Pontmain

[…] Mais avant notre mort peut survenir ce temps de ténèbres dont la durée devra être abrégée par la Divine Miséricorde. C'est pour en rappeler l'imminence et pour nous montrer à nouveau l'instrument du salut, que la Vierge revint en terre de France, 17 ans après la promulgation du dogme de l'immaculée Conception. Si elle était apparue à Lourdes, en quelque sorte, comme Impératrice universelle, c'est plutôt comme Reine de France (... et du Portugal) qu'elle se manifesta cette fois. Ce fut le 17 janvier du terrible hiver 1871, dans le village de Pontmain (composé de 17 hameaux), à 60 kilomètres de Laval, et sur la « voie royale » du parallèle 48°27' ... L'Apparition se déroula en 17 phases.

Humainement, tout était perdu. Les Prussiens étaient aux portes. Ils avaient vaincu l'Autriche à Sadowa cinq ans plus tôt, usurpant par cette victoire emblématique le sceptre de l'Imperium, et les poètes allemands exultaient : l'Empereur Frédéric s'était réveillé et l'arbre flétri avait reverdi... Ainsi, en mode mineur mais néanmoins très « symbolique », la Prusse du « Chancelier de Fer » se faisait-elle la messagère du Prince de ce monde et de son faux Empire. Car derrière les Prussiens arrêtés aux portes de Laval, c'est l'approche de ce dernier que nous dévoilait Marie. Elle qui doit écraser la tête du dragon. Son message, écrit en lettres d’or dans le ciel nocturne, comportait 70 signes, et elle le délivra devant 70 pauvres paysans, mais seuls des enfants le lurent.

Les premiers, d'une famille très pieuse, avaient nom Eugène et Joseph Barbedette et étaient âgés respectivement de douze et dix ans. Leur frère aîné était à l'armée. Après l'école, les deux enfants étaient venus aider leur père, dans la grange, à piler des ajoncs pour nourrir les chevaux, à la lueur vacillante d'une chandelle de résine. L'arrivée d'une voisine — apportant des nouvelles des soldats qui, après la débâcle du Mans, s'étaient répandus dans les fermes environnantes — vint momentanément interrompre le travail. Eugène s'avança vers la porte, restée entrouverte sur la nuit glacée semée de si nombreuses étoiles qu'il sembla à l'enfant n'en avoir jamais tant contemplées. « J'allais tout seulement pour voir le temps. » Mais soudain, au-dessus de la maison du buraliste Guidecoq (le bien nommé...) une belle et jeune Dame de dix-huit ou vingt ans apparut, qui lui souriait, vêtue d'une robe d'un bleu profond et brillant constellé d'étoiles d'or qui, sans ceinture et sans taille, tombait du cou jusque sur les pieds comme un sarrau d'enfant. Un voile noir — tel un voile de deuil — rejeté en arrière, encadrait son visage et couvrait ses cheveux. Sur ce voile était posée une couronne d'or évasée, partagée horizontalement en son milieu par un mince liseré rouge. La Dame était chaussée de pantoufles du bleu de sa robe et ornées d'un ruban d'or noué en forme de rose.

Au même moment, dans la cathédrale de Saint-Brieuc, une supplique adressée à Notre-Dame de l'Espérance était lue solennellement par l'évêque, et de toutes les églises de France montaient prières et promesses.

L'enfant contemplait toujours la Dame lorsque la voisine sortit de la grange :

- Dites donc, Jeannette, r'gardez donc sû la maison à Gustin Lecô si vous n'vayez rin ?

- Ma fai, môn pauv'gâs Eugène, je n'vai rin en tout. »

Le père et le frère d'Eugène, surpris par le ton du garçon, sortirent et jetèrent les yeux dans la direction qu'il leur désignait. Le père ne vit rien mais Joseph s'exclama :

- Holà oui ; j'vai une belle grand'Dame. »

Mais les adultes s'obstinant à ne rien voir, les enfants furent invités à reprendre leur travail. Le père, toutefois, était profondément troublé car ses fils ne lui avaient jamais menti. Au bout d'un certain temps il demanda à Eugène s'il voyait encore quelque chose.

- Oui, c'est cor tout pareil. »

La mère fut appelée en renfort, qui ne vit pas davantage, mais, sachant pareillement ses enfants incapables de mentir, elle pensa à la Vierge. On dit cinq Pater et cinq Ave en son honneur. Les voisins, alertés par les exclamations admiratives des garçons, commençaient à sortir. Après le souper, que les enfants voulurent prendre debout - comme les Hébreux la nuit de leur départ pour la Terre promise -on décida d'aller chercher une des trois religieuses qui faisaient l'école. Elle ne vit, comme tout le monde, que trois étoiles en triangle qui ne correspondaient à rien de connu, et qui n'apparurent que cette nuit-là. (Les enfants, eux, voyaient que ces étoiles entouraient la tête de la Vierge comme la Foi, l'Espérance et la Charité.) La sœur n'en rameuta pas moins trois petites pensionnaires qui décrivirent immédiatement la belle Dame, dans les mêmes termes que les garçons. Enfin on alerta M. le curé, un excellent prêtre. Il vint avec un petit garçon de six ans, qui vit aussi, de même qu'une petite fille de deux ans et un mois, dans les bras de sa mère, qui balbutia : « le Jésus, le Jésus ! » Sept enfants avaient donc vu l'Apparition.

