops), que
venait coiffer, par-delà un cercle de nuages (ou un brouillard
contre-initiatique...) un singulier pyramidion, qui prétendait en
somme détourner au profit de l'« impérialisme américain » une
fonction eschatologique qui revenait à la France et dont le «
couronnement » est d'ores et déjà figuré par cette pyramide
naturelle et non tronquée qu'est le mont Aiguille dauphinois. Et
comme rien ne saurait être indifférent dans l'existence d'un
prophète légiférant mineur, nous soulignerons la singulière
cohérence de ces quelques faits : immédiatement avant son
départ pour l'Égypte, facilité sur le plan matériel par Mme Dina,
veuve d'un Egyptien, Guénon se rendit en compagnie de cette
dernière en Savoie [3]... C'était là signifier par anticipation
cet échange « sacrificiel » (à l'image de celui de Saint Louis)
par lequel Guénon, en achevant sa vie à l’ombre de la Grande
Pyramide, permettait à la France — nouvelle Terre sainte — de
recevoir l'héritage le plus ésotérique d'El Kimya, de même que
les Hébreux, en quittant cette dernière, avaient jadis emporté
dans leur marche vers la Terre promise un dépôt indispensable,
figuré par des vases (...graaliques) d'or et d'argent.
Il nous reste à préciser que l'«
incomplétude » de la Grande Pyramide renvoie directement à
l'héritage hermétique, dont nous avons vu qu'il ne constituait pas,
justement, une forme traditionnelle intégrale. Or, dans le «
Tombeau d'Hermès [4] », Guénon rapportait une légende selon
laquelle « la Grande Pyramide serait le tombeau de Seyidna Idris,
autrement dit du prophète Hénoch », tandis que la deuxième
pyramide serait celui de son maître. Comme l'écrit encore Guénon,
cette légende du tombeau ne peut manifestement pas être prise à la
lettre puisque Hénoch fut enlevé vivant au Ciel. De fait, on
précise que « ce n'est pas le corps d'Idris qui fut enterré dans
la Pyramide, mais sa science ; et, par-là, certains comprennent
qu'il s'agit de ses livres ; mais quelle vraisemblance y a-t-il à ce
que des livres aient été enfouis ainsi purement et simplement, et
quel intérêt cela aurait-il pu présenter à un point quelconque
[5] ? Il serait beaucoup plus plausible, assurément, que le
contenu de ces livres ait été gravé en caractères hiéroglyphiques
à l'intérieur du monument ; mais malheureusement pour une telle
supposition, il ne se trouve précisément dans la Grande Pyramide ni
inscriptions ni figurations symboliques d'aucune sorte [...]. Alors,
il ne reste plus qu'une seule hypothèse acceptable : c'est que
la science d'Idris est bien vraiment cachée dans la Pyramide, mais
parce qu'elle se trouve incluse dans sa structure même, dans sa
disposition extérieure et intérieure et dans ses proportions […]
Cette interprétation, précise encore
le Maître, s'accorde d'ailleurs avec une autre tradition arabe, qui
attribue la construction des Pyramides au roi antédiluvien Surid,
qui, averti par un songe de l'imminence du déluge, « les fit
édifier selon le plan des sages, et ordonna aux prêtres d'y déposer
les secrets de leurs sciences et les préceptes de leur sagesse. Or
on sait qu'Hénoch ou Idris, antédiluvien lui aussi, s'identifie à
Hermès ou Thoth, qui représente la source de laquelle le sacerdoce
égyptien tenait ses connaissances, puis, par extension, ce sacerdoce
lui-même en tant que continuateur de la même fonction
d'enseignement traditionnel ; c'est donc bien toujours la même
science sacrée qui, de cette façon encore, aurait été déposée
dans les Pyramides. »
Nous savons d’autre part que depuis
l’époque alexandrine, le nom d’hermétisme ne désigne plus la
science sacerdotale mais une connaissance seulement cosmologique.
Cette « amputation » ne serait-elle pas symbolisée précisément
par l'absence du pyramidion de la Grande Pyramide - dont Guénon
semble indiquer qu'il a disparu à une certaine époque, alors que
les commentateurs occultisants prétendaient que la Pyramide n'aurait
jamais été achevée : « le sommet manque en effet, mais tout ce
qu'on peut dire de sûr à cet égard, c'est que les plus anciens
auteurs dont on ait le témoignage, et qui sont encore relativement
récents, l'ont toujours vue tronquée comme elle l'est aujourd'hui.
»
S'agissant des prétentions illégitimes
d'un hermétisme dévié révolté contre l'autorité spirituelle, on
conviendra que cette précision « historico-symbolique » n'est pas
dépourvue d'importance ! Et si Guénon s'est montré plus que
réservé à l'égard des spéculations essentiellement
anglo-saxonnes relatives à ce pyramidion manquant, n'est-ce pas
justement à cause de l'appropriation tout aussi illégitime du
symbolisme évoqué plus haut, et alors que rien encore ne pouvait
être dit, en contrepartie, du rôle de la France ? De même, si
Guénon souligne que les chercheurs modernes se sont « hypnotisés »
sur la Grande Pyramide (l'idée qu'elle diffère essentiellement des
deux autres semblant très récente), n'est-ce pas parce que, en sa
qualité de « Tombeau d'Hermès », et compte tenu du rôle majeur
de l'hermétisme dévié dans la Subversion moderne, elle constituait
une « cible » privilégiée ?
Quant au lien direct entre le
sacerdoce égyptien et cette fonction de la France désignée par le
symbolisme du mont Aiguille dauphinois, il est bien sûr établi par
le Thébain saint Maurice à la tête noire, dont on
n'a oublié ni la haute fonction, ni le domaine géographique plus
particulier dans lequel il l'exerce... Il y avait donc toutes les
raisons pour que Guénon, avant son départ pour l'Égypte, vînt
faire ce « pèlerinage » alpestre.
Cela dit, voyons, toujours grâce à
Guénon, qui était ce « maître d'Idris » dont la deuxième
Pyramide est censément le tombeau : « [...] il ne peut avoir été
autre que Seyidna Shîth, c'est-à-dire Seth, fils d'Adam ; il est
vrai que d'anciens auteurs arabes le désignent par les noms,
étranges en apparence, d' Aghatîmûn et d' Adhîmûn
; mais ces noms ne sont visiblement que des déformations du grec
Agathodaimôn, qui, se rapportant au symbolisme du serpent
envisagé sous son aspect bénéfique, s'applique parfaitement à
Seth, ainsi que nous l'avons expliqué en une autre occasion [6]. La
connexion particulière qui est établie entre Seth et Hénoch est
encore très remarquable, d'autant plus que l'un et l'autre sont
aussi mis en rapport, d'autre part, avec certaines traditions
concernant un retour à l’« état primordial », et par suite avec
un symbolisme « polaire » qui n'est pas sans avoir quelque lien
avec l'orientation des pyramides [...]. » (Tout comme avec celle du
mont Aiguille, « pôle de l'écliptique »...)
Il reste maintenant à envisager le cas
de la troisième Pyramide, qui, suggère Guénon, pourrait bien avoir
un rapport avec Adam, car « il serait, somme toute, assez logique de
supposer qu'elle doive compléter le ternaire des grands prophètes
antédiluviens [...] ».
Si l'on se reporte, encore une fois, à
la géographie sacrée française et spécialement à son « axe »
essentiel, on pourra sans doute identifier la « Pyramide de Seth »
au Dauphiné (et à l'Islam), la « Pyramide d'Hermès » à la
Provence (et au christianisme), et la « Pyramide d'Adam » au Razès
(et au judaïsme « primordialité » oblige...). Ce qui correspond
parfaitement à la fonction de la tradition égyptienne qui, nous
l'avons vu, apparaît en « surimpression » sur notre axe sacré.
L'analogie est d'autant plus remarquable que dans le Razès, la
pierre noire isiaque est en relation avec le « Tombeau d'Adam »
et la « Caverne des Trésors ». De même en Provence, Sara
l'Égyptienne intervient dans le contexte spécifiquement hermétique
du « vaisseau du salut ». Quant à saint Maurice le Thébain à
la tête noire, son assimilation à un Maure renvoie très
explicitement à l'Islam.
Mais pour en revenir à Hermès, il
semble donner lieu par l'intermédiaire de la tradition islamique à
une acception plus spécifique de cette « tripartition » - qui est
d'ailleurs comme tout symbole, susceptible d'une pluralité de sens.
Guénon souligne en effet qu'en arabe, il est appelé El-muthalleth
bil-hikam, « littéralement "triple par la sagesse"
[...], ce qui équivaut à l'épithète grecque Trismegistos,
tout en étant plus explicite, car la "grandeur" qu'exprime
cette dernière n'est, au fond, que la conséquence de la sagesse qui
est l'attribut propre d'Hermès [7]. Cette "triplicité" a
d'ailleurs encore une autre signification, car elle se trouve parfois
développée sous la forme de trois Hermès distincts ; le premier,
appelé "Hermès des Hermès» (Hermès El-Harâmesah),
et considéré comme antédiluvien, est celui qui s'identifie
proprement a Seyidna Idris ; les deux autres, qui seraient
postdiluviens, sont l'Hermès Babylonien" (El-Bâbeli) et
l’"Hermès Egyptien" (El-Miçrî) ; ceci parait indiquer
assez nettement que les deux traditions chaldéenne et égyptienne
auraient été dérivées directement d'une seule et même source
principale, laquelle, étant donné le caractère antédiluvien qui
lui est reconnu, ne peut guère être autre que la tradition
atlantéenne. » Et Guénon ajoute en note que l'on pourrait «
conclure de l'ordre d'énumération des trois Hermès, pour autant
qu'il semble avoir quelque signification chronologique, à une
certaine antériorité de la tradition chaldéenne par rapport à la
tradition égyptienne. » Enfin, dans un compte rendu d'un livre
d'Enel [8], Guénon précise que la différence de ces deux formes
traditionnelles « fut probablement déterminée surtout par la
rencontre avec d'autres courants, l'un venant du Sud pour l'Égypte,
et l'autre du Nord pour la Chaldée. » Ces origines respectives
pourraient bien constituer la raison profonde du caractère presque
exclusivement « hermétique » de l'héritage égyptien, et de la
nécessité corrélative d'une intervention proprement sacerdotale —
fonction qui put être partiellement dévolue à la tradition
hébraïque qui, comme le rappelle encore Guénon, « est
essentiellement "abrahamique", donc d'origine chaldéenne
[…] Cette accentuation « fonctionnelle » de la tradition
égyptienne sur les sciences intermédiaires explique également,
dans une phase de dégénérescence, le danger extrême présenté
par l'héritage atlantéen, dont on peut dire en somme que l'Égypte,
en cette fin de cycle, représente la quintessence maléfique.
Cette origine atlantéenne peut en
outre donner lieu à des considérations intéressantes, dans le
domaine de la géographie sacrée. On n'a pas manqué de rapprocher
les pyramides égyptiennes des pyramides mexicaines, édifiées par
les Toltèques originaires de Tula et donc, comme l'on sait
déjà, de l'Atlantide. Or il se trouve qu'à Teotihuacan, au
nord-est de Mexico, la pyramide dite « du soleil » a la même base
que la Pyramide de Chéops, et que les deux édifices possèdent
semblablement, à la verticale de leur pointe, une « chambre » qui
reconstitue bien sûr le symbolisme de la montagne et de la caverne,
ce qui, à l'échelle du microcosme français, se traduit entre
autres par la présence de la grotte du Razès (résidence d'Isis
pour son aspect bénéfique, et « contre-Agartha » pour son côté
ténébreux) sous le « pyramidion » dauphinois concrétisé par le
mont Aiguille.
Mais pénétrons dans la « Chambre du
Roi » de la Grande Pyramide, en compagnie, par exemple, de ce
khalife El-Mamûn, mentionné par Guénon, qui au IXe siècle fit
ouvrir la Pyramide et, selon une tradition citée par Gérard de
Nerval, découvrit un coq d’or rouges, automate qui se mit à
battre des ailes, et un vase clos rempli de sang frais — dont le
caractère alchimique ou « subtil » ne faisait pas de doute puisque
son poids ne variait pas, qu'il fût plein ou qu'il fût vide.
Certains occultistes mirent cette découverte en rapport avec ce «
rayon vert » qui les occupe tant : énergie cosmique,
quintessence de la vie, agissant, à travers l'éther, sur le sang,
qui en constituerait en quelque sorte la matérialisation. Dans le
cas de la Grande Pyramide, cette matérialisation correspondrait
seulement, en tout état de cause, à une modalité « tangible » du
corps subtil.
Il se trouve en outre que Chaumery et
de Belizal, « inventeurs » il y a un demi-siècle de ces ondes de
formes qui ont donné naissance à une « super-radiesthésie »
beaucoup plus dangereuse encore que celle dont Guénon avait dénoncé
les méfaits, ont cru pouvoir distinguer des ondes ultra-courtes
relevant du « vert négatif » et censément engendrées par la
réfraction « tellurique » de cette énergie qui, sous son aspect
cosmique et positif, s'identifierait au « rayon vert » proprement
dit.
Dépouillé de sa gangue «
scientiste », ceci, symboliquement, nous renvoie aux deux
méridiens « verts » (l'un positif l'autre négatif en effet !) que
nous connaissons bien désormais, et qui « encadrent» invisiblement
(gage de leur « subtilité ») le très officiel méridien de Paris
— cette « Rose-Ligne » ou ligne rouge de l'arcanne
représentée par le fil de cuivre rouge de Saint-Sulpice — qui,
dans cette thématique, constitue bien la « matérialisation » des
deux autres, dont il condense d'ailleurs les deux aspects opposés en
se dédoublant lui-même en un « méridien d'Église » et un «
méridien d'État »...
