L'inexorable
décadence des sociétés humaines expression historique de la «
Chute » — s'apparente à une loi universelle dont l'énonciation
relèverait du truisme si, contre l'évidence de notre perception
quotidienne, l'on n'avait entrepris depuis deux siècles d'inverser «
idéologiquement » le cours naturel de la vie, en imposant les
dogmes du Progrès et de l'Évolution.
Pourtant,
la division quaternaire qui caractérise les saisons, les semaines du
mois lunaire, les âges de la vie, fonde également la description
traditionnelle du destin de l'humanité en Orient comme en Occident,
et en privilégiant de surcroît la continuité globale de cette
décadence, par rapport à la succession de la naissance, de l'apogée
et du déclin, qui régit les cycles secondaires. La correspondance
est ainsi parfaite entre les quatre Yugas de
l'Hindouisme et les quatre âges de l'Antiquité gréco-latine,
semblablement marqués par cette chute sans cesse accélérée qui
aboutit au Kali-Yuga ou
Âge de Fer, à la fin duquel nous situent toutes les traditions. La
mémoire d'une déchéance et la promesse d'une rédemption habitent
depuis toujours la conscience humaine, et Lamartine pouvait encore
proclamer que : « L'homme est un dieu tombé qui se souvient des
cieux ».
Éludant
cette énigme — offerte à la méditation des zélateurs
inconditionnels du Progrès — et oubliant qu'un nouvel Âge d'Or
est universellement attendu après le « Crépuscule des dieux » et
la fin d'un monde, on pourrait néanmoins objecter que cette
conception de l'histoire humaine est propre au « fatalisme oriental
» et au « paganisme » gréco-latin, mais que le
judéo-christianisme, lui, échappe à ce « pessimisme » en
remplaçant la froide loi des cycles par la linéarité temporelle,
vecteur lumineux d'un progrès indéfini. On nous a suffisamment
rebattu les oreilles avec l'irruption de la transcendance dans
l'Histoire pour que nous insistions sur ce point essentiel : le
monothéisme ne se distingue en rien à cet égard des traditions
dites « polythéistes ». (Puisque ce « polythéisme » est en
réalité du même ordre que la pluralité « des Élohim » si chers
aux ufologues, nous considérons ce terme comme une regrettable
concession aux préjugés intellectuels modernes, mais il faut bien
essayer de se faire comprendre...)
L'équivalent
biblique exact, et jusque dans les détails, des quatre âges de
l'humanité, nous le découvrons dans le célèbre songe de
Nabuchodonosor (Daniel, II, 31-35) - hanté par cette figure à la
tête d'or, à la poitrine et aux bras d'argent, au ventre et aux
cuisses d'airain, aux jambes de fer, aux pieds en partie de fer et en
partie d'argile, finalement brisée par une pierre qu'aucune main
n'avait lancée - et que saint Paul assimile au Christ. Nous trouvons
donc ici la mention, dans le même ordre et avec la même
signification que chez les poètes gréco-latins ou les sages de
l'Inde, des quatre âges successifs d'or, d'argent, d'airain et de
fer. Les symbolismes biblique et oriental, disions-nous, se
rejoignent même sur des détails frappants. Dans la tradition
hindoue, c'est de la bouche de Brahma qu'était sortie la caste
sacerdotale des brahmanes, régissant l'Âge d'Or ; la caste
chevaleresque des Kshatriyas, associée à l'Âge d'Argent, était
issue de ses bras ; la caste « bourgeoise » des Vaishyas, qui
domine pendant l'Âge d'Airain, avait été tirée de ses cuisses,
tandis que la caste inférieure des Shudras, dans laquelle se
recrutent les tyrans de l'Âge de Fer, naissait de la terre ou de
l'argile foulée par les pieds divins. La concordance est donc
parfaite avec la statue décrite par Daniel.
Ainsi
que l'écrit le professeur Jean Servier dans son salubre essai
d'ethnologie générale intitulé L'Homme
et l'Invisible [1], les traditions
de toutes les civilisations, censément appelées à choisir entre
l'« hominisation » du singe et la « singification » de l'homme,
ou la chute d'un esprit dans la matière, ont opté pour ce second
terme de l'alternative, et en tirent toutes les conséquences. « La
science occidentale défend, elle, l'hominisation du singe, peut-être
parce qu'il est plus facile d'être un singe "parvenu"
qu'un ange déchu [...]. Selon toutes les traditions, l'homme a été
d'abord esprit, participant de toute la sérénité du Monde
Invisible. Un désir l'a poussé à rompre l'harmonie cosmique : il
lui a fallu, en expiation, descendre dans la matière, dans l'univers
des formes, dans l'animalité : revêtir des vêtements de peaux. »
Un illustre savant
agnostique, Jean Rostand, fait curieusement écho à ce « mythe »
dans L'Évolution [2] : « Si nous ne tenons compte que
des faits de variation héréditaire relevés dans l'espèce humaine,
il semble que celle-ci ait à redouter une décadence plus qu'à
escompter un progrès. Dès lors que les "caractères acquis"
ne se transmettent point de l'ascendant au descendant, il n'y a pas à
attendre que l'espèce se modifie directement sous l'effet des
conditions de la civilisation, et cette conclusion négative mérite
d'être fortement soulignée […]. Les changements de l'animal
humain ne peuvent provenir que des mutations qui [...] sont
généralement des phénomènes indésirables, producteurs
d'anomalies, de déficiences, de tares [...]. Aucun moyen d'échapper
à cette conclusion, passablement décevante. En même temps que la
civilisation augmente sans trêve la quantité de vie humaine,
la masse de protoplasme humain existant sur le globe, elle en réduit,
du même coup, la qualité biologique... »
Cette idée de
l'universelle décadence transmise par la mémoire des peuples,
confirmée par l'expérience quotidienne, et dont même une science
honnête découvre, dans son ordre, le lointain reflet, quel problème
logique ne devrait-elle pas poser à nos contemporains pour qui
l'évolution des espèces est aussi évidente que la rotondité de la
Terre. Par quelle aberration inexpliquée l'« inconscient collectif
» a-t-il pu métamorphoser en paradis perdu ces sombres abysses de
la matière dont nous sommes prétendument issus ? Pourquoi les
hommes, censés s'affranchir de leur animalité primordiale, se
seraient-ils inventés ce passé de lumière ? Et par quel autre
prodige l'avenir - forcément radieux - est-il prophétisé par eux
en des termes si… appropriés à notre grande misère spirituelle,
morale, et bientôt matérielle ?