Le bon abbé Guérin interrogea vainement le ciel, mais les enfants, en chœur, décrivirent le grand ovale, du même bleu que la robe, qui s'était formé autour de la Dame, tandis que quatre bougies — deux à la hauteur des genoux et deux à la hauteur des épaules — étaient attachées à l'intérieur de cet ovale [22]. Ils virent aussi sur la poitrine de l'Apparition une petite croix rouge.

Le nombre des curieux grandissait sans cesse. On parla bruyamment. On plaisanta.

— V’là où elle tombe dans l'humilité » (Voilà qu'elle devient triste), signalèrent les enfants.

M. le curé demanda le silence et on récita le chapelet. Pendant cette prière, la Dame sembla monter, et grandit tout à coup, de même que l'ovale bleu. Les étoiles, comme une foule nombreuse sur le passage d'un cortège, dirent les enfants, se rangeaient devant la Dame, puis vinrent, deux par deux, se placer sous ses pieds, en même temps que, sur sa robe, se multipliaient les étoiles à cinq branches. Comme on entonnait le Magnificat, une grande banderole blanche, large d'environ 1,50 mètre et longue de plus de 12 mètres apparut sous les pieds de la Dame, et une main invisible commença d'y tracer lentement de belles lettres d'or. MAIS. Ce mais plana sur l'assistance pendant dix minutes, tel un avertissement solennel, après les promesses du Magnificat. Puis on lut, après avoir repris le chant : « MAIS PRIEZ MES ENFANTS ».

Entre-temps, un habitant du bourg rentrant d'Ernée avait découvert la population agenouillée. Spectacle qui suscita son étonnement puis ses sarcasmes :

- Vous pouvez prier, les Prussiens sont à Laval.

- Ils seraient à l’entrée du village que nous n’aurions pas peur. »

Joseph Babin, c’était le nom du voyageur, fut impressionné par cette sérénité. Il demanda ce qui se passait, et gagné par la confiance et l'émotion des villageois, se mit à prier avec eux.

« Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru »...

Après le Magnificat, on commença à chanter les litanies de la Sainte Vierge. A la première invocation, les enfants s'exclamèrent :

- V’là cor de kai qui s'fait... V'là cor des lettres... C'est un D. » (Voilà encore quelque chose qui se fait... Voilà encore des lettres.)

Et ce fut à qui épellerait le premier : « DIEU VOUS EXAUCERA EN PEU DE TEMPS. » Ces mots étaient écrits sur la même ligne que les premiers, d'égale grandeur et toujours en caractères d'or. Après le mot TEMPS, un point d'or apparut, comme un soleil, aussi gros que les lettres.

L'émotion était à son comble. La Dame regardait les enfants et souriait. On chanta alors l'Inviolata. Et immédiatement de nouvelles lettres se formèrent, sous la première ligne : un M, d'abord, que Jeanne-Marie Lebossé, dans la candeur de ses neuf ans et sa vivacité de petite fille, crut pouvoir interpréter comme une redite :

- La bonne Vierge va cor écrire mais priez mes enfants : é'cré p'têt bin qu'on a pas pu la lire. »

Mais au moment même où l'on finissait de chanter : O Mater alma Christi carissima ! O douce et bien-aimée MERE du Christ !... les voyants épelèrent ces mots :

 « MON FILS... »

L'émotion, dans la foule, fut indicible : c'était bien la Sainte Vierge.

Pendant la fin de I'Inviolata et le Salve Regina qui suivit, la main invisible continua à écrire :

« MON FILS SE LAISSE. »

Sœur Vitaline intervint :

- Mon fils se laisse... Cela n'a pas de sens. Regardez donc bien ; il y a sans doute : Mon fils se lasse...

- Mais non, ma Sœur. » Et tous ensemble ils épelèrent le mot laisse. Et puis :

- Mais ma Sœur, attendez donc… Ça qui n’est pas cor fini ; c’là cor des lettres. »

Avant la fin du Salve Regina ils avaient lu :

« MON FILS SE LAISSE TOUCHER. » Et un grand trait doré comme les lettres vint souligner cette phrase.

Les chants avaient cessé. La foule, recueillie, priait. Puis sur l'injonction de l'abbé Guérin, on commença à chanter un cantique :

« Mère de l’Espérance,
Dont le nom est si doux,
Protégez notre France,
Priez, priez pour nous. »

Alors la Sainte Vierge éleva, à la hauteur de ses épaules, les mains qu'elle tenait abaissées et étendues, et agitant les doigts lentement comme si elle eût accompagné le chant, elle regarda les enfants avec un ineffable sourire :

« V'là où é'rit. V'là où é'rit. »

Les assistants riaient et pleuraient à la fois.