Que le vase ait été trouvé dans la
pyramide correspondant au « Tombeau d'Hermès », apparaît logique
à tous égards puisque, dans l'une des acceptions de ce symbolisme,
elle est associée à la Provence... et donc à la coupe du
Graal, qui est encore le vaisseau alchimique. Et comme il est
dit d'autre part que le fameux rayon vert symboliserait la
quintessence des énergies cosmiques se manifestant du cœur du
Zodiaque, la forme spécifique revêtue en Provence par le symbolisme
graalique semble là encore singulièrement appropriée, puisqu'il
s'agit précisément de ce Zodiaque auquel s'identifie la Table
Ronde, et qui est figuré par les représentations géantes des
Gorges du Verdon. Quant au fait que le sang frais du vase hermétique
corresponde à une modalité tangible du corps subtil ou corps de
gloire, rien d'étonnant encore puisque la Provence est vouée à la
Résurrection ! Sa relation avec le christianisme, enfin, va donner
lieu, toujours grâce à Guénon [9], à une importante exégèse :
« […] dans la tradition islamique, Seyidna Idris est identifié à la fois « à Hermès et à Hénoch ; cette double assimilation semble indiquer une continuité de tradition qui remonterait au-delà du sacerdoce égyptien, celui-ci ayant dû seulement recueillir l'héritage de ce que représente Hénoch, qui se rapporte manifestement à une époque antérieure [...]. En même temps, les sciences attribuées à Seyidna Idris et placées sous son influence spéciale ne sont pas les sciences purement spirituelles, qui sont rapportées à Seyidna Aïssa, c'est-à-dire au Christ ; ce sont les sciences que l'on peut qualifier d'"intermédiaires", parmi lesquelles figurent au premier rang l'alchimie et l'astrologie ; et ce sont bien là, en effet, les sciences qui peuvent être dites proprement "hermétiques". Mais ici se place une autre considération qui pourrait, à première vue tout au moins, être regardée comme une assez étrange interversion par rapport aux correspondances habituelles : parmi les principaux prophètes, il en est un [...] qui préside à chacun des sept cieux planétaires, dont il est le "pôle" (El-Qutb) ; or ce n'est pas Seyidna Idris qui préside ainsi au ciel de Mercure, mais Seyidna Aïssa, et c'est au ciel du Soleil que préside Seyidna Idris ; et, naturellement, ceci entraîne la même transposition dans les correspondances astrologiques des sciences qui leur sont respectivement attribuées. » Il ne s'agit nullement en tout cela d'une simple confusion, mais cette interversion repose au contraire sur des raisons très profondes. Guénon souligne d'abord qu'« il ne s'agit pas là d'un cas isolé dans l'ensemble des doctrines traditionnelles, car on peut trouver quelque chose de tout à fait similaire dans l’angéologie hébraïque : en général, Mikaël est l'ange du Soleil et Raphaël l'ange de Mercure, mais il arrive parfois que les rôles soient inversés. D'autre part, si Mikaël, en tant qu'il représente le Metatron solaire, est assimilé ésotériquement au Christ [10], Raphaël est, d'après la signification de son nom, le "guérisseur divin", et le Christ apparaît aussi comme "guérisseur spirituel" et comme "réparateur" ; d'ailleurs, on pourrait trouver encore d'autres rapports entre le Christ et le principe représenté par Mercure parmi les sphères planétaires […]. Il est vrai que, chez les Grecs, la médecine était attribuée à Apollon, c'est-à-dire au principe solaire, et à son fils Asklêpios (dont les Latins firent Esculape) ; mais dans les "livres hermétiques", Asklêpios devient le fils d'Hermès, et il est aussi à remarquer que le bâton qui est son attribut a d'étroits rapports symboliques avec le caducée ". Cet exemple de la médecine permet d'ailleurs de comprendre comment une même science peut avoir des aspects qui se rapportent en réalité à des ordres différents, d'où des correspondances également différentes, même si les effets extérieurs qui en sont obtenus sont apparemment semblables, car il y a la médecine purement spirituelle ou « théurgique », et il y a aussi la médecine hermétique ou "spagyrique" [...] »
Voilà qui légitime d'une part
l'association symbolique du christianisme à la Provence hermétique,
et explique d'autre part, en passant cette fois au stade de la
théurgie, que le « guérisseur spirituel », le « réparateur »,
soit en même temps attendu en Dauphiné, pour couronner la
fonction d'Hermès « triple par la sagesse ».
« D'un autre côté, écrit encore
Guénon, il y a presque toujours une étroite connexion établie
entre Hénoch (Seyidna Idris) et Élie (Seyidna Dhûl-Kifl), enlevés
l'un et l'autre au ciel sans être passés par la mort corporelle
[12], et la tradition islamique les situe tous deux dans la sphère
solaire. De même, suivant la tradition rosicrucienne, Elias
Artista, qui préside au "Grand Œuvre" hermétique
[13], réside dans la "Citadelle solaire", qui est
d'ailleurs proprement le séjour des "Immortels" (au sens
des Chirajîvis de la tradition hindoue, c'est-à-dire des
êtres "doués de longévité", ou dont la vie se perpétue
à travers toute la durée du cycle) [14], et qui représente un des
aspects du "Centre du Monde". Tout cela est assurément
très digne de réflexion, et, si l'on y joint encore les traditions
qui, un peu partout, assimilent symboliquement le Soleil lui-même au
fruit de l'Arbre de Vie" [15], on comprendra peut-être le
rapport spécial qu'a l'influence solaire avec l'hermétisme, en tant
que celui-ci, comme les "petits mystères" de l'antiquité,
a pour but essentiel la restauration de l'"état primordial"
humain : n'est-ce pas la "Citadelle solaire" des
Rose-Croix qui doit "descendre du ciel en terre", à la fin
du cycle, sous la forme de la "Jérusalem céleste",
réalisant la "quadrature du cercle [16]" selon la mesure
parfaite du "roseau d'or" ? »
Et l'on peut penser que les deux «
témoins » représentant les trois traditions abrahamiques, auront
pour fonction de préparer cette descente de la « Jérusalem céleste
» en manifestant l'unité des formes traditionnelles déjà
réalisée, justement, dans le monde intermédiaire.
Toujours dans cette perspective
eschatologique, nous nous permettrons une dernière remarque :
que la France constitue invariablement le troisième terme, dans les
échanges dialectiques entre l’Amérique « atlantéenne » et
l'Égypte, la géographie sacrée nous en fournit encore, dans son
ordre, la justification : Carnac (que l'on ne peut évidemment
s'empêcher de rapprocher de Karnak...) en plein cœur de l'ancien
domaine des Vénètes d'origine atlantéenne, se situe à peu près
au centre des terres émergées. (« Le centre géodésique absolu se
situe dans Dumet, au large de La Turballe, à mi-chemin entre la
pointe de Piriac et le sud de Belle-Ile [17]. ») On sait d'autre
part que leurs voisins les Redones seraient venus dans le Razès, ce
qui expliquerait les toponymes communs à la Bretagne et à cette
terre d'Aude dont, ne l'oublions pas, Rennes-le Château, l'ancienne
capitale, doit avant tout son nom à la Rédaxé atlante...
*
* *
Nous étant quelque peu appesanti sur
le symbolisme des Pyramides, il nous faut maintenant revenir à celui
qui acheva sa vie près d'elles, non sans de très précises raisons.
Le départ pour l'Égypte de Guénon,
qui dès sa jeunesse signait certains articles, « le Sphinx »,
était certes prévu de longue date. Mais pour le mieux comprendre il
nous faut, autant qu'il est possible, nous interroger sur la «
personnalité » du Maître, et surtout écouter ce qu'il nous en dit
lui-même.
Dans une lettre datée du 17 juin
1934, il précise en effet à l'un de ses correspondants, après
avoir fait allusion entre autres aux études de La Gnose et de
La France antimaçonnique : « Chaque fois que je me suis
servi ainsi d'autres signatures, il y a eu des raisons spéciales, et
cela ne doit pas être attribué à R.G., ces signatures n'étant pas
simplement des "pseudonymes" à la manière "littéraire",
mais représentant, si l'on peut dire, des "entités"
réellement distinctes. »
La première idée qui vient à
l'esprit, à la lecture de ces lignes, est de rapprocher ces entités
des tulkous dont nous avons parlé plus haut et qu'Alexandra
David-Neel définit de façon succincte mais néanmoins suggestive
dans Mystiques et Magiciens du Thibet :
D'après la croyance populaire, un
tulkou est, soit la réincarnation d'un saint ou d'un savant
défunt, ou bien l'incarnation d'un autre être qu'humain dieu,
démon, etc. »
Il est évident que cette «
réincarnation » ne doit pas s'entendre littéralement comme le
retour d'un être dans une forme corporelle nouvelle. La notion des
états multiples de l’être, et, corrélativement, celle de la
transmigration, qui désigne le passage de l’être à travers une
multiplicité indéfinie d’états non-humains et supra-humain,
suffit à prouver l'absurdité métaphysique de la réincarnation,
qui impliquerait une limitation de la Possibilité Universelle. Le
cas des tulkous est en fait une spécification de la
métempsycose des Grecs, c'est-à-dire la transmission d'un être à
un autre, après la désagrégation du composé humain, d'éléments
psychiques plus ou moins importants, et ayant conservé une plus ou
moins grande cohésion ; ce qui n'a pas plus de rapport avec la
réincarnation que l'hérédité psychique la plus « ordinaire »
par exemple. Et puisque la mémoire fait évidemment partie de ces
éléments psychiques liés à la forme humaine et « libérés »
à la mort d'un individu, sa transmission suffit à expliquer les cas
de réminiscence dont on a voulu faire des preuves de la
réincarnation [18]. Cela dit, la présence de plusieurs
entités ne constitue pas une difficulté, car Alexandra David-Neel
précise qu'un même défunt peut se multiplier « post-mortem,
en plusieurs tulkous reconnus officiellement, qui existent
simultanément. D'autre part, certains lamas passent pour être, à
la fois, le tulkou de plusieurs personnalités ». Rappelons
qu'en dehors bien sûr du cas d'agrégats psychiques inférieurs
utilisés par la contre-initiation, il existe deux sortes de tulkous,
d’une « dignité » différente : les tulkous
des dieux, en fait « des "projections" de certains
principes ou de certaines entités supra-humaines [19] », qui
manifestent donc la permanence d’une fonction spirituelle d’ordre
très élevé, et les tulkous de personnages historiques, qui
résultent de la transmission, aux différentes individualités qui
perpétuent la fonction desdits personnages, d'un « agrégat »
d'éléments psychiques. Si la fonction des tulkous est
caractéristique du lamaïsme tibétain, il s'agit néanmoins d'une
possibilité indépendante de toute forme traditionnelle déterminée,
et dont rien n'empêche qu'on ne la retrouve dans d'autres contextes.
Le cas de Guénon semble bien nous en offrir un exemple. Nous
ajouterons même qu'il se pourrait que nous ayons là la
manifestation des deux catégories de tulkous.
Mais pour le moment, nous croyons
pouvoir illustrer notre hypothèse par l'énigmatique réponse
qu'aurait faite Guénon à l'un de ses visiteurs, rue
Saint-Louis-en-l'Ile à Paris. Ce n'est pas que nous entendions tirer
un parti exagéré des propos qui nous ont été ainsi rapportés, ne
connaissant que trop la marge d'« imprécision » qu'il convient
toujours d'envisager pour ce genre particulier de « tradition orale
», mais enfin la question est précise, la réponse brève, et nous
n'avons aucune raison de douter de la bonne foi de notre
interlocuteur... Le petit appartement de Guénon s'ornait jusqu'en
1924 d'un tableau représentant les funérailles d'un Brâhmane [20].
Or, à un visiteur qui lui demandait de qui il s'agissait, Guénon
aurait répondu que c'était lui... On devra avouer (puisque toute
connotation « réincarnationniste » est trop évidemment exclue !)
que cela s'accorde parfaitement avec notre hypothèse, et l'on
concevra sans doute que nous n'attachions guère d'intérêt, dans
ces conditions, à la recherche du ou des hindous inconnus qui
auraient « informé » Guénon.
Quoi qu'il en soit, tout ceci nous
permettra peut-être de mieux comprendre qu'à Paul Le Cour qui lui
reprochait son « hindouisme », il rétorquât qu'il ne croyait pas
si bien dire. Ce qui, à la lettre, et sans même parler du fait que
Guénon représentait toutes les traditions, eût posé nombre de
problèmes dans la mesure où, par le système des castes, on naît
hindou, mais on ne le devient pas.
Maintenant, s'il apparaît que
certaines entités avaient une fonction qualifiée par Guénon de
plus ou moins extérieure, celle de Palingenius, par exemple, étant
semble-t-il indissolublement liée à la reviviscence « gnostique »,
et n'ayant sans doute plus de rôle à jouer après son échec (elle
appartiendrait alors à ceux de nous « qui sont morts depuis
bien longtemps »), il en est une dont le rôle semble avoir été
beaucoup plus durable et « opératif » ; et c'est en pensant à
cette entité que nous faisions allusion tout à l'heure à la
possibilité qu'il y eût, dans le cas de Guénon, intervention d'un
tulkou ne se résumant pas seulement à l'agrégat psychique
de quelque individualité disparue, mais manifestant une fonction
spirituelle dont nous verrons d'ailleurs plus loin qu'elle était
collective. Cette entité, c'est « le Sphinx ».
La première manifestation «
littéraire » du Sphinx date du 18 décembre 1913, lorsqu'il publia
dans La France Antimaçonnique : « A propos des
Supérieurs Inconnus et de l'Astral [21] », article qui fut le point
de départ de la polémique avec La Revue Internationale des
Sociétés Secrètes. Toutefois, auparavant, la même « plume »
avait rédigé « le Régime Écossais Rectifié [22] » et « La
Stricte Observance et les Supérieurs Inconnus [23] On pourrait
résumer ainsi la polémique : Certains collaborateurs de la
R.I.S.S., sous le couvert d'un antimaçonnisme « catholique »,
s'employaient, à l'aide de la méthode historique universitaire, à
nier l'existence des véritables Supérieurs Inconnus dont la notion,
encore vivante au XVIIIe siècle, se rattachait finalement à l'idée
d'un centre spirituel inspirant invisiblement la Maçonnerie. D'autre
part, et n'en étant pas à une contradiction près, ces mêmes
collaborateurs suggéraient, cette fois grâce aux conceptions
occultistes et théosophistes, dont il était parfois difficile de
savoir dans quelle mesure ils ne les adoptaient pas — que ces
Supérieurs Inconnus devaient en fait être compris comme des «
entités astrales »... qui, il faut le préciser, n'avaient rien de
commun avec les tulkous ! Là encore, on niait
l'ésotérisme véritable tout en introduisant d'une manière
détournée mais qui, pour manquer de franchise, n'en était pas
moins efficace, des conceptions néo-spiritualistes. Le Sphinx, quant
à lui, répondait en illustrant son propos de textes d'antimaçons
sérieux et sans arrière-pensées, dont il se servait d'une façon
quelque peu « tantrique ». Son objectif était essentiellement de
faire comprendre aux catholiques les plus ouverts que ce qu'ils
stigmatisaient à juste titre dans la Franc-Maçonnerie, loin d'être
imputable à sa nature même, était le fait d'une dégénérescence
née de ces mêmes germes que l'on voyait se développer alors dans
l'Église sous la forme, en particulier, du modernisme combattu par
saint Pie X.
Mais les renseignements les plus
précieux sur « le Sphinx » nous sont fournis par l’article paru
dans La France Antimaçonnique du 29 janvier 1914 et intitulé
« L’Énigme ». A Charles Nicoullaud qui, considérant
que : « le Sphinx est un animal fabuleux qui tient à la
fois de l’homme, de l’aigle, du taureau et du lion »,
refusait de répondre avant de savoir auquel de ces quatre termes
(sic) il avait affaire, on répliquait : « Le Sphinx
n'est pas tout à fait ce que pense M. Nicoullaud : ce prétendu
"animal fabuleux" est en réalité un symbole, et au lieu
de "tenir" simplement des quatre composants énumérés
ci-dessus, il en est la synthèse. Ses éléments ne se dissocient
pas à volonté, et, si l'un quelconque d'entre eux venait à être
isolé des autres, ce ne serait plus au Sphinx, évidemment, que l'on
aurait affaire ; il faut donc bien se résigner à accepter la
complexité de ce composé, si gênante qu'elle puisse être. Toute
plaisanterie à part, il est fâcheux, lorsqu'on veut pénétrer la
nature des mystérieux "Supérieurs Inconnus", de paraître
ignorer, tout autant qu'un simple occultiste, la théorie de la
multiplicité des états de l'être et de leur simultanéité, non
seulement dans le Sphinx, mais même, plus simplement, dans le
composé humain. » N'était-ce pas là indiquer de façon voilée
que les « composants évoqués — représentant peut-être autant
de traditions — étaient destinés, non pas à se dissocier mais à
se résorber dans leur centre commun « primordial » symbolisé par
le Sphinx [24]. Car il semble bien que cette entité ait subsisté
plus longtemps que les autres, et qu'elle se manifestât encore,
alors même que l'individualité René Guénon paraissait se réduire
à une existence de pure forme ou de simple « convenance littéraire
». Entre autres raisons suggérant la pérennité de cette fonction,
nous trouvons cette réponse à des contradicteurs formulée dans Le
Voile d'Isis de novembre 1932 [25] : « Puisqu'il se trouve que
nos livres sont signés "René Guénon", la plus
élémentaire correction exige que, quand on en parle, on reproduise
ce nom tel quel, ne serait-ce que pour éviter toute confusion ; et,
bien entendu, s'ils étaient signés... Abul-Hawl (dût le "F
Fomalhaut"
[26] en frémir d'épouvante dans sa tombe), ce serait exactement la
même chose. » Or, Abul-Hawl n'est autre que le nom du Sphinx
en arabe !