En un siècle qui ne
s'offusque d'aucune contradiction, et qui a bien inventé la «
démocratie chrétienne », on vit, contre toute raison,
l'évolutionnisme conquérir les milieux religieux qui, l'aspergeant
d'eau bénite, crurent le « modérer » ou le « mitiger » (cette
fausse monnaie eut réellement cours clans l'entre-deux-guerres !),
en y introduisant une pincée de « créationnisme » et un zeste de
« finalisme ». Cette tentative intellectuellement absurde de
réconciliation de la science et de la religion trouva bien sûr son
couronnement avec l'œuvre de Teilhard de
Chardin, dont le moindre défaut n'était pas de vider le
Christianisme de son contenu et de rendre tragiquement inutile, et
même inintelligible, le Sacrifice rédempteur du Christ. Les
nouveaux clercs réinventaient en fait cet « Horloger » suprême
qui avait été si utile aux philosophes des « Lumières » pour se
débarrasser subrepticement du Dieu personnel de la théologie, et
reléguer le Créateur, tel un monarque constitutionnel, sur un
lointain nuage d'où il n'interviendrait plus dans les affaires
humaines, après avoir donné l'impulsion première à la mécanique
universelle.
Nombre
de catholiques - soucieux de « marcher avec leur siècle » -
adhérèrent donc à l'évolutionnisme, pourvu seulement que la
causalité générale régissant la transformation des espèces fût
établie par Dieu. Ainsi naquit un monstre logique baptisé «
évolutionnisme spiritualiste modéré », qui, dans l'esprit des
bourgeois bien-pensants, devait sans doute leur conserver l'estime de
leurs concitoyens éclairés. Certains admirent même que l'acte
créateur avait pu être limité à la matière organique. On ne
pouvait guère pousser plus loin la soumission à l'esprit du temps,
ou le reniement de la tradition catholique, tout en proclamant pour
se rassurer que l'« évolutionnisme n'était nullement inconciliable
avec la foi ». Qu'il paraissait loin, déjà, le temps (30 juin
1909) où la Commission Biblique pontificale rappelait, entre autres
fondements de la religion chrétienne, « la félicité originelle de
nos premiers parents dans un état de justice, d'intégrité et
d'immortalité »... Trente ans plus tard, un fils de bonne famille
professant cette « félicité originelle » n'eût pas trouvé à se
marier !
Pourtant,
il est évident que l'évolutionnisme sape dans ses fondements tout
édifice théologique cohérent. Ses conséquences logiques, en
effet, qui s'identifient nécessairement à l'idéologie occidentale
moderne du Progrès, contredisent à angle droit la conception
traditionnelle du monde. Nous tenons à citer à cet égard ce
commentaire de Theodore Roszack [3], dont la pertinence nous fait
oublier que son auteur fut un théoricien de la contre-culture
américaine des années soixante, et de la révolte de la jeunesse («
condamnée » par nous dans les formes qu'elle revêtit mais non dans
ses motifs premiers...) :
«
La science et la logique considèrent les symboles traditionnels
comme autant de "propositions" sur une "réalité
objective" et cherchent ensuite à "prouver" leur
"non-sens". Nous en venons à conclure que toute l'histoire
humaine passée a été bâtie par des fous ou des simples d'esprit
incapables de s'adapter au principe de réalité. Bien sûr, ils ont
produit une culture extrêmement intéressante, mais ils se sont
trompés sur sa signification véritable, qui doit être trouvée
dans la lutte des classes, le complexe d'Œdipe, la cohésion
tribale, la légitimation de l'autorité, etc., toutes choses que
seules notre psychologie et notre anthropologie peuvent permettre de
comprendre. Bien sûr, ils ont inventé un langage, mais leur manque
de précision logique et d'analyse linguistique ne leur a pas permis
de comprendre ce dont ils parlaient.
«
Inévitablement, à mesure que cet ethnocentrisme satisfait faisait
de l'histoire humaine un désordre perpétuel, naquirent une
philosophie et une littérature du désespoir qui n'avaient plus
qu'un seul message nostalgique à délivrer. "Très bien ; si
l'ancienne Gnose est un non-sens, alors la vie est un non-sens".
«
Cette mode a inverti les priorités ontologiques ; nous supportons le
monde sur notre tête à mesure que nous vidons la culture de son
contenu religieux. Ou, comme Blake le souligne
«
"Les Visions de l'Éternité, en raison du rétrécissement de
nos perceptions,
«
Sont devenues de faibles Visions du Temps et de l'Espace, gravées en
des sillons de mort." »
Aucune
religion ne peut survivre à cette inversion et à ce rétrécissement,
même si Rome (mais non pas l'Église...) a officiellement capitulé
devant « la Science » le 23 octobre 1996 —jour où le pape, dans
un message à l'Académie pontificale, a déclaré que la théorie de
l'évolution était « plus qu'une hypothèse ». Certes, il
condamnait les « lectures matérialistes et réductionnistes », et
soulignait que seule une « lecture spiritualiste » (voir plus
haut...) était acceptable. Mais que la « lecture de l'évolution »
fût spiritualiste ou matérialiste ne changeait strictement rien aux
conclusions que l'on pouvait logiquement tirer de cette concession
pontificale : Le Monde
du 25 octobre 1996, par exemple, en déduisait avec la satisfaction
que l'on devine, la fin du dogme du péché originel. De quoi en
effet pourrait bien être responsable Adam, ravalé au rang de
prognathe au front bas, auquel aucun pacifiste n'aurait même le cœur
de reprocher son inévitable gourdin...
