Les deux résurrections


[...] Il est d'ailleurs question dans l'Apocalypse de deux résurrections ; la première dont il est dit « Heureux et saint, celui qui a part à la première résurrection ! Sur ceux-là, la seconde mort n'a pas de pouvoir » (XX, 6), doit donc s'entendre de la résurrection des « élus » qui, réintégrés dans l'état édénique, jouissent de la « perpétuité corporelle » ; ce seront les « prêtres de Dieu et du Christ », selon l'Apocalypse.

Saint Irénée commente de son côté cette première résurrection en des termes qu'il convient de citer un peu longuement : « [...] Aussi est-il nécessaire de déclarer à ce sujet que les justes doivent d'abord, dans ce monde rénové, après être ressuscités à la suite de l'apparition du Seigneur, recevoir l'héritage promis par Dieu aux pères et y régner ; ensuite seulement aura lieu le jugement de tous les hommes. Il est juste, en effet, que dans ce monde même où ils ont peiné et où ils ont été éprouvés de toutes manières par la patience, ils recueillent le fruit de cette patience ; que, dans le monde où ils ont été mis à mort à cause de leur amour pour Dieu, ils retrouvent la vie ; que, dans le monde où ils ont enduré la servitude, ils règnent. Car Dieu est riche de tous biens, et tout lui appartient. Il convient donc que le monde lui-même restauré en son état premier soit, sans plus aucun obstacle, au service des justes. C'est ce que l'Apôtre fait connaître dans son épître aux Romains, lorsqu'il dit : "La création attend avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu ; car elle a été assujettie à la vanité, non de son gré, mais à cause de celui qui l'y a assujettie, avec l'espérance qu'elle aussi serait un jour libérée de l'esclavage de la corruption pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu" [12] »

De ces paroles du Christ lors de la sainte Cène : « Je vous le dis, je ne boirai plus désormais du fruit de cette vigne, jusqu'au jour où j'en boirai de nouveau avec vous dans le royaume de mon Père [13] », Irénée conclut que « la chair qui ressuscitera dans une condition nouvelle [14] est aussi celle-là même qui aura part à la coupe nouvelle ». Et le Père de l'Église et évêque de Lyon rappelle ces promesses du Christ « Quiconque aura quitté champs, ou maisons, ou parents, ou frères, ou enfants à cause de moi, recevra le centuple en ce siècle et héritera de la vie éternelle dans le siècle à venir [15] »

Commentant d'autre part les prophéties d'Isaïe, saint Irénée écrit : « Si certains essaient d'entendre de telles prophéties dans un sens allégorique, ils ne parviendront même pas à tomber d'accord entre eux sur tous les points. D'ailleurs, ils seront convaincus d'erreur par les textes eux-mêmes, qui disent : "Lorsque les villes des nations seront dépeuplées, faute d'habitants, ainsi que les maisons, faute d'hommes, et lorsque la Terre sera laissée déserte... [16]" "Car voici, dit Isaïe, que le Jour du Seigneur vient, porteur de mort, plein de fureur et de colère, pour réduire la Terre en désert et en exterminer les pécheurs. [17]" Il dit encore : "Que l'impie soit enlevé, pour ne point voir la gloire du Seigneur  [18] !" Et après que cela aura eu lieu, "Dieu, dit-il, éloignera les hommes, et ceux qui auront été laissés se multiplieront sur la Terre [19]. Ils bâtiront des maisons et eux-mêmes les habiteront ; ils planteront des vignes et eux-mêmes en mangeront [20]". Toutes les prophéties de ce genre se rapportent sans conteste à la résurrection des justes, qui aura lieu après l'avènement de l'Antéchrist et l'anéantissement des nations soumises à son autorité : alors les justes régneront sur la Terre, croissant à la suite de l'apparition du Seigneur ; ils s'accoutumeront, grâce à lui, à saisir la gloire du Père, et dans ce royaume, ils accéderont au commerce des saints anges ainsi qu'à la communion et à1’union avec les réalités spirituelles. »

Cette première résurrection concerne bien les « sauvés », réintégrés dans l'état primordial et donc au centre de l'état humain, et c'est pourquoi il est fait allusion à leur commerce avec les anges — i.e. avec les états supérieurs de l'être — l'afflux de grâces inhérent à la « Redescente » du Christ ouvrant bien sûr des possibilités toutes particulières. Mais en dehors de ces élus, se présentera le cas de « délivrés » qui, pour des raisons « fonctionnelles », redescendront avec le Christ, parmi lesquels René Guénon et Saint Louis... Quant aux hommes qui vivront dans les derniers temps, et qui bénéficieront ainsi de la glorieuse compagnie des élus, voici ce qu'en dit saint Irénée :

« Et tous ceux que le Seigneur trouvera en leur chair, l'attendant des cieux après avoir enduré la tribulation et avoir échappé aux mains de l'impie, ce sont ceux dont le prophète a dit : "Et ceux qui auront été laissés se multiplieront sur la Terre" [21] »

La seconde résurrection, quant à elle, correspondant proprement au « Jugement Dernier » et à la fin du cycle, vaudra pour l’humanité entière. Ces deux résurrections, séparées par un temps très court puisque le Retour du Christ précédera de fort peu la fin du cycle, semblent correspondre à la Qiyâmatu-I-Kubrâ et à la Qiyâmatu-ç-çughrâ dont parle Qâchâni dans son commentaire du Coran [22].



[11] Cf. Jean de Bronac, Lavent du Millénaire, chez l’auteur, Poinsac, 43700 Coubon
[12] Rom., VIII, 19-21
[13] Saint Matthieu, XXVI, 29
[14] C’est-à-dire une modalité « tangible » du corps glorieux
[15] Saint Matthieu, XIX, 29 ; saint Luc. XVIII, 29-30.
[16] Isaïe. VI. 11.
[17] Isaïe, XIII. 9.
[18] Isaïe, XXVI 10
[19] Isaïe, VI, 12
[20] Isaïe, LXV, 21
[21] Isaïe, VI, 12
[22] Cf. Études Traditionnelles, nov.-déc. 1972

(Le Royaume du Graal)

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