Maintenant, si nous cherchons à
discerner la nature véritable du Sphinx, c'est encore à « L'Énigme
» que nous nous référerons : « C'est une singulière manie, et
beaucoup trop commune, que celle qui consiste à toujours et avant
tout savoir "les noms", comme si ces noms signifiaient ou
prouvaient quelque chose. Nous nous soucions fort peu de savoir même
si les "Supérieurs Inconnus" ont des noms à proprement
parler, autres du moins que ceux, purement conventionnels, qu'il leur
plaît de prendre parfois pour jouer un rôle déterminé. Les
individualités, ici, revêtent un caractère essentiellement
symbolique ; elles ne sont rien par elle-même, en dehors de ce
qu’elles représentent, et cela à tel point qu’elles n’ont pas
même une physionomie qui leur appartienne en propre. Ainsi, il
existe dans l'Inde toute une catégorie d'hommes assez étranges
[...], qui portent à la main, comme signe de reconnaissance, une
longue corne d'antilope, et qui, en outre, présentent cette
particularité qu'ils ont tous exactement les mêmes traits. Personne
ne connaît les noms de ces hommes, et personne ne songe à se les
demander, parce que tout le monde sait fort bien qu'ils sont
affranchis des limitations extérieures du nom et de la forme, ces
deux éléments constitutifs de l'individualité vulgaire. Le type
qui leur est commun se retrouve figuré dans les sculptures des plus
anciens monuments de l'Inde, et, chose peut-être plus curieuse
encore, nous avons reconnu ce même type jusqu'en Europe, chez
d'autres hommes qui étaient, sinon précisément des "Supérieurs
Inconnus", du moins des agents assez importants d'un "pouvoir
occulte" exerçant son action bien au-delà des "arrière-Loges"
de la "Maçonnerie universelle".
« Maintenant, si M. Bord tient, à
défaut d'autre chose, à ce que nous lui citions au moins un nom de
convention, nous lui rappellerons le fameux comte de Saint-Germain,
dont il n'a sans doute pas été sans entendre parler quelquefois.
[...] Il se peut fort bien, d'après ce que nous venons de dire, que
ce nom du comte de Saint-Germain n'ait pas servi qu'à un seul
personnage, bien qu'on lui ait toujours connu la même figure ; cela
aiderait peut-être à expliquer quelques particularités de son
histoire. Il se peut également que la même... "entité",
tout en ayant abandonné ce nom d'emprunt lorsqu'il n'eut plus de
raison d'être, continue, même de nos jours, à jouer un rôle plus
ou moins caché, et cela, bien entendu, sans avoir eu besoin de "se
réincarner" comme le prétendent certains théosophistes. Pour
se maintenir ainsi à travers le temps, il lui aura suffi, dans
l'intervalle de ses "missions", de "se remettre aux
pieds de l'Éternel", suivant l'expression d'un de ces agents du
"pouvoir occulte" auquel nous faisions allusion tout à
l'heure, ou "sous l'œil du Pôle", comme disent,
exactement dans le même sens, les initiés musulmans.
« Tout cela, assurément, est encore
fort "énigmatique" ; mais, si nous le disons ici, c'est
parce que nous avons pour cela d'excellentes raisons, et non point,
qu'on veuille bien le croire, dans le but unique d'intriguer M. Bord
ou M. Martigue. »
Il semblerait donc bien que nous
touchions ici au « cœur » du sujet, avec ce « comte de
Saint-Germain » dont la fonction « universaliste ou « œcuménique
» (au vrai sens du terme) est discrètement évoquée par les
mentions conjointes de l'« Éternel » et du « Pôle », renvoyant
à la fois au judaïsme et à l’Islam. Quant à ce « type
commun » aux hindous à la corne d’antilope et aux agents
européens du « pouvoir occulte » relevant apparemment du
judaïsme, ne référerait-il pas, essentiellement, à l'analogie
fonctionnelle, évoquée plus haut, entre l'hindouisme et le judaïsme
?... Le titre de Rose-Croix couramment attribué à Saint-Germain
nous introduit plus précisément encore dans un contexte «
hermétique ». Que « le Sphinx », dans une « Dernière réponse à
M. Gustave Bord », insistât à nouveau sur les « raisons
particulières » qui l'avaient amené à évoquer « la
possibilité d'un rôle joué, de nos jours encore, par la même
"entité" complexe », achèvera de nous convaincre des
relations très étroites qu'il entretenait avec le comte de
Saint-Germain. Affinité parfaitement cohérente sur le plan
doctrinal comme sur le plan opératif, si l'on veut bien se souvenir
des origines égyptiennes de l'hermétisme... De fait, René Guénon
a bien « porté » le tulkou de Saint-Germain, qui
passa brièvement en Islam avant d'être remis en 1943, sur les
indications du même Guénon, au représentant de l'ésotérisme
chrétien.
Pour ce qui concerne les incidences de
ce « dépôt » sur la réalisation spirituelle du Maître, il
serait bien sûr présomptueux d'aller plus avant. Nous pouvons
seulement suggérer que l'individualité Guénon s'effaça finalement
derrière cette entité du Sphinx dont il évoque clairement la
permanence, sans qu'il taille voir là une impossible « osmose »
avec un autre être, mais seulement l'accession au degré occupé par
cet être, qui avait représenté jusque-là un aspect du Guru
intérieur, et à qui l'unit désormais une fonction commune dont la
réalité spirituelle coïncide avec l'état primordial, et qui peut
se manifester en une multitude de supports, en l'occurrence des êtres
différents et néanmoins indiscernables extérieurement, par là
même qu'ils appartiennent à une unique « Fraternité Sainte »
(d'où Sanctus Germanus) [27]. Il s'agit donc là de l'entrée
en contact, stricto sensu, avec un centre spirituel.
Nul n'ignore, disions-nous, que le
degré de Rose-Croix fut communément attribué au « comte » (qui
doit se lire comes - « compagnon ») de Saint-Germain, même
si, en toute hypothèse, cette identification pouvait ne concerner
que le tulkou, l'entité dont il était le support, et non
point lui-même. Si l'on admet d'autre part que l'entité collective
désignée au XVIIIe siècle par le hiéronyme de « comte de
Saint-Germain » fut connue dans un passé plus lointain sous celui
de Christian Rosenkreutz, le « fondateur » légendaire du courant
rosicrucien, « né » au XIVe siècle, on se persuadera mieux encore
de cette fonction très « hermétique » du comte que nous
mentionnions également à l'instant. Son « retour » était
d'ailleurs prévu par certaines traditions pour la fin du cycle, et
c’est bien pourquoi les Théosophistes, toujours prompts à singer
les données traditionnelles dont ils pouvaient avoir connaissance,
suscitèrent, nous l'avons vu, un « Maitre R... » qui se
faisait passer pour Saint-Germain et qui — aussi étrange que cela
puisse paraître — n'était autre que Basil Zaharoff, le célèbre
marchand d'armes... et agent important de l'Intelligence Service
!
Dans ce registre des remanifestations
parodiques ou à tout le moins ambivalentes, il nous faut évoquer
ici un épisode singulier dans lequel Guénon joua un rôle
déterminant. Au début de 1908, quelques membres de l'Ordre
martiniste (dont les prétentions à se rattacher à Martinès de
Pasqually ou encore à Louis-Claude de Saint-Martin étaient
dépourvues de tout fondement), reçurent des communications par
« écriture directe », lors de réunions qui se tenaient dans
un hôtel, au 17 de la rue des Canettes, près de Saint-Sulpice «
Or, nous dit Paul Chacornac [28], un certain jour, ils reçurent
l'ordre d'y amener Guénon. Dans les communications qui suivirent,
tantôt rue des Canettes, tantôt rue Saint-Louis-en-l'Ile [au
domicile parisien de Guénon], l'"entité" qui se
manifestait enjoignit aux assistants de fonder un "Ordre du
Temple" dont Guénon devrait être le chef. » Cet Ordre du
Temple Rénové n'eut qu'une existence éphémère puisqu'il fut
dissous par Guénon vers la fin de 1911, mais il n'en retient pas
moins l'attention par la manifestation des « entités » fort
antinomiques de Jacques de Molay et Cagliostro d'une part, et de
Frédéric II de Prusse et Weishaupt d'autre part, ce dernier étant,
comme l'on sait, le fondateur de l'Ordre pseudo-maçonnique et
authentiquement subversif des « Illuminés de Bavière ».
Cette remanifestation « templière »
plutôt déconcertante, était à vrai dire entachée dès l'origine
d'irrégularité, puisque « captée », non pas de façon
médiumnique comme on l'a cru, mais par un moyen qui, s'il rappelait
bien un procédé traditionnel à base numérologique, n'en était
pas moins « interdit » depuis un siècle. Quant à la présence
inquiétante de « Weishaupt » et de « Frédéric II », parfaits
représentants du « Siècle des Lumières », elle concernait
en réalité, non point ces troubles personnages, mais des noms de
code emblématiques indiquant un contact avec une centrale
contre-initiatique mineure. C'était là en somme l'aspect résiduel
et subverti de l'héritage templier. Le cas de Jacques de Molay et, à
un degré moindre, de Cagliostro, était à tous égards différent,
d'abord parce que leur « qualité » — corrélative bien sûr d'un
tout autre statut posthume — permettait cette fois d'envisager un
lien effectif avec ces personnages, et ensuite parce que c'est
l'arrivée de Guénon qui avait attiré leur présence «
compensatrice ». Affinité peut-être renforcée par le fait que
Cagliostro avait porté lui aussi temporairement le tulkou du
comte de Saint-Germain ".
Quoi qu'il en soit, et eu égard au
contexte déjà évoqué, cette reviviscence templière ne pouvait
être à terme que fort dangereuse, et c'est pourquoi il y fut mis
rapidement un terme, Guénon faisant en sorte qu'elle ne laissât
aucun « résidu » utilisable par la contre-initiation. Toujours
dans le domaine des reviviscences avortées, mais auxquelles la seule
présence de Guénon avait sans nul doute offert une ultime
possibilité, nous mentionnerons le cas tout aussi pittoresque en
apparence de I'« Eglise gnostique ». La « Gnose ecclésiale »
avait été restaurée dès 1889 à l'occasion, là encore, d'une
séance d'allure spirite tenue dans un petit hôtel particulier de la
rue Brémontier à Paris, appartenant à Lady Caithness, duchesse de
Pomar, très introduite dans les milieux néo-spiritualistes. A cette
séance assistait Jules Doinel, Maçon et archiviste du Loiret, qui
termina sa carrière à Carcassonne. L'« entité » de Guilhabert de
Castres (célèbre évêque cathare du diocèse de Toulouse de 1208 à
1237), se manifesta et lui ordonna de restaurer la Gnose, le faisant
patriarche sous le nom de Valentin II. Doinel constitua donc une
Eglise, en recrutant parmi les milieux occultistes, et consacra des
évêques selon un rituel d'origine mystérieuse. Cependant, le «
patriarche » , soudain pris d'inquiétude, abjura bientôt Gnose et
Maçonnerie devant l'évêque d'Orléans et, son repentir lui
commandant de ne pas s'arrêter en si bon chemin, écrivit sous le
pseudonyme de Jean Kotska un ébouriffant Lucifer démasqué
que n'eût pas désavoué Léo Taxil. L'Église gnostique se donna
donc un nouveau chef en la personne d'un occultiste socialisant,
Fabre des Essarts (Synesius en épiscopat), que Guénon rencontra
lors du Congrès Spiritualiste et Maçonnique de 1908, à Paris, et
qui le fit entrer « en gnose ». Mais Doinel, qui manifestait
une fâcheuse instabilité mentale, fit retour dans le giron
gnostique, comme simple fidèle, puis se réconcilia de nouveau avec
Rome, et l'on ne sait trop s'il mourut gnostique ou catholique.
Il ne semblerait donc pas, au contraire
de l'Ordre du Temple Rénové, que l'on dût s'arrêter à cette
reviviscence « gnostico-cathare » qui paraissait pourtant «
répondre » à la prédiction célèbre : Al cap de sèt cents
ans verdeja lo Laurel. (Au bout de sept cents ans reverdit le
laurier.) En fait, il s'agissait bel et bien d'une intervention
inspirée par l'« éon » du nestorianisme et s'inscrivant dans le
cadre d'un authentique gallicanisme, mais que le contexte là encore
rendit inopérante, et à laquelle Guénon fut chargé de mettre un
terme.
L'affaire des « Polaires », enfin,
troisième volet de ce curieux triptyque, se présentera elle aussi,
vingt ans après l'Ordre du Temple Rénové, comme une manifestation
des plus ambiguës, et prenant appui à l'origine sur une méthode
analogue.
En 1908, le jeune Mario Fille, fils
d'un Français résidant à Rome et d'une Italienne, qui était en
villégiature à Bagnaïa, village du Viterbais, fit la connaissance
d'un mystérieux ermite que l'on appelait « le père Julien » et
qui demeurait en pleine montagne. Prenant plaisir à sa conversation,
le jeune homme lui fit de fréquentes visites, dont l'ermite le
remercia en lui confiant de vieux documents contenant une méthode
divinatoire à forme arithmétique qui ne devait être divulguée
sous aucun prétexte.
D'abord découragé par la complexité
des opérations à effectuer pour obtenir une réponse, Mario Fille
n'expérimenta l'oracle, avec succès, que quelques années plus
tard. Ayant fait en Égypte (bien sûr !), la connaissance d'un autre
Italien, Cesare Accomani, il le mit au courant de la méthode, et ce
dernier, enthousiasmé, voulut retrouver le père Julien. Las, il
avait quitté Bagnaïa, et c'est seulement en 1918 que, grâce à
l'oracle, on apprit qu'il avait regagné son couvent de l'Himalaya...
Mais c'est à Paris, où vinrent s'installer Fille et Accomani, que
l'affaire allait prendre toute son ampleur.
Fernand Divoire, directeur de
L'Intransigeant et qui devait publier un livre intitulé Pourquoi
je crois à l'Occultisme, organisa des séances d'expérimentation
auxquelles assistèrent Maurice Magre, Jean Mar-quès-Rivière,
Jeanne Canudo, Vivian Postel du Mas, Jean Dorsenne et René Guénon.
Mario Fille s'effaçait de plus en plus au profit de Cesare Accomani,
qui avait écrit sous le pseudonyme de Zam Bhotiva un livre paru en
décembre 1929 et intitulé Asia Mysteriosa, l'Oracle de Force
Astrale comme moyen de communication avec « Les Petites Lumières
d'Orient » [30]. Il était préfacé par Fernand Divoire et
accompagné d'études de Maurice Magre et Jean Marquès-Rivière.