Mais
cette histoire de péché originel était allégorique !
s'indignera-t-on pieusement. Quel est donc le sens de l'allégorie ?
Que peut bien signifier, dans l'imaginaire contemporain, ce ménage à
trois pour caricaturistes en mal d'inspiration, composé d'Adam,
d'Ève et du Serpent, sinon l'origine abhorrée de tous les « tabous
sexuels »... Nous verrons plus loin ce qu'il en est réellement.
En
tout cas, on se tromperait gravement en imaginant que Darwin (par qui
le scandale arriva) a soudain mis au jour, grâce à la seule acuité
de son observation, un phénomène dont l'évidence avait été
jusque-là occultée par les « préjugés religieux », et qui
n'attendait qu'une intelligence enfin dégagée du mythe, pour offrir
à l'humanité son pouvoir libérateur. Tout au contraire,
l'observation proprement dite intervient fort peu dans la
pseudo-découverte de l'évolution des espèces, et les...
présupposés athées sont en revanche prédominants dans son succès.
Pseudo-découverte, disons-nous ? L'idée d'une naissance de la vie à
partir du limon marin — préfigurant la moderne « soupe
prébiotique » — fut soutenue par Anaximandre de Milet en 550
avant notre ère ! Dès le Ve siècle avant Jésus-Christ, les
philosophes atomistes, tels Démocrite et Épicure, formulaient les
deux principes fondateurs de l'évolutionnisme moderne. D'abord, la
perpétuelle mutation des formes organiques, toutes issues de
surcroît d'un progéniteur primordial. Ensuite le rôle de la
sélection des variations aléatoires — à l'exclusion de
l'intervention des dieux — dans ce flux universel des formes [4].
L'évolutionnisme
a toujours existé comme un germe de subversion menaçant l'ordre
traditionnel, mais les conditions générales, pendant deux mille
ans, ne furent pas propices à son éclosion. Sans doute est-ce
Maupertuis qui, au XVIIIe siècle, put revendiquer la douteuse
qualité de premier « transformiste » moderne, et même de premier
« mutationniste », puisqu'il explique l'apparition d'espèces
nouvelles par une série de petites « erreurs » de la Nature : «
chaque degré d'erreur aurait fait une nouvelle espèce, et, à force
d'écarts répétés, serait venue la diversité infinie des animaux
que nous voyons aujourd'hui [5] ». Robinet, La Mettrie et Diderot
marcheront sur ses brisées. Mais tous ces précurseurs n'apportent
aux évolutionnistes actuels qu'un soutien ambigu, dont ceux-ci se
passeraient sans doute volontiers. Il est difficile en effet de leur
reconnaître d'autres mérites que l'« intuition » ou l'«
imagination »... Autant dire qu'il s'agit là de présupposés
idéologiques ne s'appuyant sur rien de concret — eu égard à
l'absence de « moyens d'observation scientifiques ». Et
l'existence, depuis deux mille ans, d'une « tournure d'esprit »
pré-matérialiste
propre à
certains philosophes, pourrait amener à s'interroger sur la
spontanéité de l'évolutionnisme « scientifique » et sur son «
évidence concrète ».
D'autant
plus que cette « découverte », avouons-le, était dans l'air, et
qu'en dépit de certaines apparences, elle répondait à l'attente de
la société occidentale du XIXe siècle. D'où son succès
foudroyant, malgré toutes les objections opposées par les faits.
Comme le dit très justement Phillip E. Johnson [6] : « Le
darwinisme a apparemment passé le test des documents fossiles, mais
uniquement parce qu'on avait décidé d'avance qu'il ne pouvait pas
échouer. » Le grand public ignore ces difficultés dirimantes, à
l'heure où les opposants au dogme évolutionniste semblent se
réduire à une poignée d'irrécupérables fondamentalistes,
attachés à la lettre des Écritures, et incarnant trop bien (c'est
aussi leur fonction inconsciente) tous les ridicules propres à l'«
obscurantisme religieux ».
Tout
le monde semble avoir oublié que Darwin lui-même, lors de la
dernière édition de l'Origine des
Espèces, en 1872, était à ce
point taraudé par le doute que ses tentatives de réponse aux
objections avaient fini, à force de retouches, par ruiner la
cohérence logique de son livre. Mais celui-ci était déjà un
classique, et le public s'aperçut d'autant moins de ces failles, que
le succès du darwinisme, répétons-le, était essentiellement
d'ordre idéologique. Il n'était pas question de rejeter cette
pierre de fondement miraculeuse, supportant désormais l'édifice
théorique de la civilisation moderne. Qu'on en juge : toute
intervention « suprasensible » était a priori répudiée comme
antiscientifique, ce qui reléguait toutes les traditions
spirituelles dans la rubrique des « mythologies » surannées.
L'histoire des hommes était emportée dans le grand flux du progrès
général et de l'optimisme scientiste ; la sélection naturelle et
la lutte pour la vie apportaient une précieuse justification à la
libre concurrence, à l'économie de marché en plein essor, mais
aussi, pour satisfaire tout le monde, à la lutte des classes.
Puisque le supérieur sortait désormais de l'inférieur, les classes
dirigeantes devenaient l'expression de la volonté purement
quantitative des masses, et le succès de fait (celui de l'individu
dans le capitalisme ou celui de la classe sociale dans le marxisme)
était l'unique étalon de la supériorité, dans la mesure où le
processus mécanique de l'évolution excluait toute direction
préétablie, tout finalisme.