Vers la fin du cantique, l'inscription, restée complète environ dix minutes, disparut.

On chanta alors :

« Mon doux Jésus, enfin voici le temps
De pardonner à nos cœurs pénitents,
Nous n'offenserons jamais plus
Votre bonté suprême, ô doux Jésus »

« Voilà qu'elle retombe dans la tristesse », dirent les enfants. Puis une croix rouge sombre sur laquelle était un Christ d'un rouge plus vif [23] apparut à un pied de la Vierge. Elle abaissa ses mains et, saisissant le crucifix, le tint un peu incliné vers les enfants, à qui elle semblait le présenter. Au sommet de la croix, sur un long écriteau blanc, était écrit en lettres rouges : JÉSUS-CHRIST.

Chaque couplet du cantique était ponctué par le Parce Domine. La Sainte Vierge, triste et recueillie, semblait prier avec les assistants.

Soudain, une étoile partit de sous ses pieds et, montant vers la gauche, traversa l'ovale bleu et alluma la bougie qui était à la hauteur de ses genoux, puis la seconde, située à la hauteur de ses épaules. L'étoile s'éleva au-dessus de la tête de la Vierge et, passant au côté droit, alluma les deux autres bougies, qui, au milieu du cercle bleu, délimitaient ainsi un carré... « Or la forme du "Paradis terrestre", qui correspond au début de ce cycle, est circulaire, tandis que celle de la "Jérusalem céleste", qui correspond à sa fin, est carrée [...] [24] »

La foule silencieuse et émue priait toujours. Puis on chanta l'hymne : Ave maris stella.

« Salut, étoile des mers,
auguste Mère de Dieu,
salut, ô toujours Vierge,
heureuse porte du Ciel...
Felix cœli porta... »

Le crucifix rouge disparut et la Vierge, étendant les bras, reprit la position symbolique de l’Immaculée Conception. Sur chacune de ses épaules, apparut une petite croix blanche. La Mère de Dieu souriait à nouveau.

L'abbé Guérin décida alors que l'on ferait tous ensemble la prière du soir. Vers l'examen de conscience, un grand voile blanc partant des pieds de la Vierge, et montant lentement, recouvrit progressivement l'Apparition. Bientôt les enfants ne virent plus que le visage de la Dame, qui leur souriait encore. Puis demeurèrent seules la double couronne — symbolisant entre autres la royauté de Notre Dame sur la France et le Portugal — et l'étoile qui la surmontait. Enfin tout disparut avec le grand cercle bleu et les quatre bougies qui étaient restées allumées jusqu'au bout.

- Voyez-vous encore ? », demanda l'abbé Guérin aux enfants.

Et tous ensemble :

- Non, Monsieur le curé, tout a disparu. C'est tout fini. »

Il était neuf heures moins le quart. La Vierge était restée trois heures et demie dans la nuit glacée de Pontmain, pour nous rappeler la protection qu'elle exercera pendant les trois ans et demi du règne de l'Antéchrist, qui sont ici à prendre ad litteram. Et pour préfigurer cette protection, un ordre incroyable commanda aux Prussiens d'arrêter ici leur irrésistible élan. Ils n'entrèrent pas dans Laval et quelques jours plus tard l'armistice était signé.

Ce même soir du 17 janvier 1871, au moment où la Vierge apparaissait à Pontmain, commençait à Paris en l'église Notre-Dame des Victoires une neuvaine solennelle. De sa propre initiative, un vicaire proposa aux fidèles rassemblés, un vœu qu'ils acceptèrent sur-le-champ : « Un cœur d'argent apprendra aux générations futures qu'aujourd'hui, entre huit et neuf heures, un peuple s'est prosterné aux pieds de Notre-Dame des Victoires et a été sauvé par elle.

Regnum Galliae, Regnum Mariae...

Mais seuls les enfants avaient vu Marie, et c'est sans doute pourquoi, aujourd'hui, alors qu'un ennemi bien plus redoutable que le Prussien est à nos portes, la « cinquième colonne » des ouvriers d'iniquité tente par tous les moyens de polluer leur âme, d'utiliser sa « transparence » et sa réceptivité pour y imprimer des contrefaçons. De quoi parlons-nous ? Eh bien par exemple de films comme E.T., mettant en scène un personnage également descendu du ciel...
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[22] L'abbé Guérin allumait rituellement quatre bougies au pied de la statue de la Vierge située derrière l'autel, au moment de la consécration.

[23] Le rouge d'escarboucle de la croix renvoyait au symbolisme du cœur rayonnant, et le rouge vif du Christ à celui du cœur enflammé.

[24] René Guénon, Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, chap. XX, « De la sphère au cube ».


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