Guénon, à qui l'on avait demandé une préface, l'avait finalement
retirée après avoir constaté l'absurdité de certains « oracles
». Mais en dépit du jugement qu’il avait porté, on utilisait son
nom pour recruter les membres d’un groupe des « Polaires », et il
dut mettre les choses au point : « En fait, nous avons quelque peu
suivi les manifestations de la méthode divinatoire dite “oracle de
force astrale” en un temps où il n’était nullement question de
fonder un groupement basé sur les “enseignements” obtenus par ce
moyen ; comme il y avait là des choses qui semblaient assez
énigmatiques, nous avons tâché de les éclaircir en posant
certaines questions d’ordre doctrinal, mais nous n’avons reçu
que des réponses vagues et échappatoires, jusqu’au jour où une
nouvelle question a enfin amené, au bout d’un temps d’ailleurs
fort long en dépit de notre insistance, une absurdité caractérisée
; nous étions dès lors fixé sur la valeur initiatique des
hypothétiques inspirateurs, seul point intéressant pour nous dans
toute cette histoire. [...] Nous regrettons que quelques-unes des
idées traditionnelles que nous avons exposées dans Le Roi du
Monde soient mêlées à cette affaire, mais nous n’y pouvons
rien ; quant à la “méthode” elle-même [...] on pourra
facilement se rendre compte qu’il n’y a là rien d’autre qu’un
exemple de ce que peuvent devenir des fragments d’une connaissance
réelle et sérieuse entre les mains de gens qui s’en sont emparés
sans yrien comprendre [31]. »
On retiendra de ce curieux épisode que
Guénon ne rejetait pas, en principe, l’hypothèse d’une
manifestation de l’Agarttha, en une époque, justement, où
les liens de celle-ci avec la France étaient devenus très
étroits... Si la fin de l’histoire des « Polaires »
attesta que les messages transmis par l’oracle émanaient bien
plutôt de la contre-Agarttha, les commentaires de Guénon n’ont
pour autant rien perdu de leur intérêt, et nous incitent à nous
attarder quelques instants encore sur cette affaire.
Comme l’avait dit le « père Julien
», l’oracle de force astrale était une méthode arithmétique
censée mettre en rapport avec des « Petites Lumières »,
elles-mêmes liées aux « Trois Sages », que l’on ne manqua pas
de rapprocher d’autres triades plus ou moins légendaires, tels les
Trois Vieillards qui recueillirent la parole de Brahma, les Trois
Sages qui se prosternèrent devant le berceau de Krishna, et bien
sûr, les Trois Rois Mages...
Vers 1925, l’oracle commença à
prédire la venue de « Celui qui attend » (proche parent peut-on
penser de « Celui qui doit venir »...) - un Occidental « qui
a de grands yeux noirs et une robe blanche ornée d’une croix
rouge, et qui est Rose-Croix, et Chef suprême des Polaires. Ils
vivent « dans des cavernes aménagées en crypte depuis des
siècles. » [32] Aria Mysteriosa reproduit la demande
adressé à l’oracle par un « savant ésotériste » qui
n’est manifestement autre que Guénon, ainsi que les commentaires
que lui inspira la réponse :
« Dem. – Celui qui attend
est-il le dernier Avatâra ou le futur Manu ?
« Rép. – Il ne peut être ni
l’un ni l’autre. La petite Lumière Unam vous le fera peut-être
pressentir… »
Ce que Guénon commentait ainsi : « Le
dernier Avatâra est la manifestation du Verbe à la fin du Cycle, ou
Manvantara actuel, manifestation représentée sous la figure
symbolique du Cheval Blanc dans les Purânas et dans l’Apocalypse.
On aurait pu supposer que “Celui qui Attend” désignait d’une
façon énigmatique cet Avatâra, ou bien, suivant une autre
hypothèse également possible, le futur Manu, c’est-à-dire
l’lntelligence qui doit présider au prochain cycle humain et lui
donner sa loi. Cependant, quelques réponses précédentes,
concernant “Celui qui Attend”, donnaient à penser qu’il
s’agissait en réalité de quelque chose de beaucoup moins
important, d'une manifestation non définie, ne devant jouer qu’un
rôle assez secondaire ; mais il était intéressant d’en avoir la
confirmation, et c'est cette confirmation que la présente réponse
apporte de la façon la plus nette et la plus formelle.
« Unam est le retournement de
Manu, ce qui indique symboliquement qu’il s’agit d’un reflet de
Manu [33]. Il existe d’autres exemples connus de ce procédé :
ainsi le nom de ROMA considéré comme retournement de AMOR ; ce cas
semble bien avoir été interprété de la même façon dans
certaines traditions ésotériques. Unam est qualifié de
“piccola Luce” — petite Lumière —, ce qui le place en
quelque sorte au même niveau que les “Trois Sages”, mais son nom
indique une relation plus directe avec le “Centre du Monde”. »
En avril 1929, l’oracle confirma que
les communications émanaient d’« un groupe de Tradition
occidentale et rosicrucienne, dans le Jardin de Préparation de
l’Agarttha ».
Le message disait en effet : «
Chevaliers Sages Initiés à la Grande Roue. — Ils furent
absorbés par les Petites Lumières d’Orient. Ils ont laissé des
Traditions dans le Grand Jardin. » Là encore, Guénon commenta
:
« Le titre de Chevalier convient bien
aux Rose-Croix, car ils ont succédé aux Templiers pour maintenir,
après la destruction de ceux-ci, le rattachement de l’Occident au
« Centre du Monde ». La « Grande Roue »
(traduction du terme sanscrit Mahâchakra) symbolise le monde
ou la nature ; l’ « Initiation à la Grande Roue »
correspond à ce que l’on appelait dans l’antiquité les « petits
mystères » (expression dont il faut peut-être rapprocher la
désignation de "Petites Lumières" ?), qui se rapportaient
aux possibilités de l'état humain. Cette Initiation est bien celle
qui convient à des Chevaliers, c'est-à-dire à des Kshatriyas
; et, en ce qui concerne les Rose-Croix, cette indication semble
parfaitement exacte, car elle s'accorde tout à fait avec celles que
nous avons déjà pu voir d'autre part.
« Le "Grand Jardin" est le
Pardes, d'où partent toutes les Traditions et où elles se
conservent toutes ; il peut, en un certain sens général, être
identifié avec l'Agarttha comme correspondant plus
précisément au Centre de ce Jardin (la Montagne d'où coulent les
quatre Fleuves), par lequel s'établit directement la communication
du Monde Humain avec les Mondes Supérieurs. »
Après que, le 8 avril 1930, le père
Julien eut annoncé dans un message qu'il allait franchir « les
Portes de Lumière », c'est-à-dire mourir, Cesare Accomani et Mario
Fille reçurent de l'oracle toutes les instructions relatives aux
rites et aux buts de la nouvelle société, la Fraternité des
Polaires, qu'ils allaient devoir créer. Il leur fut notamment
précisé que du sein des Polaires sortiraient un jour des hommes
qui, après avoir satisfait à toutes les épreuves idoines,
recevraient l'initiation des Rose-Croix et connaîtraient leurs
secrets. D'ores et déjà, l'oracle indiquait que des documents
contenant une partie de ces secrets, rédigés en allemand, se
trouvaient enfouis en Palestine, dans une cachette dont l'emplacement
serait dévoilé en temps utile. Toutes choses qui, sous le rapport
du symbolisme inversé, et dans la perspective des grandes
manipulations contre-initiatiques alors imminentes, n'étaient
peut-être pas sans intérêt ! En attendant, il convenait de se
préoccuper du salut de la France, menacée par les « Verges de Feu
» et par « les sabots des quatre Cavaliers de l'Apocalypse ». Pour
ce faire, on devait «préparer une Cohorte de Fer [34] pour défendre
le Flambeau » ; il fallait « des Frères pour le Grand Combat, et
des Frères pour aider à la Grande Reconstruction ».
Mais les « Polaires » semblèrent
quelque peu dépassés par de si hautes destinées, et la défection
de « Zam Bhotiva lui-même allait être cruellement ressentie.
S'étant tourné vers la radiesthésie, l'oracle lui permit, dit-on,
de découvrir la baguette de Pic de la Mirandole, qui avait la
propriété de vibrer au voisinage de l'or ! Il n'eut de cesse qu'il
fût allé essayer cette merveille en des lieux dignes de son usage :
en l'occurrence Montségur, où il se rendit en compagnie d'une
fidèle de l'Église gnostique, et lointaine descendante
d'Esclarmonde de Foix. Las ! La baguette de Pic de la Mirandole
ne vibra point… Après une ultime et infructueuse quête aurifère
en Espagne, Accomani quitta les Polaires. Dès lors, la Fraternité,
usant de moins en moins de l'oracle de force astrale, sembla tomber
sans remède dans les platitudes habituelles, même (ou surtout) si
l'on y déclara en 1938 avoir contribué aux accords de Munich ! De
cette insigne pauvreté doctrinale (et, disons-le, de ce caractère
grotesque qui constitue toujours une ineffaçable « signature »)
attestaient les « Trois Tables » de la Loi polaire, résumées
par Pierre Geyraud : 1) lutter contre l'égoïsme, l'orgueil,
l'hypocrisie ; 2) protéger les animaux ; 3) observer les règles de
l'hygiène. On était loin de l'Agarttha !
Et pourtant, cette fin sans gloire ne
doit pas faire oublier que le premier dépositaire du « secret »
arithmétique de la force astrale disait l'avoir reçu en Italie en
1908, l'année même de la reconstitution de l'Ordre du Temple,
effectuée à l'origine selon un procédé à base
numérologique... L'étrange simultanéité de ces deux
résurgences « résiduelles » (celle manifestée par l'Église
gnostique étant, nous l'avons vu, d'un ordre différent, et liée à
une autre « chronologie », trouve sans doute sa raison profonde
dans une remarque de Guénon.
Dans un compte rendu d'un livre du
professeur Luigi Valli sur « Il Linguaggio segreto di Dante
e dei « Fedeli d'Amore » [35], il écrivait en effet : «
II semble que le temps soit venu où le vrai sens de l'œuvre de
Dante se découvrira enfin ; si les interprétations de Rossetti et
d'Aroux ne furent pas prises au sérieux à leur époque, ce n'est
peut-être pas parce que les esprits y étaient moins bien préparés
qu'aujourd'hui, mais plutôt parce qu'il était prévu que le secret
devait être gardé pendant six siècles (le Naros chaldéen)
[...]. » Or, c'est exactement six siècles après la destruction du
Temple que se manifestèrent les influences captées dans le cadre de
l'Ordre du Temple Rénové ; et c'est également six siècles après
la publication de La Divine Comédie que « l'oracle de force
astrale » transmit les messages (signés Anselmo ou Giuliano....)
émanant de ces prétendus Rose-Croix que la remarque de Guénon
relative à Amor et Roma identifiait implicitement aux Fidèles
d'Amour. Ceci pour le cas, bien sûr, où l'affaire eût été
authentique, et non point parodique, comme son intervention allait le
prouver. C'est d'ailleurs au Maître et à sa fonction «
discriminatrice » qu'il nous faut maintenant revenir.
Si nous avons jusque-là beaucoup parlé
des « entités » à qui l'individualité de Guénon servit de
support, nous n'avons encore rien dit de cette dernière, qui devait
pourtant, pour jouer un tel rôle, être investie d'une particulière
dignité. Or, il nous semble qu'un article paru dans les Études
Traditionnelles de janvier-février 1949 et repris dans
Initiation et Réalisation spirituelle s'applique parfaitement
à notre sujet. Il s'agit de « Sagesse innée et Sagesse acquise »,
qui décrit le cas, tout à fait exceptionnel, d'un être ayant
atteint un certain degré de réalisation dans un état d'existence
et qui passe dans un autre état, apportant en quelque sorte avec lui
ce qu'il a acquis précédemment et qui apparaîtra dans le nouvel
état comme « inné ». « [...] il est d'ailleurs bien entendu
qu'il ne peut s'agir en cela que d'une réalisation demeurée
incomplète, sans quoi le passage à un autre état n'aurait aucun
sens concevable, et que, dans le cas de l'être qui passe à l'état
humain, cas qui est celui qui nous intéresse plus particulièrement
ici, cette réalisation n'est pas encore allée jusqu'à
l'affranchissement des conditions de l'existence individuelle ; mais
elle peut s'étendre depuis les degrés les plus élémentaires
jusqu'au point le plus voisin de celui qui, dans l'état humain,
correspondra à la perfection de cet état [37]. On peut même
remarquer que, dans l'état primordial, tous les êtres qui
naissaient comme hommes devaient être dans ce dernier cas,
puisqu'ils possédaient cette perfection de leur individualité d'une
façon naturelle et spontanée, sans avoir aucun effort à faire pour
y parvenir, ce qui implique qu'ils étaient sur le point d'atteindre
un tel degré avant de naître à l'état humain. » Toutefois, la «
solidification » du milieu terrestre actuel ne permettra plus à
cette sagesse innée de se manifester de manière tout à fait
spontanée, comme pendant l'Age d'Or. « L'être dont il s'agit devra
donc recourir aux moyens qui existent en fait pour surmonter ces
obstacles, ce qui revient à dire qu'il n'est nullement dispensé,
comme on pourrait être tenté de le supposer à tort, du
rattachement à une "chaîne" initiatique » Mais si
l'initiation est, dans les conditions actuelles, strictement
indispensable, il n'en reste pas moins que le cas de cet être sera
privilégié. Il pourra en effet « passer en apparence par les mêmes
degrés que l'initié qui est simplement parti de l'état de l'homme
ordinaire, mais la réalité sera pourtant bien différente ; en
effet, non seulement l'initiation, au lieu de n'être tout d’abord
que virtuelle comme elle l’est habituellement, sera pour lui
immédiatement effective, mais encore il « reconnaîtra »
ces degrés, si l’on peut s’exprimer ainsi, comme les ayant déjà
en lui, d’une façon qui peut être comparée à la "réminiscence"
platonicienne, et qui est sans doute au fond une des significations
de celle-ci. [...] Il peut même se faire que, lorsqu'il se trouve en
présence des rites et des symboles initiatiques, ceux-ci lui
apparaissent comme s'il les avait toujours connus d'une façon en
quelque sorte "intemporelle", parce qu'il a effectivement
en lui tout ce qui, au-delà et indépendamment des formes
particulières, en constitue l'essence même [...]. Une autre
conséquence de ce que nous venons de dire, c'est que, pour parcourir
la voie initiatique, un être tel que celui dont nous parlons n'a nul
besoin de l'aide d'un Guru extérieur et humain, puisqu'en
réalité, l'action du véritable Guru intérieur opère en
lui dès le début, rendant évidemment inutile l'intervention de
tout "substitut" provisoire, car le rôle du Guru
extérieur n'est en définitive pas autre chose que celui-là [...].
»
Il est remarquable que nous trouvions
là toutes les « clefs » permettant de comprendre les aspects les
plus énigmatiques de la fonction de René Guénon. Et d'abord cette
« sensibilité spirituelle prodigieuse » dont parlait Michel
Vâlsan [38], et qui «devait servir pour un rôle de reconnaissance
et d'identification universelle de la multitude des symboles et des
significations ». Nous ajouterons que le cas spirituel exceptionnel
de Guénon lui permettait également de « reconnaître »
immédiatement la validité initiatique d'une organisation — ce qui
explique son passage dans de nombreux groupements plus ou moins
occultistes, et les conclusions indubitables qu'il en tira,
relativement à l'absence totale en leur sein d'une transmission
d'influence spirituelle. C'est encore grâce à cette genèse
spirituelle si particulière que, par le seul fait d'y être
rattaché, il pouvait pénétrer et s'assimiler l'« essence »
rituelle et symbolique d'une tradition. En effet, et cela montre bien
que rien n'avait été laissé « au hasard », ce cas
exceptionnel de sagesse innée était le seul qui permît à une
individualité n'ayant pas encore atteint le degré de Rose-Croix —
auquel Guénon, nous l'avons dit, accéda peu avant son départ pour
l'Egypte — de puiser néanmoins directement à la source
intemporelle des formes et des symboles traditionnels, et d'en
concevoir effectivement l'unité profonde, voilée par leur apparente
diversité. Enfin, la « voie » de Guénon rend vaine la recherche
de ses « maîtres », puisque le Guru intérieur, il nous l'a
dit, se manifeste directement à l'initié.