Enfin,
en cette époque d'expansion coloniale, il était intéressant de
savoir que les peuples « évolués » étaient naturellement en
droit de dominer (ou d'exterminer) les peuples « arriérés ».
Darwin tirait ainsi sans sourciller les conclusions de sa doctrine :
« Dans quelque temps peu de temps si l'on compte en siècles - il
est pratiquement certain que les races humaines les plus civilisées
auront exterminé et se seront substituées à celles des sauvages
[7]. »
En
1859, à la veille de la publication de l’Origine
des Espèces, Darwin était
physiquement malade à la pensée de l'effet qu'allait produire son
livre sur la société victorienne. Il avait bien tort ! Certes, on
assista à une réaction du clergé, dont les manifestations plus ou
moins maladroites alimentèrent pour longtemps dans l'imaginaire
collectif le thème du fanatisme et de l'obscurantisme dévots, mais
ce combat d'arrière-garde n'empêcha pas Darwin, couvert d'honneurs
comme nul savant avant lui, d'être enterré à l'abbaye de
Westminster...
Le
monde moderne avait reconnu son messie. Dès lors, quelle importance
si, comme le souligne Rutilio Sermonti, dans les ouvrages
d'évolutionnistes « qualifiés », « le doute se profile à chaque
page [.. .]. Au fur et à mesure que l'on descend les degrés de la
vulgarisation ou de l'instruction élémentaire, les hypothèses les
moins confirmées deviennent des dogmes, les affirmations les plus
contredites deviennent vérité, les "descendances" les
plus subjectives sont données pour certaines. Ce qui est désormais
du domaine du ridicule au niveau d'une démarche scientifique devient
"probable" au niveau du lycée et "absolument certain"
au niveau de l'école primaire. » Mais le profane ne s'aventure pas
dans l'atmosphère raréfiée des cimes, et il attend que de modernes
Moïses redescendent de la Montagne sainte en lui présentant les
Tables de la Loi nouvelle.
Et
pourtant, la grande presse elle-même suffirait parfois, par la grâce
d'un article « pédagogique », à éveiller un doute radical en
tout esprit non encore hypnotisé. Ainsi, parmi bien d'autres, de
celui de Jean-Paul Dufour intitulé de façon imprudente mais honnête
« Plusieurs théories, quelques contradictions, beaucoup
d'inconnues [8] ». Il n'est pas jusqu'au retour sur le devant de la
scène paléontologique des « monstres prometteurs » imaginés par
Goldsmidt il y a soixante ans, qui n'illustre le désarroi d'une
théorie réduite à se raccrocher à des « mutants aléatoires »
!
Mais les scientifiques sensibles aux absurdités
du dogme sont à
tel point conditionnés
que, sauf rares exceptions, ils n'envisagent pas d'alternative à
l'évolution
lato sensu.
Seuls, perdus entre deux univers définitivement irréconciliables,
ils refusent certes d'adorer les modernes idoles, mais n'imaginent
pourtant pas une seconde que les réponses à leurs légitimes
questions puissent se trouver dans les mythes nés de la «pensée
prélogique ». Avant d'aborder ces derniers, examinons un peu ces
questions qu'aucun savant, bien sûr, n'ignore.
La
théorie de Darwin postule une évolution graduelle par « petits
pas cumulatifs », sur une très longue durée. Elle implique donc
d'innombrables formes de transition entre « espèces primitives »
et espèces évoluées ». Or, la difficulté majeure réside
précisément dans l'absence totale de ces étapes intermédiaires :
avec une incompréhensible obstination, les « chaînons manquants »
n'en finissent pas de manquer. Comme le souligne M. Denton' [9], il
n'existe pas la moindre preuve « qu'un type d'organisme se soit
jamais transformé graduellement en un autre en passant par une série
de formes intermédiaires [...]. Les axiomes de base de la typologie
- les classes sont absolument distinctes, elles possèdent des
caractères spécifiques uniques, et ces caractères sont présents
sous une forme fondamentalement invariante chez tous les membres
d'une classe - s'appliquent de manière quasi universelle à tout le
domaine du vivant. Par conséquent, l'isolement des classes est
toujours absolu, les transitions entre traits de caractère toujours
abruptes, et le phénomène de la discontinuité omniprésent dans le
monde organique. »
Il
est donc facile de comprendre, ajoute Denton, « comment Cuvier
et Agassiz ont pu voir dans la configuration de la nature ce qu'ils
considéraient comme des preuves irréfutables à l'appui de leur
position anti-évolutionniste. Le rejet de l'évolution par les
biologistes les plus éminents du XIXe siècle ne représentait pas
un recul par rapport à l'empirisme. [...] Si quelqu'un poursuivait
un fantôme ou s'éloignait de l'empirisme, c'était sûrement
Darwin, qui admettait avec franchise que toutes les grandes
transformations évolutives qu'il supposait ne s'appuyaient sur
aucune preuve solide tirée de l'observation. »
Évidemment
chagriné par cette rébellion de la Nature contre l'ordre nouveau
qu'il voulait lui imposer, Darwin lui consacra le chapitre X de
l'Origine des Espèces
: « Pourquoi, s'interrogeait-il, chaque formation géologique,
chaque strate ne sont-elles pas remplies de ces liens intermédiaires
? C'est probablement la plus évidente et la plus sérieuse objection
que l'on peut faire contre la théorie. » Il pensait néanmoins
pouvoir se tirer ainsi de ce mauvais pas « L'explication se trouve,
comme je le crois, dans la grande imperfection des documents
géologiques. » Malheureusement, depuis 1859 l'étude des fossiles a
rendu caduque cette trop facile échappatoire, et Stephen Jay Gould,
professeur à Harvard et évolutioniste parmi les plus célèbres, a
même confié que l'absence de formes transition constituait le «
secret professionnel de la paléontologie » ! Ni en
théorie, par l'invention éventuelle de formes intermédiaires
fonctionnelles, ni en pratique, la croyance en l'évolution ne peut
être justifiée. Pour sortir de cette impasse, certains se sont
orientés vers une évolution par « sauts » — que Darwin
rejetait, comme y invite d'ailleurs le plus élémentaire bon sens.
