Michel Vâlsan

C'est en 1936 que Michel Vâlsan, jeune diplomate, vint à Paris pour la première fois. Il avait obtenu de son administration un congé pour effectuer un voyage d'études, dont le but réel était de prendre contact avec les guénoniens. Il connaissait bien, en effet, l'œuvre de Guénon, et correspondait déjà avec ce dernier, qui était depuis plusieurs années installé au Caire. Vâlsan, pour son malheur, s'était intéressé de très près, dans son pays, à une étrange affaire. Un berger à peu près illettré, Petre Lupu, était l'objet d'apparitions d'un personnage qu'il appelait le « Moss » (le Vieux), et qui lui faisait des révélations, prophétisant que la Roumanie, héritière comme l'on sait de l'ancienne Dacie hyperboréenne, allait devenir ou redevenir le centre spirituel du monde.

 Les révélations du Moss s'étaient largement répandues et avaient inquiété les autorités religieuses. Vâlsan, qui était allé recevoir la « bénédiction » de Petre Lupu, se sentait littéralement hanté par « le Vieux », qui à l’en croire lui parlait, et qu’il ne craignait pas d’identifier au Roi du Monde ! En tout cas, c'est dans un état d'extrême tension psychique qu'il arriva à Paris, consacrant tout son temps à prier et à écire pour Guénon une volumineuse relation de cette histoire, qui n'était pas sans rapport avec la constitution de la «Garde de Fer », cette pseudo-chevalerie rêvée par Corneliu Codreanu, le leader roumain d'extrême droite [17].

Guénon, aprèss avoir parcouru la documentation fournie par Vàlsan, écrivit à un autre de ses correspondants : […] les paroles mêmes du « Moss" me rappellent assez fâcheusement l'histoire de La Salette […] »

Deux lettres du Maître à Renato Schneider confirment d'ailleurs la spécifique étrangeté du contexte roumain, in globo. Ainsi écrivait-il, le 16 août 1936 : « II semble qu'il y ait toujours, dans ce pays, bien des intrigues de toute sorte, et où la politique est mêlée, peut-être plus manifestement qu'ailleurs, à des choses d'un autre ordre. » Et le 4 mars 1938 : « Ce qui se passe en Roumanie devient de plus en plus obscur et compliqué [..]. Il y a autour de tout cela des personnages bien étranges, comme par exemple ce Codreanu qui prétend agir d'après les révélations qu'il reçoit de l'archange Michaël ! Et les visions, apparitions et prédictions de toutes sortes se multiplient un peu partout dans ce pays ; il y a sûrement des éléments psychiques assez suspects qui entrent en jeu dans tout cela... »

Pendant son séjour à Paris, Michel Vâlsan fut informé de l'existence d'une tariqah (branche européenne d'une organisation initiatique islamique sise à Mostaganem) dirigée par Frithjof Schuon, un Alsacien qui allait s'écarter de l'enseignement guénonien et dont l'« islamisation » elle-même n’était pas  légitime. Après quelques mois, Vâlsan, manifestant plus d’ardeur que de discernement, se rendit à Lausanne où résidait Schuon, et fut initié par ce dernier. En 1938, il revint à Paris en qualité de conseiller financier du consulat de Roumanie, et prit son service dans ce petit hôtel particulier de la rue Brémontier qui avait appartenu à la duchesse de Pomar et où s'était décidée, quelque cinquante ans auparavant, la fondation de l'Eglise gnostique…

Dès lors il ne devait plus quitter Paris, et sur la foi de quelques visions » (qui constituent toujours un signe défavorable), il s'institua lui-même « sheikh » d'une tariqah parisienne regroupant des guénoniens qu'une lecture faussée (mais ils avaient des excuses...) de l'œuvre du Maître, avait conduits à une tradition qui ne leur était pas destinée — sauf exceptions que Vâlsan de toute façon ne pouvait discerner. Le désordre ainsi créé au sein même de l'islam est d'un constat d'autant plus douloureux que Vâlsan fut d'une insoupçonnable intégrité et d'une égale fidélité à l'œuvre et à la personne de Guénon dont il ne comprit pas, hélas, les mises en garde. Ajoutons que l'estime alors très imméritée qu'il portait à de Gaulle (et dont ses disciples se faisaient largement l'écho) étendit la confusion au domaine « temporel ». L'affaire du « Moss », qui avait manifestement laissé sur son psychisme des traces indélébiles, était sans nul doute responsable de cet aveuglement.

Quoi qu'il en soit, les préoccupations ésotérico-politiques de Vâlsan revêtirent à travers le prisme déformant de son «panislamisme » un caractère singulier, et offrirent à nombre de guénoniens une fausse image du Mahdi, dont, semble-t-il, il crut trouver des « préfigurations » là où il n'y avait que des inversions. Ambiguïté d'autant plus fâcheuse qu'elle servait par anticipation la cause des adversaires de ce très éminent personnage, que la Miséricorde divine, précédant toujours la Rigueur, fera apparaître avant le Grand Monarque et l'Antéchrist, pour rassembler et éclairer « le petit reste ».
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[17] Les héritiers de cette Garde de Fer constituèrent des « relais » privilégiés, lors de la grande manipulation contre-initiatique qui accompagna la chute de Ceaucescu. L’objectif étant en un premier temps de créer un « abcès de fixation » (d'où le retard pris par la « libération » de la Roumanie, relativement aux autres pays de l'Est) pour rendre la situation, en un second temps, plus « explosive ». Nouvel exemple d'utilisation perverse du coagula et du solve alchimiques. Etant bien entendu que ladite explosion aurait pour avantage de faire bénéficier les alentours de retombées psychiques particulièrement délétères. Toutes choses égales, c'est ce qui se passa en Espagne et au Portugal, dont les régimes pseudo-traditionalistes de Franco et Salazar eurent pour seul effet de poser un couvercle sur une marmite en ébullition ! On sait ce qu'il advint lors de la « démocratisation » de ces deux pays — l'Espagne, tout spécialement, menant une sombre ardeur à rattraper le temps perdu, et prenant même, à certains égards, une belle avance dans la voie de l'autodestruction.


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