Il est encore remarquable que la
parution de cette étude ait coïncidé avec une période où
certains, qui bien sûr lui devaient tout sur le plan intellectuel,
manifestaient vis-à-vis de l’homme e de sa fonction une…
indépendance très « occidentale », et, pour comble de
disgrâce, excipaient, pour justifier cette émancipation, de
considérations doctrinales si mal fondées qu’on eût pu les
croire improvisée pour la circonstance. Peut-être y eut-il de la
part de Guénon un avertissement destiné à ceux qui étaient
capables de comprendre.
Pour ce qui concerne son accession au
degré initiatique de Rose-Croix, la succession de tragédies privées
qui précéda son départ pour l’Égypte nous confirme qu'il y eut
là un « passage » fort important, surtout si nous rapprochons ceci
des indications fournies dans le chapitre des Aperçus sur
l'initiation intitulé « Des Épreuves initiatiques », et où,
après avoir précisé que lesdites épreuves n'avaient strictement
rien à voir, contrairement à ce que croient trop souvent les
Occidentaux, avec les « épreuves de la vie » les plus extérieures,
non plus qu'avec la « souffrance », Guénon déclarait : « Cela
étant mis au point , il nous faut encore indiquer l'explication d'un
fait qui pourrait paraître, aux yeux de certains, susceptible de
donner lieu à une objection : bien que les circonstances
difficiles ou pénibles soient assurément, comme nous le disions
tout à l'heure, communes à la vie de tous les hommes, il arrive
assez fréquemment que ceux qui suivent une voie initiatique les
voient se multiplier d'une façon inaccoutumée. Ce fait est dû tout
simplement à une sorte d'hostilité inconsciente du milieu [...] :
il semble que ce monde, nous voulons dire l'ensemble des êtres et
des choses mêmes qui constituent le domaine de l'existence
individuelle, s'efforce par tous les moyens de retenir celui qui est
près de lui échapper ; de telles réactions n'ont en somme rien que
de parfaitement normal et compréhensible, et, si déplaisantes
qu'elles puissent être, il n'y a certainement pas lieu de s'en
étonner. Il s'agit donc là proprement d'obstacles suscités par des
forces adverses, et non point, comme on semble parfois se l'imaginer
à tort, d'"épreuves" voulues et imposées pais les
puissances qui président à l'initiation ; il est nécessaire d'en
finir une fois pour toutes avec ces fables, assurément beaucoup plus
proches des rêveries occultistes que des réalités initiatiques. »
Cela étant, nous allons voir que
d'autres « forces adverses parfaitement conscientes celles-là,
s'acharnèrent sur Guénon avec une perversité proportionnelle à
l'importance de sa fonction. La façon admirable dont il s’acquitta
de celle-ci lui valut d’ailleurs l’insigne privilège, partagé
avec le seul Ibn’ Arabî, d’avoir, non pas des visions mais des
apparitions du Prophète Mohammed [39], avec qui il lui arriva
même de déjeuner.
Sa génération spirituelle
exceptionnelle continua bien sûr à se manifester en Égypte. Nous
trouvons à cet égard un précieux renseignement dans sa
correspondance avec A.K. Coomaraswamy. Le 5 novembre 1936, en effet,
il écrivait à ce dernier : « Votre étude sur "Khwajâ
Khadir" (ici, nous disons "Seyidna El-Khidr") est très
intéressante, et les rapprochements que vous y avez signalés sont
tout à fait justes au point de vue symbolique ; mais ce que je puis
vous assurer, c'est qu'il y a là-dedans bien autre chose encore que
de simples "légendes" : J'aurais beaucoup de choses à
dire là-dessus, mais il est douteux que je les écrive jamais, car,
en fait, ce sujet est de ceux qui me touchent un peu trop
directement... » El-Khidr est de nouveau mentionné le 31 janvier
1938 : « La question des individus exceptionnels se trouvant dans un
milieu où il n'y a plus d'initiation est effectivement assez
embarrassante à certains égards ; il peut, dans certains cas tout
au moins, arriver qu'il soit remédié à cette situation par des
circonstances également exceptionnelles ; mais la vérité est que
ceci ne relève pas de la juridiction du "Qutb" [le Pôle],
mais de ce qui est représenté par la fonction d'El-Khidr, en tant
que maître des "Afrad". » Enfin le 6 février 1938, il
souhaitait que Coomaraswamy reprit, pour les Etudes
Traditionnelles, son article sur El-Khidr « en le
complétant par certaines considérations qui, comme vous me l'avez
dit, n’auraient pas été à leur place dans la revue où il a été
publié primitivement [.. .]. Si cela était possible, j'en serais
d'autant plus heureux que, de divers côtés, on réclame depuis
longtemps déjà quelque chose sur ce sujet, mais que, pour bien des
raisons, je préférerais qu'il soit traité par quelqu'un d'autre
que moi... »
Pour bien comprendre toute l'importance
de ces données, il convient de se reporter au traité de Muhy-d-dîn
Ibn'Arabî intitulé Les Catégories de l'Initiation
(Tartîbut-taçawwuf), traduit partiellement par Abdul-Hâdi
[4], et dans lequel sont passées en revue les différentes voies
initiatiques et les caractéristiques — les types spirituels —
propres à ceux qui les suivent. Or, la troisième catégorie est
précisément celle des Afrâd, les « Solitaires ». « Le
nombre des Afrâd n'est ni connu ni déterminé. Ils arrivent
à l'initiation (et opèrent par elle) d'une façon particulière
(c'est-à-dire que chacun d'eux a une formule spéciale
d'initiation). Ils ne tombent pas (par conséquent) sous les regards
ou la surveillance de "l'Apogée spirituelle" de l'époque
[41], mais restent cachés dans le maqâm [42] appelé "la
Cellule". "L'Apogée spirituelle" ne les connaît pas
et ne peut voir ou juger leur situation. Kidr - que la divine
paix soit sur lui — est leur maître. C'est pourquoi ce prophète
dit à Moïse — que la divine paix soit sur lui — : "Je
possède une science qui procède de celle d'Allah et que tu ne peux
avoir." Or, Moise était "l'Apogée de l'époque"
[43]. (La tradition que nous venons de citer montre donc que) les
"Apogées" n'ont absolument aucune connaissance des
conditions, circonstances et états extatiques ou autres des
"Solitaires". »
Enfin, Guénon écrivait à Marcel
Clavelle, le 14 mars 1937 [44] : El-Khidr est proprement
le Maître des Afrâd, qui sont indépendants du Qutb
et peuvent même n'être pas connus de lui ; il s'agit bien, comme
vous le dites, de quelque chose de plus "direct", et qui
est en quelque sorte en dehors des fonctions définies et délimitées,
si élevées qu'elles soient ; et c'est pourquoi le nombre des Afrâd
est indéterminé. On emploie quelquefois cette comparaison : un
prince, même s'il n'exerce aucune fonction, n'en est pas moins, par
lui-même, supérieur à un ministre (à moins que celui-ci ne soit
aussi prince lui-même, ce qui peut arriver, mais n'a rien de
nécessaire) ; dans l'ordre spirituel les Afrâd sont
analogues aux princes, et les Aqtâb aux ministres ; ce n'est
qu'une comparaison, bien entendu, mais qui aide tout de même un peu
à comprendre les rapports des uns et des autres. »
Tout cela incite bien sûr à voir dans
les Afrâd le type des initiés définis dans « Sagesse innée
et Sagesse acquise », et c'est ce qui explique leur indépendance à
l'égard de la « juridiction » du Pôle. Celui-ci, qui du fait de
sa position centrale, reçoit les influences spirituelles et les
répartit en quelque sorte dans toutes les organisations initiatiques
existantes (et par extension dans les formes exotériques dont elles
représentent le « noyau » [45]), « connaît » ainsi d'une
manière « essentielle » tous les initiés, puisqu'il est en
somme à l’origine de leur génération spirituelle. Les Afrâd
au contraire, du fait qu'ils apportent avec eux dans le monde humain,
une réalisation acquise dans un état antérieur, ne lui sont pas
soumis par là même [46] ; et c'est alors El-Khidr qui représente
pour eux un aspect du Guru intérieur. Cette assimilation fait
d'autant moins difficulté que, selon Ali Wafa — un soufi du XIVe
siècle — cité par Henry Corbin [47], « chaque spirituel entend
dans la voix d'un Khizr l'inspiration de son propre Esprit-Saint, de
même que chaque prophète perçoit dans la forme d'un Ange Gabriel
l'Esprit de sa propre prophétie ». Il faut encore ajouter qu'Ibn'
Arabî reçut l’investiture d’El-Khidr sous la forme du rite du
manteau, qui rappelle bien sûr la transmission qui s'effectua d'Elie
à Élisée. Quant à Guénon, c'est bien sous la guidance directe
d'El-Khidr [48] qu'il pratiquait — outre l'Islam — la
Tradition primordiale...
Et c'est parce qu'El-Khidr lui avait
demandé de le « rejoindre » que Guénon, selon une pratique connue
en soufisme mais qui n'est certes pas donnée à tous, quitta — en
apparence — ce monde en retenant son souffle. En apparence,
disons-nous, car il est plus « actif » que jamais. Bien qu'il ait
réalisé l'Identité Suprême immédiatement après sa mort, et donc
transcendé la multiplicité des états de l'Être, il réapparaîtra
tout comme Saint Louis avant la fin du cycle (pour des raisons
« fonctionnelles ») en même temps que les élus qui,
occupant le centre de l'état humain, sont directement concernés, on
l'a vu, par la première résurrection.
Vingt ans auparavant, déjà, soit au
lendemain de son installation en Égypte, Guénon avait en quelque
sorte annoncé la forme que prendrait sa « disparition ». Il
écrivait en effet dans Le Voile d'Isis de novembre 1931 [49],
à l'adresse des contre-initiés qui avaient « infiltré » la Revue
Internationale des Sociétés Secrètes : « [...] du reste, si
on continue à nous… empoisonner avec la "personnalité de
René Guénon", nous finirons bien quelque jour par la supprimer
tout à fait ! Mais nos adversaires peuvent être assurés qu’ils
n’y gagneront rien, tout au contraire... ».
Aussi « fantastique » que cela puisse
sembler à qui a été de trop longue date habitué, voire contraint,
à ne considérer que la surface des choses, ce sont bien des
sectateurs de cultes contre-initiatiques qui tentèrent d'empêcher
par tous les moyens que la fonction de Guénon s'accomplît. Les
preuves de cette action, consciente, délibérée, protéiforme, sont
évidentes, et confondantes pour la mentalité rationaliste qui ne
veut voir toujours et partout que conflits d'intérêts politiques et
économiques, à la rigueur oppositions entre des perspectives «
philosophiques » différentes (que l'on s'empresse d'ailleurs de
rattacher aux catégories précédentes), mais à qui la possibilité
d'un tel « drame cosmique », s'il est permis de s'exprimer ainsi,
apparaîtrait comme tout à fait « mythique », c'est-à-dire
invraisemblable et, à franchement parler, ridicule et inconvenante.
A moins toutefois qu'on ne préférât, pour sauver ce qui peut
l'être d'un auteur « cautionné », sinon compris, par des membres
distingués de l'établissement intellectuel, ne voir dans tout cela
qu'un conflit « symbolique », c'est-à-dire tout aussi inexistant
que s’il eût été mythique », mais avec la nuance péjorative en
moins. Certains n'eurent pas ces scrupules, tel Michel Le Bris [50],
s'offusquant de certaine « attaque d'ours » contre-initiatique dont
il sera parlé plus loin, et qu'il étiquette aussitôt « vision »
ou « léger délire »...
Oui, en vérité, la plus grande ruse
du diable, comme le disait entre autres Baudelaire, est de faire
croire qu'il n'existe pas. Mais aussi, combien affligeant est
l'aveuglement de nos contemporains. Il est certes évident que
ceux-là même qui prennent une part plus ou moins publique à
certaines entreprises suspectes, sont souvent inconscients de ce à
quoi ils servent de support, à quelque « camp » ou à
quelque « parti » qu'ils appartiennent, mais il n'est pourtant pas
bien difficile de deviner ce qui, dans l'ombre, manœuvre ce tragique
théâtre de marionnettes qu'est le monde moderne...
La contre-initiation commença à s'«
occuper » de Guénon alors qu'il n'avait pas encore vingt ans, mais
il s'agissait en l'occurrence d'une tentative de « récupération »
dont subsiste la trace « littéraire » [51]. Nous voulons
parler de quelques poèmes et d'un roman inachevé, Intitulé La
Frontière de l’Autre Monde, que Jean-Pierre Laurant propose de
dater vers 1905 ou 1906, ce qui est au moins vraisemblable. On y
relatait entre autres un épisode particulièrement scabreux : après
avoir assisté à une séance d'invocation à laquelle se
présentaient des démons, le jeune héros recevait, dans un camp de
Bohémiens, « une initiation en forme de travaux maçonniques avec
une ouverture et une fermeture. En présence de Belphégor lui-même,
il devenait Prince Rose-Croix, en s'appuyant sur le Mal par "la
voie gauche et grâce à la puissance noire […]» Au terme de cette
initiation luciférienne, Samaël apparaissait, portant le sceptre en
fer du domaine de la mort...
« Cette nuit-là, mon sommeil fut
agité par d'affreux cauchemars : il me semblait être assailli
par des bandes de démons et la vision de Samaël m'obsédait sans
cesse... »
Cet épisode, que l'on se rassure,
n'avait rien d'autobiographique. L'inspiration en était purement
« onirique », selon un procédé contre-initiatique qui
commence à nous être familier. Rien n'empêchait en effet la
contre-initiation (qui ne peut connaitre des êtres que ce qui, en
eux, appartient au monde intermédiaire) de ne voir en Guénon qu'une
individualité d'une puissance animique exceptionnelle, qu'il
convenait de recruter au plus vite ! Guénon de son côté, du fait
de sa génération spirituelle très particulière, n'était pas
alors « armé » pour reconnaître l'Adversaire. Mais cet
intérêt manifesté par la contre-initiation attira aussi... celui
du Pôle, qui autrement n'eût pas connu Guénon, et qui bien sûr
l'aida en cette périlleuse occurrence. (C'est Abdul-Hadi qui, par la
suite, constituerait le lien « physique » entre Guénon
et le Pôle.)
Ainsi était en somme préfiguré, par
le destin de Guénon, le moment où les initiés relevant du Pôle et
ceux relevant d'El-Khidr, œuvreraient désormais en commun. («
Association » qui est intervenue il y a quelques mois.) Dès lors,
il n'allait plus être question pour les puissances d'en bas, de
s'assurer le concours de Guénon, mais bien de le supprimer purement
et simplement.
Les premiers adversaires (ni
« politiques », ni « philosophiques »...) que
Guénon rencontra sur son chemin furent Charles Détré (alias
Téder), Joanny Bricaud et Charles Nicoullaud. Charles Détré [52]
n'avait de remarquable à première vue qu'une énorme érudition
historique dont il usait fort habilement, mais surtout pour
« truquer », certains documents et les interpréter à
sa guise. (Il fut apparemment si fécond que des « faux »
relevant de son art doivent encore apparaître dans les prochains
mois.)
Il avait commencé sa carrière
littéraire par la publication d’un ouvrage antimaçonnique (ce qui
était semble-t-il dans certain milieu une indispensable
propédeutique) intitulé Les Apologistes du Crime, puis il
avait fait du journalisme en Belgique avant d'être expulsé à la
suite d’une affaire de chantage. Il était alors passé en
Angleterre où il avait fait la connaissance de John Yarker, et c'est
de celui-ci que de même que Papus, il tenait tous les grades
maçonniques plus ou moins authentiques, et en tout cas irréguliers,
dont il était décoré. Il avait j'ailleurs pris sur Papus — Grand
Pontife de l'occultisme français en générai et du Martinisme en
particulier — un ascendant d'autant plus étonnant que jusque-là,
celui-ci s'était toujours arrangé pour écarter les gens
susceptibles de lui porter ombrage. L'antimaçonnisme réel de Téder,
en dépit de ses faux titres, trouva d'ailleurs son complément dans
celui de Papus. Le docteur Encausse, en effet, paraissait ne
s'attaquer qu'au seul Grand Orient, coupable de rationalisme, mais
en fait, et pour ne donner qu'un exemple, tous les Martinistes du
deuxième degré, hommes et femmes, recevaient communication des mots
et signes des trois grades de la Maçonnerie symbolique, sans qu'il
leur soit demandé aucun serment, et cela sous le prétexte que,
auXVIIIe siècle, l'initiation dans l'Ordre des Élus Cohens, dont le
Marinisme se prétendait bien à tort l'héritier, présupposait la
possession de ces trois grades.