Mais pour en finir définitivement avec le « saltationnisme »,
aussi bien qu'avec le « gradualisme » nous préférons nous
abriter (longuement) derrière l'« autorité » philosophique de
Bergson. Non point que son « élan vital », qui s'inscrit de plein
droit dans la perspective néo-spiritualiste, ait le moindre titre à
notre respect. Simplement, il est toujours instructif de voir
s'entre-dévorer les thèses évolutionnistes. Cette forme
particulière de sélection naturelle n'admet en effet aucun
survivant !
«
Acceptons d'abord, écrit Bergson, la thèse darwiniste des
variations insensibles. Supposons de petites différences dues au
hasard et qui vont toujours s'additionnant. Il ne faut pas oublier
que toutes les parties d'un organisme sont nécessairement
coordonnées les unes aux autres. Peu m'importe que la fonction soit
l'effet ou la cause de l'organe : un point est incontestable, c'est
que l'organe ne rendra service et ne donnera prise à la sélection
que s'il fonctionne. Que la fine structure de la rétine se développe
et se complique, ce progrès, au lieu de favoriser la vision, la
troublera sans doute, si les centres visuels ne se développent pas
en même temps, ainsi que diverses parties de l'organe visuel
lui-même. Si les variations sont accidentelles, il est trop évident
qu'elles ne s'entendront pas entre elles pour se produire dans toutes
les parties de l'organe à la fois, de telle manière qu'il continue
à accomplir sa fonction. Darwin l'a bien compris, et c'est une des
raisons pour lesquelles il suppose la variation insensible. La
différence qui surgit accidentellement sur un point de l'appareil
visuel, étant très légère, ne gênera pas le fonctionnement de
l'organe ; et dès lors, cette première variation accidentelle peut
attendre, en quelque sorte, que des variations complémentaires
viennent s'y ajouter et porter la vision à un degré de perfection
supérieur. Soit : mais si la variation insensible ne gêne pas
le fonctionnement de l'oeil, elle ne le sert pas davantage tant que
des variations complémentaires ne se sont pas produites : : dès
lors comment se conserverait-elle par l'effet de la sélection ? Bon
gré mal gré, on raisonnera comme si la petite variation était une
pierre d'attente posée par l'organisme, et réservée pour une
construction ultérieure. Cette hypothèse, si peu conforme aux
principes de Darwin, paraît déjà difficile à éviter quand on
considère un organe qui s'est développé sur une seule grande ligne
d'évolution, l'oeil des Vertébrés par exemple. Mais elle
s'imposera absolument si l'on remarque la similitude de structure de
l'oeil des Vertébrés et de celui des Mollusques. Comment supposer
en effet que les mêmes petites variations, en nombre incalculable,
se soient produites dans le même ordre sur deux lignes d'évolution
indépendantes, si elles étaient purement accidentelles ? Et comment
se sont-elles conservées par sélection et accumulées de part et
d'autre, les mêmes dans le même ordre, alors que chacune d'elles
prise à part n'était d'aucune utilité' ? »
Si
le finalisme bergsonien, in globo,
est semblablement démenti par le principe naturel de discontinuité
et l'absence corrélative des chaînons intermédiaires, il a au
moins le mérite de nous débarrasser du « hasard et de la nécessité
», les deux divinités rectrices de l'évolutionnisme athée...
Bergson est tout aussi convaincant dans sa réfutation de l'évolution
par « sauts ». En théorie, l'évolution parallèle de l'oeil des
Mollusques et de celui des Vertébrés, fait certes moins appel au «
hasard miraculeux », compte tenu du nombre relativement faible de «
sauts brusques » requis. Mais le problème évoqué plus haut se
pose à nouveau, plus insoluble que jamais : « comment
toutes les parties de l'appareil visuel, en se modifiant soudain,
restent-elles si bien coordonnées entre elles que l'oeil continue à
exercer sa fonction ? Car la
variation isolée d'une partie va rendre la vision impossible, du
moment que cette variation n'est plus infinitésimale. Il
faut maintenant que toutes changent à la fois, et que chacune
consulte les autres. Si un très
improbable hasard avait rendu viable, une fois, une telle
combinaison, comment imaginer qu'il ait pu se reproduire à chaque «
étape évolutive » ? « Comment surtout supposer que, par une série
de simples "accidents", ces variations brusques se soient
produites, les mêmes, dans le même ordre, impliquant chaque fois un
accord parfait d'éléments de plus en plus nombreux et complexes, le
long de deux lignes d'évolution indépendantes ? »
On
comprend pourquoi l'oeil « donnait la fièvre » à Darwin, de son
Propre aveu. Et aussi pourquoi l'évolutionnisme n'est plus,
objectivement, qu'un champ de ruines. Mais tout cela n'empêchera pas
les victimes de l'enseignement primaire, dont l'imagination reste à
jamais marquée par ces tableaux didactiques où se superposent des
crânes de plus en plus volumineux, et ou se redressent
progressivement des silhouettes, depuis l'Homo
abilis jusqu'à l'Homo
sapiens, de revendiquer hautement
leur supériorité sur nos ancêtres velus. Nous verrons bientôt ce
que nous en dit une immémoriale sagesse. Mais en attendant,
égayons-nous quelques instants avec ces grandes étapes de la
paléontologie, nouvelle échelle de Jacob dont nous occuperions le
dernier degré...
En
fait, le désarroi inavoué des paléontologistes se traduisit
parfois — horresco referens
— par leur peu d'empressement à dénoncer de véritables
supercheries. Dans leur quête fiévreuse des indispensables chaînons
manquants, dans leur rage de prouver que le « Fils de l'Homme de
l'Évangile n'était rien d'autre que le Petit-Fils du Singe »,
selon la formule de Rutilio Sermonti, les darwinistes se laissèrent
aller à de coupables manipulations. Ainsi de l'homme de Piltdown.