Quoi qu'il en soit, Téder profita de
son influence sur Papus pour éliminer Guénon du milieu martiniste —
où sa fonction était sans nul doute de surveiller et de «
dissoudre » certaines influences. Guénon avait en effet appartenu à
la Loge Humanidad, dont Téder était le vénérable, et qui
relevait du « Rite National Espagnol », une organisation
pseudo-maçonnique tout à fait irrégulière, et en étroite
connexion avec le Martinisme. Téder, pour impressionner Papus,
fabriqua toute une série de fausses lettres de Guénon, dont, chose
remarquable, il ne pouvait jamais montrer que des photographies, mais
dont il fit néanmoins la base d'un « rapport ». Enfin,
n'étant tout de même pas très sûr que Papus ne se ressaisirait
pas au dernier moment, il profita de son absence pour faire prononcer
l'exclusion de Guénon par quelques pauvres gens rassemblés à
grand-peine. Il faut préciser en effet que la fameuse Loge Humanidad
avait déjà cessé d'exister en fait et ne se réunissait plus ; ce
fut là sa dernière manifestation. Pourtant, cette prétendue «
exclusion de la Maçonnerie » allait servir à plusieurs générations
d’occultistes, dans leurs inlassables attaques Contre Guénon,
qu'ils poursuivaient d'une haine vigilante [53]
Le piquant de l'affaire est que les
personnages dont il vient d'être question ne furent jamais Maçons
réguliers : Papus, malgré tous ses efforts, fut constamment refusé
(et cela même à la Loge Le Libre Examen, dont cependant son
père était membre) ; quant à Téder, on sait d'où venaient ses
titres. Cela dit, ce dernier avait d'excellentes raisons d'écarter
Guénon. Il craignait en effet (et à juste titre !) que celui-ci ne
vît clair dans son jeu, à propos d'une certaine campagne dont nous
avons déjà évoqué les arrière-plans, et qui constitua en quelque
sorte le « chef-d’œuvre » de cet érudit faussaire. Dans la
revue Hiram, Téder avait en effet lancé des attaques contre
Guénon, bien sûr, mais aussi contre le templarisme maçonnique (en
d'autres termes contre la reconnaissance d'une filiation entre
l'Ordre du Temple et la Maçonnerie) et, chose encore plus
surprenante en apparence, contre le Grand Orient, coupable de
mentionner dans son « annuaire », en tête de la liste des grands
maîtres, les noms de deux Écossais jacobites : le chevalier James
Hector Macleane et Charles Radcliffe, comte de Derwentwater, fait
prisonnier à la bataille de Culloden et décapité.
Mais quel que fût
le talent avec lequel Téder exerçait sa coupable industrie, — et
qui impressionna tant le Grand Orient qu'il eut la faiblesse de rayer
de sa liste les deux Écossais — il ne pouvait cependant empêcher
que tôt ou tard la vérité prévalût, fût-ce, ironie du destin,
par le biais de découvertes « érudites », en l'occurrence de
documents suédois » tout à fait indiscutables. Et le Grand Orient
repentant rendit aux deux partisans jacobites les honneurs qui leur
étaient dus — en oubliant toutefois le premier d'entre eux,
Wharton, dont nous n'avons pas oublié la paradoxale carrière.
L'enjeu de cette querelle dépassait bien sûr très largement le
cadre de l'érudition ou même de la vérité historique, et l'on a
compris qu'il était question en tout cela d'influences « opératives
» visant à « rectifier » la déviation spéculative — ce qui
n'était évidemment pas du goût de la contre-initiation.
Quant à Joanny Bricaud, alias Jean des
Esseintes, alias Sa Béatitude Johannès II, il succéda à Téder à
la tête du Martinisme, dont le rôle suspect en bien des domaines ne
devait plus, des lors, se démentir. Guénon évoquait Bricaud en ces
termes, dans une lettre datée du 22 mai 1932: « [...] bien qu'il
soit certainement beaucoup moins intelligent que Cr. [Aleister
Crowley], je le crois beaucoup plus dangereux en réalité. »
Et il précisait à Julius Evola, le 28 février 1948, à propos de
la sorte de « danger » présenté par les
contre-initiés : pour ce qui est des maléfices (envoûtements),
il existe une grande différence entre les vrais sorciers comme ceux
auxquels nous avons affaire et les simples « occultistes »
qui malgré leurs prétentions ne parviennent jamais à de réels
résultats.
« Lorsque vous me dites que ces
actions ne devraient pas pouvoir atteindre ceux qui ont une stature
spirituelle, il convient de faire une distinction. Si vous vous
référez au domaine psychique et mental, vous avez complètement
raison. Mais il n'en va pas de même dans le domaine physique dans
lequel n'importe qui peut être atteint. Au reste, étant donné que,
selon la Tradition, des sorciers parvinrent à rendre malade le
Prophète, je ne vois vraiment pas qui pourrait se vanter d'être à
l'abri des attaques de leurs semblables. »
Guénon, auparavant, avait donné dans
cette même lettre à Evola l'explication d'une curieuse « crise
de rhumatismes » : « Ce que vous me dites me fait
souvenir de ce qui m'est arrivé à moi-même en 1939 quand je dus
rester six mois durant étendu dans un lit sans pouvoir me retourner
ni faire aucun mouvement.
« Pour les gens, il se serait agi
d'une crise de rhumatismes, mais en réalité, il s'agissait de bien
autre chose et nous savons très bien qu'inconsciemment, cela servait
de véhicule à une influence maléfique (c'était la seconde fois
que cela se produisait, mais la première fois la chose avait revêtu
une moindre gravité).
« Des mesures furent prises pour
l'éloigner et pour que cela ne puisse plus revenir en Égypte ;
depuis lors, il ne s'est plus rien produit de semblable. »
Déjà, à Paris, Guénon avait été
souvent en butte aux agissements de « magiciens noirs ». C'est
ainsi qu'un jour, prévenu d'une « attaque », il était sorti pour
la dérouter. Rentrant chez lui en compagnie d'un ami, ils
constatèrent qu'une des vitres de son bureau avait volé en éclats,
comme sous l'impact d'un projectile, mais avec cette particularité
que les éclats de verre étaient à l'extérieur, sur le rebord de
la fenêtre. Certaines fois, les attaques se « matérialisèrent »
sous la forme d'animaux noirs, ce qui nous ramène directement aux
mystères de Set-Typhon. Dans une lettre du 22 avril 1932 adressée à
l'un de ses correspondants qui lui aussi avait eu des « ennuis »,
Guénon mettait en effet ces attaques en rapport avec le dieu à la
tête d'âne : « Il me paraît à peu près sûr que c'est bien là
le vrai centre de toutes les choses malfaisantes que vous savez. J'ai
pu me rendre compte qu'on emploie dans certains rites le sang
d'animaux noirs ; à ce propos, n'avez-vous jamais eu à constater
chez vous de manifestations prenant la forme desdits animaux ?
Il serait intéressant que je sache cela... » Et le 22 mai
1932, il expliquait à ce même correspondant « J'ai eu aussi une
attaque d'ours autrefois, au temps des histoires de Téder
["Orsone"] ; j'ai même eu au cou une morsure dont
j'ai gardé la marque pendant un certain temps. »
Rappelons que les attaques les plus
redoutables qu'il eut à subir, et qui réunissaient l'ensemble des
forces contre-initiatiques, furent suscitées par son rôle relatif à
Rennes-le-Château, où il ne se rendit jamais physiquement, mais où
il coordonna l'action « sur le terrain » de l'ésotérisme
chrétien.
Pour en revenir à Joanny Bricaud, dont
le caractère « dangereux » a été à l'origine de ces
considérations, son cas est d'autant plus significatif qu'il était
en outre le successeur de l'abbé Boullan (le docteur Johannès du
Là-bas de Huysmans, qui mit bien longtemps avant de découvrir
le caractère plus que suspect de son « héros »), lui-même
héritier plus ou moins légitime de Vintras, le « prophète de
Tilly-sur-Seules », qui se prétendait Élie réincarné, et fonda
un « Carmel » de sa façon. Cette ténébreuse histoire [54], en
étroite connexion avec l'énigme de Louis XVII — embrouillée à
dessein — et avec quelques fausses apparitions dont la moindre ne
fut pas celle de La Salette, constitua la trame du XIXe
siècle, agité souterrainement de convulsions insoupçonnées.
Guénon y fit allusion en ces termes dans L'Erreur Spirite
[55] « [...] aussi est-il fort possible que Vintras lui-même n'ait
été qu'un sataniste parfaitement inconscient, en dépit de tous les
phénomènes qui s'accomplissaient autour de lui et qui relèvent
nettement de la "mystique diabolique" ; mais peut-être ne
pourrait-on pas en dire autant de certains de ses disciples et de ses
successeurs plus ou moins légitimes ; cette question, d'ailleurs,
demanderait une étude spéciale, qui contribuerait à éclairer
singulièrement une foule de manifestations « préternaturelles »
constatées pendant tout le cours du XIXe siècle. »
Pour en terminer avec Joanny Bricaud,
héritier, comme on le voit, d'un inquiétant « dépôt », nous
ajouterons encore, à titre anecdotique, qu'il rédigea en 1926 une
petite biographie [56] du célèbre « Maître Philippe » de Lyon,
guérisseur qui fut vénéré comme un maître spirituel par nombre
d'occultistes, à commencer par Papus, et dont le rôle à la cour de
Russie, en cette période troublée qui précéda la révolution
bolchevique, demanderait lui aussi à être examiné de très près.
Il est assez édifiant de voir Bricaud — après avoir signalé que,
dès l'âge de six ans, certaines prédispositions inquiétaient le
prêtre qui éduquait Philippe — révéler en toute simplicité
l'origine de la vocation du « thaumaturge », que nous
livrons à notre tour à la méditation des dévots du « Maître
Philippe » (et en particulier de ceux qui, dans le Razès, se
croient « inspirés » par lui et appelés à une mission
particulière...) : « On raconte qu'à l'âge de treize ans, étant
tombé malade pendant qu'il était chez son oncle à la Croix-Rousse,
il fut guéri par une vieille sorcière qui lui dit, après lui avoir
examiné les lignes de la main : "Écoute, petit, me voilà
vieille ; je vois que tu es doué, je vais te donner mes recettes."
Il se mit, dès lors, à guérir les malades. »
Avec Charles Nicoullaud (alias
l'astrologue Fomalhaut), collaborateur éminent de la Revue
Internationale des Sociétés Secrètes, nous abordons une
nouvelle phase de l'action contre-initiatique qui, pendant de longues
années, trouva dans cette revue aux objectifs pour le moins ambigus,
un « support » de choix.
C'est en 1912 qu'un prêtre fort riche
et certainement de très bonne foi, l'abbé (puis Monseigneur) Jouin,
curé de l'église Saint-Augustin à Paris, fondait la R.I
.S.S., pour reprendre le flambeau de
l'antimaçonnisme « taxilien » aggravé d'un antijudaïsme
obsessionnel, ce qui ne témoignait pas d'un très grand discernement
mais laissait présager, en revanche, bien des péripéties
fantastiques. A vrai dire, ceux qui avaient manipulé Taxil ne
laissèrent pas passer l'occasion, si même ils ne la suscitèrent
pas, et Mgr Jouin devint bientôt un simple prête-nom, couvrant de
véritables énormités. Le directeur effectif de la R.I.S.S. fut
donc Charles Nicoullaud, un ex-Maçon, et soi-disant catholique, ce
que n'indiquaient guère deux romans qu'il avait entre autres commis
: L'Expiatrice et Zoé la Théosophe à Lourdes. Il
suffisait, pour être édifié sur leur teneur, de se reporter aux
notices du célèbre bibliophile Pierre Dujols[57], dans lesquelles
Charles Nicoullaud, « écrivain catholique »... et « réaliste »,
apparaissait comme un auteur de romans licencieux et anticléricaux,
où seule la Théosophie « s'en tire sans trop de mal »
Même l'antimaçon « officiel » ne
pouvait s'empêcher d'accepter avec empressement bien des choses
malpropres, en l'occurrence « certaines fantaisies
pseud-kabbalistiques, quelque peu déplacées dans une revue qui se
respecte [58] ». Et le Sphinx ajoutait : « Il y a longtemps que
nous sommes fixé sur la valeur de ce genre de travaux, car nous en
connaissons fort bien l'origine et l'inspiration, peut-être mieux
que ne les connaît M. Nicoullaud lui-même ; et nous ne désespérons
pas de voir apparaître un de ces jours, commenté selon toutes les
règles de l'"initiation verbale" et "littérale",
le fabuleux "Gennaïth-Menngog" de Rabbi Eliézer
Hakabir ! » Or, seize ans plus tard, et toujours dans la
R.I.S.S., Henri de Guillebert des Essars (Murena),
nouvel adversaire de Guénon, évoquait tout aussi imprudemment la
personnalité d'un certain Le Chartier[59], présenté comme une
sorte de « précurseur » méconnu, mais dont on devine qu'il avait
joué un rôle de premier plan dans l'affaire Taxil (le tristement
célèbre mystificateur marseillais — de son vrai nom Jogand-Pagès
— qui de 1885 à 1897 avait voulu convaincre les catholiques que la
Franc-Maçonnerie était vouée au culte de Satan)... Ceci donna
l'occasion à Guénon de signaler en passant qu'il possédait « un
important manuscrit de Le Chartier, intitulé Le Gennaïth-Menngog
de Rabbi Eliézer ha-Kabir, qui est bien ce qu'on peut imaginer
de plus extraordinaire dans le genre "pornographie érudite"
et qu'il nous a suffi de rapprocher de certains articles parus dans
les tout premiers numéros de la R.I.S.S., il y a à peu près vingt
ans, pour identifier aussitôt les origines intellectuelles, si l'on
peut dire, de l'auteur desdits articles, qui se dissimulait alors
sous l'étrange et « antechristique » pseudonyme
d'Armilous. Nous avons aussi quelques lettres du même Le Chartier,
dont une contient la traduction (?) du véritable Gennaïth-Menngog,
celui de Taxil-Vaughan, et dont une autre, avec signature en hébreu
rabbinique, renferme une bien curieuse allusion à un mystérieux
personnage qu'il appelle "son Maître" ; et tout cela ne
date pas d'hier [60]... » Qui était donc ce Le Chartier ou
Lechartier [61] ?
Né en 1853 à Pleugueneuc
(Ille-et-Vilaine), il fit de vaines tentatives chez les pères du
Saint-Esprit, avant de se sentir appelé à réformer de fond en
comble la philosophie. Après une période quelque peu aventureuse et
chaotique, sur le plan social, il adhéra à la cause de Naundorff,
le faux Louis XVII, et fréquenta les « voyants spirites » répandus
dans ce milieu. Il collabora à La Légitimité de l'abbé
Dupuy, après s'être installé à Toulouse, et publia en 1884 Le
Salut de la France ou Charles XI proclamé. Évasion, vie, identité
de Louis XVII. Puis il se sépara du groupe de l'abbé Dupuy et
donna les raisons de sa rupture dans Le Messager de Toulouse
dirigé par Firmin Boissin, membre de la Rose-Croix de Péladan,
et auprès de qui Lechartier joua peut-être un rôle analogue à
celui de Monti auprès du Sâr...
Marié et installé comme publiciste à
Toulouse, Lechartier continue à entretenir des relations avec les
pères du Saint Esprit (qui semblent néanmoins se méfier du «
personnage »), et est recruté à la rentrée de 1890 comme
professeur de grec pour un collège que la congrégation vient
d'acquérir à Castelnaudary, ce qui nous rapproche encore de
Carcassonne et du Razès... Il y provoquera un procès, qu'il perdra,
et sera congédié en 1894, avant que cet « érudit hébraïsant »,
« très au courant des idiomes orientaux et occultes », n'entre en
contact avec les amis d'Abel Clarin de la Rive, futur directeur de La
France chrétienne antimaçonnique, où écrira Guénon sous le
pseudonyme du « Sphinx ». Ainsi ce dernier put-il, selon toute
vraisemblance, entrer en possession de certains documents.
Par un remarquable paradoxe, le journal
d'Abel Clarin de la Rive vit la rencontre fugitive et tout à fait
trompeuse de l'antimaçonnisme taxilien et de ce que nous nous
risquerons à appeler l'antimaçonnisme traditionnel, en précisant
immédiatement ce que nous entendons par là : si celui-là,
prétextant de la dégénérescence de la Maçonnerie spéculative,
visait en réalité, comme le montra bien l'affaire Téder, la
véritable Maçonnerie opérative, « le Sphinx », tout au
contraire, se proposait à l'évidence un double objectif que nous
avons déjà évoqué : en désignant sans complaisance le fossé
qui séparait la Maçonnerie « visible » de ce qu'elle aurait dû
être, il en faisait, aux yeux des catholiques intelligents, une
organisation victime de la misère des temps, et non point «
intrinsèquement perverse » ; et dans le même mouvement, il
exhortait implicitement les Maçons lucides à retrouver le sens de
la Tradition.
L'antijudaïsme des singuliers «
catholiques » de la R.I.S.S , mis en parallèle avec leur
antimaçonnisme, n'était pas moins « intéressant » bien
sûr si l'on se souvient de la fonction eschatologique «
récapitulative » assignée conjointement au véritable
judaïsme et à la véritable Maçonnerie. Et, à cet égard,
l'installation dans l'Aude de Lechartier pourrait bien constituer un
indice supplémentaire, puisque, comme nous le savons, le Razès est
« dévolu » au judaïsme — dont il partage la « vulnérabilité
» spécifique face aux forces de subversion (voir le
pseudo-messianisme représenté par le Grand Monarque) — et
puisque, comme nous le savons aussi, c'est sa fonction à l'égard de
ce même Razès qui valut à Guénon les plus redoutables attaques
contre-initiatiques. Ce dont, encore une fois, les dessous de
l'affaire Téder semblent apporter la preuve manifeste, de même que
sa longue « polémique » avec cette R.I.S.S dont
l' « antijudéomaçonnisme » n'offre désormais plus
de secrets pour nous...
Mais, toujours en relation avec la «
face obscure » du Razès, il est un autre thème récurrent de la
R.I.S.S. que nous n'avons pas encore abordé : ses
efforts désespérés pour identifier le « Roi du Monde » au «
Prince de ce Monde », en diabolisant l'Agarttha. Ce à quoi
les rêveries théosophistes sur la « Grande Loge Blanche », cette
grossière parodie, ne l'aidaient que trop. Comme pour la Maçonnerie,
la tactique était au fond d'une grande simplicité : se servir de la
contrefaçon pour atteindre l'original. Cela présente un double
avantage. Dans une période préparatoire et pour un public «
sérieux » susceptible de retrouver la voie de la Tradition, on
discrédite définitivement cet original en l'identifiant à des
contrefaçons particulièrement ridicules ou odieuses ; à long
terme, on vise un public beaucoup plus vaste qui lorsque l'outrance
délibérée des attaques aura finalement suscité l'incrédulité
relativement au « satanisme » ne retiendra plus que les
fausses assimilations. Et ces contrefaçons, passant pour
authentiques, seront d'autant plus faciles à réhabiliter que les
attaques « subies » auront été plus grossières et plus
stupides...
Et pour cette sinistre tâche, les
alliés objectifs ne manquaient pas ! Ainsi par exemple d'Aleister
Crowley, contre-initié et espion notoire travaillant à la fois pour
l'Angleterre et pour l'Allemagne, et qui entourait ses « diableries
» pseudo-maçonniques de toute la publicité souhaitable, ce qui
allait trop bien dans le sens des « idées » de la
R.I.S.S. Certes, il arrive en de semblables occurrences que,
tout en étant manipulés pour un même but, les « antagonistes »
soient suffisamment inconscients du rôle qu'on leur fait jouer pour
se croire réellement adversaires. Ce n'était pas le cas pour
Crowley et les gens de la R.I.S.S., comme nous le révèle une
lettre de Guénon à Renato Schneider en date du 5 novembre 1936 : «
[...] Quoi qu'il en soit, le gros recueil de documents publiés par
des ex-collaborateurs de la R.I.S.S. [62]
m'a donné, d'une façon inattendue, l'occasion d'avoir la
preuve de leur connivence, que j'avais soupçonnée depuis longtemps,
avec le fameux Aleister Crowley... »
Déjà en effet, dans Le Voile
d'Isis de février 1930 [63] en rendant compte de l'article d'un
antimaçon, l'abbé Tourmentin, qui évoquait ses souvenirs sur la
mystification taxilienne dans une vraie revue catholique, La Foi
Catholique, Guénon avait reproduit en la commentant une note de
la rédaction de cette revue, ainsi conçue « On ne s'explique guère
le motif de cet incroyable essai de résurrection du "taxilisme".
On se l'explique d'autant moins que les preuves nouvelles, annoncées,
clamées à son de trompe, se réduisent exactement à rien. »
(C'est tout à fait notre avis [ajoutait Guénon] ; et la note en
question se termine par cette phrase qui pourrait donner la clef de
bien des choses : L'Intelligence Service a
prodigué cette année les secrets de cette espèce. Ce n'est
ras rassurant." De tout cela, jusqu'ici, la R.I.S.S. n'a
pas soufflé mot.
Pour ce qui concerne l'inversion
délibérée du symbolisme de l'Agarttha et du Roi du Monde,
auxquels il convenait dans cette première phase d'associer les
connotations les plus négatives, ce n'est sûrement pas par hasard
que le nazisme prit comme emblème le swastika, le symbole du
Pôle, et que certains voulurent situer l'Agarttha en
Allemagne, tandis que d'autres (en fait, les mêmes !) prêtaient
à Guénon des liens (imaginaires) avec ce pays : « Enfin, nous
avons eu la stupéfaction d'apprendre que nous avions "de
nombreux amis" en Allemagne ; nous étions bien loin de nous en
douter, car ils ont toujours négligé de se faire connaître à
nous, et il se trouve justement que c'est un des rares pays où nous
n'ayons aucune relation [...] [64]. »
Les calomniateurs de Guénon, en
revanche, ne pouvaient certainement pas en dire autant ! Le Maître
écrivait en effet à Renato Schneider le 4 septembre 1938, à propos
d'un article paru dans L'Intransigeant, journal qu'il
qualifiait d'« organe officieux de l'I.S. anglais en France »
: « Ce qu'il y a de vrai, c'est que, au début de l'affaire
d'Hitler, il n'y a pas eu seulement Trebitsch-Lincoln [qui était
juif...], mais aussi Aleister Crowley et un certain colonel
Ettington » Dès le 13 septembre 1936, Guénon écrivait à R.
Schneider, à propos du premier nommé : « Trebitsch-Lincoln, qui
est un agent connu de la "contre-initiation", est passé,
lui aussi, par bien des transformations successives, et il a toujours
été mêlé à de multiples espionnages ; il a été simultanément
au service de l'Angleterre et à celui de l'Allemagne, tout comme son
confrère Aleister Crowley... Depuis qu'il est devenu le "Lama
Dorji-Den", il a séjourné un certain temps au Canada, puis il
est revenu en Europe, à la tête d'un groupe de "Lamas" du
même genre (parmi lesquels il y a plusieurs Français), et s'est mis
à recruter des fonds pour établir un monastère bouddhique en
Suisse. Je soupçonne, d'après certaines allusions, qu'il est en
relations assez étroites avec le "Bouddha vivant" susdit,
lequel est même mêlé aussi au projet du monastère bouddhique.
Voilà déjà plusieurs fois qu'il y a des projets semblables (et
toujours en Suisse), qui n'ont jamais abouti, et qui ont toujours
tourné plus ou moins en escroquerie... » Le « Bouddha
vivant » susdit, lequel est même mêlé aussi au projet du
monastère bouddhique. Voilà déjà plusieurs fois qu'il y a des
projets semblables (et toujours en Suisse), qui n'ont jamais abouti,
et qui ont toujours tourné plus ou moins en escroquerie... »
Le « Bouddha vivant » dont
parle Guénon descendait tantôt de Gengis-Khan, tantôt des anciens
rois khmers, entre autres prestigieuses ascendances, et il se parait
des noms et des titres les plus flatteurs. Il était aussi
l'inspirateur de Mrs Bailey, une ancienne théosophiste plus ou moins
dissidente qui prétendait, selon la coutume de ce milieu, écrire
sous la dictée d'un « Maître » dont on voit que, comme les autres
inspirateurs de multiples ouvrages théosophistes, il n'avait rien
d'une « entité astrale ».
Quoi qu'il en soit, nous étions là,
bien sûr, au coeur de la mystification — point innocente ! — de
la « Grande Loge Blanche » chère à tous les théosophistes et à
de nombreux « néo-spiritualistes » de toute obédience. Comme on
s'en doute, cette inversion du symbolisme de l'Agarttha
survécut à la disparition de la R.I.S.S. On en trouvait
encore en 1948 un exemple significatif dans le numéro spécial des
Études Carmélitaines consacré à Satan. Albert
Frank-Duquesne, catholique d'origine juive et descendant du faux
messie Jacob Frank [65], y évoquait, entre autres fantaisies
occultistes et théosophistes, qualifiées de « traditions
initiatiques », « le cas de deux victimes de l'Agarttha
foudroyées à distance après avertissement », et traduisait
inévitablement Sâr ha-ôlam par « Prince de ce Monde » -
ce que Guénon qualifiait de « véritable énormité [66] ».
Insinuations fielleuses de la R.I.S.S.
ou explosion de rage de Frank-Duquesne, toutes ces attaques visaient
celui qui, pour la première fois en Occident, avait exposé les
données traditionnelles relatives à l'Agarttha et au Roi du
Monde. C'est ce que ne pouvaient souffrir les inspirateurs de ces
campagnes calomnieuses, — dont, soyons-en sûrs, le mont Alaric et
la contre-Agarttha « virtuelle » qu'il porte en ses flancs, ne
quittaient pas les ténébreuses pensées. La haine vigilante qu'ils
vouaient tous à Guénon était d'autant plus « justifiée » (si
l'on ose dire !) que celui-ci, comme nous le savons, n'avait pas
publié Le Roi du Monde à une date indifférente : ce livre «
accompagnait » en effet la venue du... Roi du Monde en France,
qu'annonçait déjà le retour de la « pierre noire d'Ourga ».
Quant au haut lieu qui, non point encore, mais dans un proche avenir,
doit servir de « réceptacle » au Centre suprême, a-t-on oublié
le symbolisme « récapitulatif » du Puy-en-Velay ?...
Ainsi donc, en filigrane des
affrontements entre Guénon et la contre-initiation, c'était le rôle
eschatologique de la France qui se dessinait, sous ses deux aspects
antagoniques. Avant que ne surgisse de la caverne maudite de l'Alaric
l'Abomination de la Désolation, préfigurée en mode mineur par tous
les envoyés plus ou moins « astraux » de la « Grande
Loge Blanche » ou des « fraternités spirituelles »
innombrables préparant l'« Ère du Verseau » et la venue du Grand
Monarque, il fallait bien que se dressât le témoin de la Tradition.
Il le fallait pour que les « élus », en attendant que le Mahdi les
rassemble à la veille de l'épreuve suprême, pussent échapper aux
pièges qu'on leur préparait, que ce fût sous l'Alaric ou sur le
mont des Oliviers, à Coustaussa, pour ne rien dire encore du
sinistre pic de Bugarach, ce Sinaï noir du Razès, où nous sommes
ainsi ramenés, de gré ou de force...
______________________________
[1] Cf. Études sur la
Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, t. I.
[2] Allusion à un « roman fantastique
et anonyme » d'inspiration « taxilienne », et autour duquel on
avait fait grand bruit dans les milieux antimaçonniques. Dans une du
lettre du Caire datée du 18 octobre 1930, Guénon donnait
l'explication de cette énigmatique mention : » Il y a
ici, derrière El-Azhar, un vieux bonhomme qui ressemble étonnamment
aux portraits que l'on donne des anciens philosophes grecs, et qui
fait d'étranges peintures. L'autre jour, il nous a montré une
espèce de dragon avec une tête humaine barbue, coiffé d'un chapeau
à la mode du XVIe siècle, et six petites têtes d'animaux divers
sortant de la barbe. Ce qui est tout à fait curieux, c'est que cette
figure ressemble, presque à s'y méprendre, à celle que la
"R.I.S.S." a donnée il y a un certain temps, à propos de
la fameuse "Élue du Dragon", comme tirée d'un vieux livre
qui n'était pas désigné, ce qui rendait son authenticité plutôt
douteuse. Mais le plus fort, c'est que le bonhomme prétend avoir vu
lui-même cette drôle de tête et l'avoir dessinée telle quelle »
[3] Dans une lettre du 24 septembre
1929 (« Les Avenières par Cruseilles [Haute-Savoie] »), Guénon
écrivait, toujours sur le mode « suggestif » et, s'il nous est
permis de le dire ainsi, « faussement interrogatif », par lequel
il... aiguillait ses correspondants sur des sujets délicats : «
Tout ce que vous me dites sur la région des Alpes est bien curieux,
et il doit y avoir quelque chose de vrai là-dedans. Je ne sais pas
s'il y a encore quelque chose de vivant dans cette région, mais, en
tout cas, voici des choses assez étranges : nous sommes ici sur le
mont Salève, dont le nom semble être encore une forme de
Montsalvat, et, tout à côté, il y a aussi un mont de Sion !
Le nom de Cruseilles est assez remarquable également :
c'est à la fois le "creuset", dont le sens est tout à
fait hermétique, et la "creusille", c'est-à-dire la
coquille des pèlerins. » Ces brèves mentions référaient en même
temps au rôle eschatologique du Dauphiné et à la réalisation
spirituelle de René Guénon, dont nous n'avons pas oublié ce qu'il
disait dans « A propos des pèlerinages », de cette coquille ou
creusille, rapprochée du creuset, « ce qui nous ramène à l'idée
d'épreuves, envisagée plus particulièrement selon un symbolisme
alchimique, et entendue dans le sens de la "purification",
la Katharsis des Pythagoriciens, qui était précisément la
phase préparatoire de l'initiation. » Il s'agissait ici du terme
des petits mystères ; et dans le même article, Guénon mettait bien
sûr la coquille en rapport avec le « chemin de saint Jacques »,
évoquant les « voyages célestes » en corrélation avec les «
voyages terrestres », tout cela faisant pressentir « une certaine
correspondance entre la situation géographique des lieux de
pèlerinages et l'ordonnance même de la sphère céleste
[souvenons-nous du mont Aiguille...] ; ici, la "géographie
sacrée" [...] s'intégrera donc dans une véritable
"cosmographie sacrée". »
Enfin, le 29 septembre 1929, Guénon
confiait au même correspondant : « Depuis que je vous ai
écrit, j'ai découvert un véritable gisement d' "œufs de
serpent" sur un des versants de la montagne, dans une sorte de
ravin qui descend directement sur une localité appelée Saint-Blaise
(vous savez la signification celtique de ce nom) ; tout cela est
vraiment bizarre. »
[4] Paru dans les Études
Traditionnelles de décembre 1936 et repris dans Formes
traditionnelles et Cycles cosmiques, éd. Gallimard, 1970.