Tout
commença en Angleterre, en 1912, avec la découverte d'un crâne
indubitablement humain et censément « préhistorique », effectuée
par Charles Dawson, sur le site de Piltdown, à 40 kilomètres de
Hastings. Cette trouvaille attira Arthur Smith-Woodward, conservateur
du British Museum, et... Pierre Teilhard de Chardin — qui faisait
outre-Manche ses études de théologie, et dont la présence se
révéla vite bénéfique, puisque Dawson découvrit alors une
demi-mâchoire inférieure, prognathe et vraisemblablement simienne.
Pour rendre la reconstitution crédible, il manquait cependant une
indispensable canine, dont le mode d'usure devait être
spécifiquement humain. Eh bien, c'est Teilhard de Chardin lui-même
qui la découvrit dans les déblais, le 30 août 1913, conforme en
tout point à ce qu'on en attendait. Il s'agissait donc bien d'une
dentition « de jonction ». Las, dans les années qui suivirent la
Seconde Guerre mondiale, l'analyse chimique contraignit à dégrader
sur le front des troupes évolutionnistes cet « homme-singe »
décoré du titre enviable d'Eoanthropus dawsonii, et qui
avait été offert à la curiosité du public éclairé par le très
respectable British Museum. En réalité, la mâchoire appartenait à
un honnête chimpanzé, le tout avait été artificiellement vieilli
par coloration, et les condyles brisés pour que l'on ne pût
s'apercevoir qu'ils ne correspondaient pas aux cavités articulaires
de la boîte crânienne. Quant aux dents, elles avaient été limées.
Pire encore, l'analyse à la fluorine révéla qu'une dent de
stégodon (éléphant fossile) trouvée sur le site, contenait 0,1 %
d'oxyde d'uranium. Or, si cette teneur était inhabituelle en Europe,
elle était commune en Afrique. Et spécialement à Ichkeul, près de
Bizerte, où les stégodons abondent... et où Teilhard de Chardin
s'était rendu en 1907.
Bon,
mais l'homme de Piltdown est moins connu des foules que le
célébrissime Pithecanthropus erectus découvert dans l'île
de Java en 1891 par Eugène Dubois qui, comme son nom ne l'indique
pas, était un médecin hollandais. En fait, la « découverte »
n'était nullement fortuite, puisque Dubois cherchait bel et bien la
trace de ce Pithécanthrope, sorti de l'imagination fertile de
Haeckel (l'inventeur de la pseudo-loi biogénétique). L'apôtre
fervent du Darwinisme avait absolument besoin de cet homme-singe dont
aucun fossile ne permettait d'envisager l'existence, et le zélé
Dubois combla ses voeux en réunissant tout à fait arbitrairement le
fossile de la boîte crânienne d'un gros gibbon, et un fémur humain
qui gisait à 15 mètres de là, et qu'il découvrit un an après. Le
Pithecantropus erectus était né, et une reproduction
grandeur nature trôna à l'Exposition universelle de 1900, toujours
pour l'édification des masses.
Et
pourtant, Dubois éprouva trente ans plus tard le besoin de se
confesser : il avait sur la conscience une caisse en bois dans
laquelle il avait dissimulé d'autres restes javanais parfaitement
humains, découverts à peu de distance, et en particulier quelques
fémurs identiques à celui qui avait servi à la fabrication du
Pithécanthrope. Le médecin hollandais reconnut également que le
crâne appartenait probablement à un grand singe. Mais le
Pithecantropus erectus n'en fut pas moins confirmé par les
dictionnaires à son rang de chaînon retrouvé. On lui découvrit
même un cousin en Chine du Nord, en la personne du Sinanthrope. Cet
« Homme de Pékin » était-il plus crédible que ses confrères ?
Le
nouveau feuilleton paléontologique commença en 1920 dans les
carrières à chaux de Chou-kou-tien, à 50 kilomètres au sud-ouest
de Pékin : une ancienne caverne mise au jour par l'exploitation fut
repérée par un conseiller du Service géologique de Chine nommé
Anderson, qui suggéra une exploration préliminaire. Deux dents de
type humain décidèrent Davidson Black, titulaire de la chaire
d'anatomie à l'Union Medical College de Pékin, à entreprendre des
fouilles...
en compagnie du Protée de la paléontologie : le RP Teilhard de
Chardin. Une subvention annuelle de 20 000 dollars allouée par la
Fondation Rockefeller permit la découverte d'une sorte de puits
profond de 15 mètres, où, parmi des traces de feu, et
d'innombrables restes d'animaux, se trouvaient quelques crânes de
singes fracassés et des outils en quartzite. La fabrication du
Sinanthropus Pekinensis à partir de ces vestiges relevait en
fait du raisonnement déductif : on conclut que les crânes sans
corps avaient abrité des cerveaux d'où étaient nés le feu et les
outils. Or, ces crânes étant simiens, et l'idée, humaine, on avait
indubitablement affaire à des hommes-singes, postulant de droit, eux
aussi, à l'enviable fonction de chaînon retrouvés.
Le
bon sens, toutefois, suggérait une autre solution : celle de
Marcellin Boule, le directeur de l'Institut de paléontologie humaine
de Paris, selon qui les outils devaient sans doute être attribués à
un autre Homme inconnu, auquel le Sinanthrope aurait servi de gibier.
(La cervelle de singe est aujourd'hui encore un mets apprécié...)