[5] « Il est à peine besoin de faire
remarquer que le cas de livres déposés rituellement dans un
véritable tombeau est tout différent de celui-là. »
[6] « Voir notre étude sur Sheth
[chapitre XX de Symboles fondamentaux de la Science sacrée.]
L'Agathodaimôn des Grecs est souvent identifié aussi à
Kneph, représenté également par le serpent, et en connexion avec
l'"Œuf du Monde", ce qui se réfère toujours au même
symbolisme [souvenons-nous des œufs de serpent "savoyards"
mentionnés par Guénon dans sa correspondance...] ; quant au
Kakodaimôn, aspect maléfique du serpent, il est évidemment
identique au Set-Typhon des Égyptiens. »
[7] « Il peut être curieux de
remarquer que le mot muthalleth désigne aussi le triangle,
car on pourrait, sans trop forcer les choses, y trouver quelque
rapport avec la forme triangulaire des faces de la Pyramide, qui a dû
être déterminée aussi "par la sagesse" de ceux qui en
établirent les plans, sans compter que le triangle se rattache par
ailleurs, au symbolisme du "pôle" et, à ce dernier point
de vue, il est bien évident que la Pyramide elle-même n'est en
somme qu'une des images de la "Montagne sacrée". »
[8] A
Message from the Sphinx. Cf.
Formes traditionnelles et Cycles cosmiques.
[9] Cf. « Hermès », in
Formes traditionnelles et Cycles cosmiques.
[10] « Voir Le Roi du Monde,
Chap. III. »
[11] « Autour du bâton d'Esculape est
enroulé un seul serpent, celui qui représente la force bénéfique,
car la force maléfique doit disparaître par là même qu'il s'agit
du génie de la médecine. — Notons également le rapport de ce
même bâton d'Esculape, en tant que signe de guérison, avec le
symbole biblique du "serpent d'airain" (voir à ce sujet
notre étude sur Sheth [chapitre XX de Symboles
fondamentaux de la Science sacrée]). »
Nous ajouterons que cette seule force
bénéfique enroulée autour du bâton d'Esculape doit
vraisemblablement être identifiée dans la géographie sacrée
française au méridien d'El-Khidr qui, comme nous le disions plus
haut, génère le "sang" graalique. Quant à l'aspect
maléfique de ces mystères, sans doute faut-il le chercher dans ce «
carré des Bermudes » atlantéen dont nous connaissons déjà la
structure. Ici, la force cosmique négative serait symbolisée par
l'axe qui, issu des représentations géantes de Nazca (analogues,
mais en mode inversé, au Zodiaque du Verdon ») passe justement par
le rocher central de San Banago, « pointe » de la pyramide
atlantéenne dont les quatre autres rochers définissent la base.
[12] « Il est dit qu'ils doivent se
manifester de nouveau sur la terre à la fin du cycle : ce sont
les deux "témoins" dont il est parlé au chapitre XI de
l'Apocalypse. » (Peut-ètre ces deux témoins doivent-ils
s'entendre, d'abord, de la manifestation particulière des traditions
abrahamiques – le christianisme étant identifié à Hénoch, et le
judaïsme et l’Islam à Élie et El-Khidr qui appartiennent en
effet à la même « famille spirituelle ». Et ceci, sans
doute, dans le cadre de la fonction du Mahdi.)
[13] « Il incarne en quelque sorte la
nature du "feu philosophique", et l'on sait que, d'après
le récit biblique, le prophète Élie fut enlevé au ciel sur un
"char de feu ; ceci se rapporte au véhicule igné (taijasa
dans la doctrine hindoue) qui, dans l'être humain, correspond à
l'état subtil (voir L'Homme et son devenir selon te Vedânta,
chap. XIV). »
[14] « Voir L'Homme et son devenir
selon le Vêdânta, chap. I. — Rappelons aussi, au point de vue
alchimique, la correspondance du Soleil avec l'or, désigné par la
tradition hindoue comme la "lumière minérale" ; "l’or
potable" des hermétistes est d'ailleurs la même chose que le
"breuvage d'immortalité" qui est aussi appelé "liqueur
d'or" dans le Taoïsme. » Et comment ne pas voir dans ce
symbole solaire… et gaulois par excellence : le coq d'or
rouge qui battit des ailes lorsque le Khalife EI-Mamûn penetra
dans la « Chambre du Roi », le gardien de la « Coupe sainte »
provençale, dont il parachève le mystère...
[15] « Voir Le Symbolisme de la
Croix, chap.IX. »
[16] Si la descente de la Jérusalem
céleste s'effectue bien sûr selon l'axe vertical que nous savons,
cette quadrature du cercle est déjà virtuellement représentée
dans la géographie sacrée française, par les quatre « pierres
d'angle » où passe notre « spirale involutive », attendant de se
fixer.
[17] Jean Markale, Carnac et
l'énigme de l'Atlantide.
[18] Cf. R. Guénon, L'Erreur
Spirite, éd. Traditionnelles, Deuxième Partie, chap. VI, « La
réincarnation ».
[19] Lettre de Guénon à Renato
Schneider, du 13 septembre 1936.
[20] P. Chacornac, La Vie simple de
René Guénon, éd. Traditionnelles, 1958.
[21] Cf. Etudes sur la
Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, t. I.
[22] La France Antimaçonnique,
14 août 1913.
[23] Ibid., 20 novembre et 4
décembre 1913 ; repris dans Études sur la Franc-Maçonnerie et
le Compagnonnage, t. I.
[24] Ce qui n'exclut nullement une
autre acception de ce symbolisme, en rapport cette fois avec les
Kerubim, « les "tétramorphes" synthétisant en eux
le quaternaire des puissances élémentaires », et qui réfèrent
directement, eux aussi, à l'état primordial.
[25] Reprise dans Le Théosophisme,
histoire d'une pseudo-religion.
[26] Pseudonyme de Charles Nicoullaud.
[27] Fraternité que l'on peut
rapprocher, avec Paul Chacornac (Le Comte de Saint-Germain,
éd. Traditionnelles), de la « Germanie symbolique des Rosicruciens
qui, selon Michel Maier, "n'est pas le pays géographique connu
sous ce nom, mais bien la terre symbolique qui contient les germes
des roses et des lys, l'endroit où ces fleurs poussent
perpétuellement, jardins philosophiques dont aucun intrus ne connaît
l'entrée" (Themis Aurea, chap. III [...]). On pourrait
également envisager un rapprochement avec le Saint-Empire romain
germanique qui fut, pendant plusieurs siècles, la forme même de la
chrétienté, et dont Dante s'est fait le théoricien dans son De
Monarchie [...]. » Quant à la rencontre de l'Égypte avec cette
Germanie à la fois symbolique et impériale, ne serait-elle pas
figurée par le Thébain saint Maurice, patron du Saint-Empire
?...
[28] La Vie simple de René Guénon.
[29] Les épisodes apparemment
fantastiques d'initiations dans les pyramides que l'on associe à la
geste flamboyante du « Grand Cophte » en revêtent un sens
symbolique intéressant, toujours en relation avec l'Égypte «
hermétique ». Non moins significatif, le rôle manifestement
néfaste joué dans la carrière de Cagliostro par Malte et ses
Chevaliers — héritiers lointains et alors bien indignes, de
l'Ordre du Temple...
[30] Èd. Dorbon Aîné.
[31] Le Voile d’Isis, janvier
1931 ; repris dans Le Théosophisme, histoire d’une pseudo-religion
[32] Pierre Geyraud, Les Sociétés
secrètes à Paris, éd. Émile-Paul frères, 1938.
[33] La suite prouvera que ce reflet
était une inversion. Et peut-être était-ce là ce que Guénon
voulait faire dire à l'oracle...
[34] Qui évoque curieusement la «
Garde de Fer » du Roumain Codreanu, également riche d’arrière-plans
forts suspects comme nous l'avons vu.
[35] « Le langage secret de Dante et
des "Fidèles d'Amour" », Le Voile d'Isis, février
1929 ; repris dans Aperçus sur l'ésotérisme chrétien.
[36] En fait, cette façon de parler
est bien impropre, puisqu'en dehors de l'état humain auquel seul
peut être appliquée la succession temporelle, il ne peut plus
s'agir que d'une succession « causale », dans laquelle tous les
états sont envisagés en simultanéité. Mais l'emploi d'un tel
symbolisme temporel est rendu indispensable précisément par les
conditions de notre état d'existence ; faute de quoi ce genre de
considérations deviendrait tout à fait inintelligible.
[37] « Nous disons seulement le point
le plus voisin, parce que, si la perfection d'un état individuel
avait été effectivement atteinte, l'être n'aurait plus à passer
par un autre étal individuel. »
[38] « La fonction de René
Guénon et le sort de l'Occident », dans le numéro spécial des
Études Traditionnelles consacré à Guénon
(juillet-août-septembre-octobre-novembre 1951).
[39] La première alors même qu'il
était encore à Paris.
[40] La Gnose, décembre
1911-janvier 1912 ; repris dans les Études Traditionnelles,
février 1936.
[41] « C'est ainsi que je me risque à
traduire le terme Qutb, pluriel Aqtâb, quoique ce mot
se rende ordinairement par "Pôle". Je le compare au
"Shang" chinois, qui signifie : a) Montagne, b)
Pôle, c) Maître spirituel. On peut encore faire d'autres
comparaisons avec le terme sanscrit Mérou. »
[42] Degré initiatique dans lequel
l'être s'établit et qui constitue une acquisition définitive, par
opposition au hâl, représentant un état transitoire que
l'initié ne maîtrise pas.
[43] « Kidr est un personnage
aussi mystérieux qu'important dans l'ésotérisme musulman. Il joue
souvent auprès des plus grands saints le même rôle que Gabriel
auprès du Prophète d'Allah. Il est l'Océan de la science
ésotérique. On le représente comme le distributeur des eaux de la
vie et de l'immortalité, et son nom est lié à l'universel et
important symbole du poisson. Sa légende se trouve dans le Qôran,
chap. XVIII, vv 64 à 82. »
[44] Cf. Initiation et Réalisation
spirituelle.
[45] Analogiquement, on pourrait dire
que la fonction du Pôle constitue une « universalisation » de
celle exercée par l'éon à l'égard d'une forme traditionnelle
déterminée.
[46] Ceci explique en même temps
certaines mises en garde du Pôle, auxquelles Guénon fait allusion à
la fin du Roi du Monde. (On craignit en effet en haut lieu que
le livre ne nuisît indirectement à certaines actions positives
ayant à l'époque pour cadre... Rennes-le-Château.) Mais il est
inutile d'ajouter que ces légères divergences dans l'approche des
mystères eschatologiques furent sans aucune conséquence. Précisons
en outre que la « rupture de relations épistolaires » avec
certaine personnalité hindoue, évoquée dans la biographie de
Guénon par Paul Chacornac, à propos d'une expérience de
psychométrie, est purement illusoire. Le statut spirituel de Guénon
le dispensait de toute façon de recevoir par courrier les
informations utiles à son œuvre ou à son action !
[47] L'Imagination créatrice dans
le soufisme d' Ibn' Arabî, éd. Flammarion, 1958.
[48] Ce rôle d'El-Khidr ne s'oppose
nullement à celui, suggéré plus haut, de l'entité connue comme «
le comte de Saint-Germain ». Rien n'empêchait en effet qu'il y eût,
par rapport à l'« individualité Guénon », conjonction
d'influences ou encore, en se plaçant à un point de vue plus élevé,
polarisation d'une même fonction spirituelle en deux manifestations
complémentaires ou plutôt hiérarchisées (El-Khidr occupant un
rang » évidemment supérieur à celui du « comte de Saint-Germain
»).
[49] Repris dans Études sur la
Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, t. I.
[50] Cf. Les Dossiers H
consacrés à René Guénon, éd. L'Age d'Homme, Lausanne, 1984.
[51] Cf. Jean-Pierre Laurant, Le
Sens caché dans l'œuvre de René Guénon, éd. L'Age d'Homme,
1975.
[52] Dont le nomen rnysticum
était Orsone (l'ours en mode subtil), et qui relevait du
courant contre initiatique majeur d'Oxxa.
[53] Dans La Chaîne d'Union de
janvier 1946, par exemple, paraissait une note du F Jules
Boucher reprenant ces très anciens racontars, ce qui n'avait rien de
trop étonnant, étant donné ses relations avec le Martinisme.
[54] Cf. entre autres : Éliphas Lévi,
Histoire de la Magie, éd. Guy Trédaniel ; Maurice
Barrès, La Colline inspirée ; Maurice Garçon, Vintras,
hérésiarque et prophète, éd. Émile Nourry, 1928. Et
également, sur Boullan, le numéro spécial des Cahiers de la Tour
Saint-Jacques consacré à Huysmans (1963), les Études
Carmélitaines sur Satan (1948), et sur Élie (1956, t. II).
[55] Chap. X.
[56] Éd. Chacornac.
[57] Bibliothèque des Sciences
Ésotériques, avril 1912.
[58] Le Sphinx (René Guénon), La
France Antimaçonnique.
[59] Cf. Revue Internationale des
Sociétés Secrètes, 1er décembre 1930, compte rendu du Siphra
di-Tzeniutha, traduit par Paul Vulliaud. (Réédité en 1977 par
les Éditions Orientales, Paris.)
[60] Études sur la Franc-Maçonnerie
et le Compagnonnage, t. I.
[61] Cf. Marie-France James,
Ésotérisme, Occultisme, Franc-Maçonnerie et Christianisme aux
XIXe et XXe siècles.
[62] L. Fry, Léo Taxil et la
Franc-Maçonnerie (British-American Press, Chatou), publié par
les « Amis de Mgr Jouin », et dont on remarquera la maison
d'édition, inattendue pour ces habituels contempteurs de la
judéo-maçonnerie et des Anglo-Saxons... (Cf. Études sur la
Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, t. I.)
[63] Ibid.
[64] Le Voile d'Isis, mai 1932.
Cf. Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, t.
I.
[65] Cf. Marie-France James, op.
Cit.
[66] Études
Traditionnelles, janvier-février 1949 ; repris dans Comptes rendus,
éd. Traditionnelles. Détail « amusant » : les allongements
successifs et en quelque sorte involontaires que Frank-Duquesne avait
fait subir à son texte avaient porté le nombre de pages de ce
numéro des Etudes Carmélitaines à 666 exactement ! D'autre part,
après le compte rendu de Guénon dans les E .T., il lui envoya «
une lettre de huit grandes pages dactylographiées, qui n'est d'un
bout à l'autre qu'un tissu d'injures d'une inconcevable grossièreté.
C'est là un document "psychologique" peu ordinaire et des
plus édifiants [. ..]. » Le 12 juin 1950, enfin, Guénon écrivait
à son traducteur brésilien F.-G. Galvâo : « Depuis ma deuxième
réponse, cet individu s'est tenu tranquille et n'a plus réagi de
nouveau ; en se voyant désapprouvé par à peu près tout le monde,
il a peut-être fini par comprendre qu'il ferait mieux d'être plus
prudent. Je viens de voir, dans une revue belge, un programme de
conférences d'un groupe "radiesthésiste" où son nom
figure à côté de celui d'occultistes de l'espèce la plus
suspecte ! »
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