Justement, en 1933, l'archéologue chinois W.C. Pei découvrit dans
une grotte située au-dessus du tas de cendres, les restes de six
hommes « modernes », dont trois crânes complets, accompagnés
d'outils identiques à ceux que l'on avait attribués aux «
hommes-singes ». Mais là encore, cette découverte
démythificatrice, qui aurait dû chasser l'Homme de Pékin de notre
album de famille, fut pieusement étouffée par les gardiens du
temple positiviste. Et dans les livres scolaires, le Sinanthrope,
encore courbé sous le joug de son animalité originelle, continue
d'avancer, main dans la main avec le Pithécanthrope de Java, vers
l'horizon radieux sur lequel se détache notre fière silhouette —
fruits glorieux que nous sommes, d'une si longue espérance...
Ajoutons
que les « précieuses trouvailles » de Chou-kou-tien furent
expédiées en 1941 aux États-Unis, où elles n'arrivèrent jamais,
ce qui leur épargna tout contrôle importun.
Mais
si ces fossiles purent se laisser ainsi « instrumentaliser » par la
doctrine évolutionniste, d'autres — animaux ceux-là —
proclamèrent inanité de ladite doctrine, tout simplement parce
qu'il étaient... vivants. Le plus célèbre d'entre eux, le
coelacanthe, né, officiellement, il y a 370 millions d'années,
avait non moins officiellement disparu avec les dinosaures il y a
près de 80 millions d'années. Or, un specimen de cette espèce
éteinte, un agent provocateur, eut l'insolence de réapparaître le
22 décembre 1938 près des Côtes d'Afrique du Sud, et environ 200
de ses congénères ont été pêchés depuis lors. Ils n'avaient pas
évolué. Pas plus que les nautiles, crinoïdes ou lys de mer eux
aussi vivants retrouvés en 1989 dans le Pacifique par le
navire océanographique Cyana, et dont la comparaison avec les
fossiles censément datés de centaines de millions d'années prouva
la consternante stabilité.
N'allons
pas croire pour autant que ces anomalies majeures entament le credo
évolutionniste, qui dispose d'une inépuisable palette de réponses
plus ou moins tautologiques : espèce à évolution très lente,
adaptation parfaite au milieu (réponse rapidement abandonnée eu
égard à la multiplicité des habitats du coelacanthe), rythme de
mutation particulier... La dernière théorie à la mode étant celle
de l'« équilibre intermittent ».
Les
manuels de vulgarisation ont à tel point et depuis si longtemps
façonné la mentalité générale, que la réaction la plus
prévisible face à toutes ces... difficultés, s'assimilera à celle
du voyageur de commerce à qui l'on montrait le Palais des Papes à
Avignon, et dont la réplique définitive résume l'esprit de notre
époque, aussi ignorante que « surinforrnée » : « Allons donc,
quelle bonne blague ! S'il y avait eu des papes ici, ça
se saurait... » De même, si la
théorie évolutionniste était réellement démentie par tous les
faits disponibles, et ne devait quelques-unes de ses « preuves »
les plus éclatantes qu'à d'inavouables supercheries, ça
se saurait... Quelle erreur ! Non
point que l'on veuille toujours occulter de propos délibéré les
difficultés rencontrées. Simplement, il est a priori impensable et
donc impossible, même aux yeux de ceux qui les constatent, qu'elles
puissent remettre en cause la vision que l'homme moderne a de
lui-même, de son destin (ou de son absence de destin) et de
l'univers qui l'entoure. L'aveuglement peut remplacer très
avantageusement la malhonnêteté intellectuelle... Ne nous attardons
donc pas plus longuement à l'analyse sans cesse décevante des
faits, et adressons-nous une fois de plus à Guénon pour aller au
fond du problèm [11].
Il
écrit en effet que « la prétendue loi du "parallélisme de
l'ontogénie et de la phylogénie", qui est un des postulats du
"transformisme » suppose, avant tout, qu'il y a réellement
une "phylogénie ou "filiation de l'espèce", ce qui
n'est pas un fait, mais une hypothèse toute gratuite ; le seul
fait qui peut être constaté, c'est la réalisation de certaines
formes organiques par l'individu au cours de son développement
embrionnaire. » Il n'est des lors nullement nécessaire que
l'espèce à laquelle il appartient les ait réalisées pour lui dans
un processus auquel il serait étranger, en tant qu'individu. Et cela
d'autant moins que selon un paradoxe apparent, « l'unité de
l'espèce est, en un sens, plus véritable et plus essentielle que
celle de l'individu ». Ce dernier en effet, dans les modalités
supérieures de son être, est indépendant de ladite espèce — qui
ne conditionne qu'un niveau d'existence déterminé sur une «
échelle » qui en comprend une indéfinité. Et même en ne
considérant que notre individualité présente, ses prolongements
psychiques peuvent établir des rapports conscients ou inconscients
avec d'autres espèces. La lycanthropie nous a déjà offert un
exemple — dérangeant — de ces vagabondages animiques. De toute
façon, selon le professeur Massimo Piattelli Palmarini [12],
directeur du Centre d'Histoire et de Philosophie de la Science de
Florence, plus aucun biologiste ne croit à cette fameuse loi
biogénétique d'Ernst Haeckel — l'inventeur fanatiquement
antireligieux du Pithécanthrope...
D'un
point de vue métaphysique, la simultanéité, in
principio, des états multiples de
l'Être, ruine sans aucun recours l'hypothèse évolutionniste. Car,
nous dit encore Guénon : « même pour les modifications
individuelles, qui se réalisent en mode successif dans l'ordre de la
manifestation, si elles n'étaient pas conçues comme simultanées en
principe, leur existence ne pourrait être que purement illusoire
[…]. » Si l'effet ne préexistait pas dans la cause, et si cette
cause n'existait pas au moment même
de la production de l'effet, tout en demeurant parfaitement inaltérée
par celle-ci, rien ne pourrait advenir. « La relation de causalité
est donc essentiellement irréversible, et elle est une relation de
simultanéité non de succession. » Cela d'autant moins qu'elle
s'étend également à des modes d'existence qui ne sont pas soumis
au temps ». Et il faut alors parler d'un enchaînement. de
modifications purement logique, et non chronologique.
Mais
ces évidences échappent bien sûr au grand nombre, qui est
seulement sensible a cet aspect particulièrement pervers de
l'évolutionnisme et qui, en définitive fait toute sa force :
son accord apparent avec une non moins apparente « réalité
objective ». Globalement, les organismes les plus complexes ne
sont-ils pas apparus les derniers, facilitant ainsi la confusion
entre ressemblance,
continuité, et descendance ?
Certes : c'est tout simplement que l'esprit ne naît pas de la
matière, mais que celle-ci, au contraire, en procède , qu'elle en
constitue la traduction sensorielle, comme nous ne cessons de le
rappeler, et comme l'a illustré abondamment notre exploration des
coulisses du phénomène extra-terrestre. En d'autres termes, si l'on
admet que notre univers sensible est le fruit de cette force
centrifuge qui éloigne progressivement toutes choses de l'Unité
principielle pour les solidifier en mode discontinu, on concevra
aisément que les possibilités les plus inférieures ou les plus
périphériques (si l'on s'en tient à la considération «
horizontale » d'un état d'existence donné) doivent se matérialiser
les premières. La Genèse ne dit pas autre chose, non plus que
l'Évangile, selon lequel « les derniers seront les premiers et les
premiers derniers ». (Saint Matthieu, XX, 16.)
Il
est permis de se demander, à cet égard, si les traditions qui
gardent le souvenir d'une race primordiale aux « os faibles » ou «
mous » (Li-tze caractérise ainsi les « hommes transcendants » de
la région hyperboréenne) ne réfèrent pas plus ou moins
symboliquement à une époque de moindre « solidification » de
l'homme, qui venait seulement de revêtir ces « tuniques de peaux »
dont parle la Bible, et qui s doivent tout simplement s'entendre de
la manifestation corporelle.
Toujours
à la lumière des « mythes primitifs », il est particulièrement
intéressant de retrouver ici nos fameux « hommes-singes ». Non
pas, bien sûr, les imposteurs démasqués plus haut, mais les
authentiques humanoïdes dont on admet désormais qu'ils ont cohabité
e avec l'Homo Sapiens...
Loin d'être des hommes en devenir, certains d'entre eux ne
seraient-ils pas des... hommes déchus ?
L'hypothèse
de l'involution, de la régression vers l'animalité, a été
envisagée par d'incontestables scientifiques comme Marcellin Boule,
qui voyait par exemple dans la race de Néanderthal une « espèce
dégénérée [13] ». Et certains biologistes considèrent en effet
ses caractéristiques comme des « tares acromégaliques
dégénératives » ayant entraîné sa disparition. Quant au grand
géologue Pierre Termier, il écrit ceci, après avoir cité des
exemples de régression dans la série animale [14] :
«
Entre l'homme et l'animal, il n'y a pas que des différences
anatomiques ; il y a une différence autrement essentielle,
qui est 1'existence chez l'homme, d'une âme raisonnable. Dès lors,
si cette âme, au lieu de monter comme elle y est appelée, se met à
descendre..., jus-qu'où n'ira pas la dégénérescence ? Et pourquoi
la dégénérescence n'irait-elle pas jusqu'à retentir non seulement
sur la physiologie - ce qui est évident et incontesté - mais même
sur l'anatomie ? »
N'est-ce
pas précisément à de semblables cas de régression que font
allusion ces versets du Coran :
II,
65 : « Vous connaissez ceux des vôtres qui ont transgressé le
Sabbat ? Nous leur avons dit : "Soyez des singes abjects".
V,
60 : « Dieu a transformé en singes et en porcs ceux qu'il a maudits
; ceux contre lesquels il est courroucé et ceux qui ont adoré les
Taghout. »
VII,
166 : « Nous leur avons dit, quand ils se rebellèrent contre nos
interdictions : "Soyez d'ignobles singes !"»
De
même, le Talmud (Sanhedrin,
109a) nous apprend que le tiers des hommes qui bâtissaient la Tour
de Babel furent changés en singes. Ce mythe apparemment universel se
retrouve en Amérique précolombienne, puisque le Popol
Vuh [15]
évoque une humanité originelle déchue, dont la postérité serait
« ces singes qui vivent actuellement dans les forêts ».
Mais
après avoir ainsi constaté les effets de la « Chute », il
convient d'en comprendre les causes.
_________________________
[1]
Imago, 1980.
[2]
Delpire, 1960.
[3]
In Daniel C. Noël, Carlos Castaneda, Ombres et lumières, Albin
Michel, 1981.
[4]
Cf. Michael Denton, Évolution. Une théorie en crise,
Londreys, 1988.
[5]
Cf. Jules Caries, Le Transformisme Presses Universitaires de
France, 1970.
[6]
Le Darwinisme en question. Science ou Métaphysique ?,
Exergue, 1996.
[7]
Cité par Rutilio Serrnonti, "Perseverare autem diabolicum".
Réquisitoire contre le Darwinisme », Totalité, op.
cit.
[8]
Le Monde, 11 décembre 1998.
[9]
Évolution. Une théorie en crise, op. cit.
[10]
L'Évolution créatrice, Alcan, 1932.
[11] Les Etats
multiples de l'Être, Véga/Guy Trédaniel.
[12] Cf. Roberto
Fondi, La révolution organiciste. Entretiens sur les nouveaux
courants scientifiques. Le Labyrinthe, 1986.
[13] Cf. Georges
Salet et Louis Lafont, L'Evolution régressive. Editions
Franciscaines, 1943.
[14] La Joie de
connaître, cité par Salet et Lafont, op. Cit.
[15] Traduction de
Georges Raymond, in Les Dieux, les Héros et les Hommes de
l'ancien Guatémala d'après le Livre du Conseil, Maisonneuve,
1975
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