En guise d'introduction récréative au
premier épisode du feuilleton diabolique, on nous permettra de
rapporter quelques échos qui nous invitent à décoder le caractère
agressivement matriarcal de la société américaine. Or donc, la
presse a révélé il y a quelques années que le président Clinton
et son épouse Hillary étaient sous l'emprise - entre autres «
conseillers spirituels » - d'un « gourou » juif nommé
Michael Lerner [1], pseudo-philosophe inventeur de la « politique du
sens », propre selon lui à révolutionner la politique
américaine, et dont il distillait les arcanes dans son magazine
Tikkun (en hébreu : « réparer », « transformer le
monde »). Présenté comme le prophète de l'année 1993 (« This
Year's prophet ») par le New York Times, Lerner a créé des
cellules sur l'ensemble du territoire américain, e les «
Tikkunistes » se réunissent au moins une fois par mois pour un
repas végétarien où il est bien sûr interdit de fumer. Or - et
c'est ce qui nous intéresse spécialement - Hillary Clinton
apparaissait comme une disciple très zélée, « croyant fermement
au plan de Tikkun visant à "féminiser" l'Amérique
et achever la "Nouvelle Alliance". »
Pour changer de religion sans quitter
pour autant ce féminisme « spiritualiste » à l'américaine, nous
mentionnerons également le dominicain Matthew Fox, auteur de
best-sellers qui dit la messe au nom de « Notre Mère » et,
demandant à ses étudiants : « que fait Dieu toute la journée ? »,
répond lui-même : « Elle s'amuse » !
De ces douteuses plaisanteries devrait
se dégager avec une certaine logique l'idée d'un Antéchrist
féminin, aux yeux de traditionalistes accoutumés de longue
date à dénoncer « la » Saint-Esprit, la Sophia des gnostiques et
autres hérésiarques. La revue Sous la Bannière [7] nous le
rappelle opportunément avec un article signé « Phazaël » et
intitulé « Le dogme gnostique de la salvation féminine ».
Selon cet auteur masqué, « la doctrine des "chers à Satan"
enseigne que le principe féminin, c'est le Saint-Esprit. Ainsi le
Saint-Esprit des gnostiques est Femme, il est la Femme divine,
l'Éternel féminin, il est la Sagesse, la Sophia. »
Et puisque, « nous assistons en nos
temps qu'il va bien falloir qualifier de plus en plus
d'antéchristiques, à ce que l'on a appelé "le Retour de
!'Esprit" », convenons que la Grande Prostituée ne devrait
pas avoir beaucoup de mal à se faire passer pour l'Antéchrist...
comme l'exige le plan contre-initiatique. Car, une fois « cette »
Antéchrist vaincue, il ne peut être question, n'est-ce pas, que de
la Délivrance finale et du Second Avènement. L'idée est d'une
géniale simplicité, et bien propre à entraîner l'adhésion des «
séduits ». Mais à la condition d'oublier qu'une Antéchrist
peut en cacher un autre -le vrai... D'où l'absolue nécessité pour
la Puissance des Ténèbres d'enraciner dans leur obsession les
traditionalistes - indispensables pour « éclairer » l'immense
troupeau des ci-devant matérialistes, agnostiques et indifférents,
sur la « véritable signification » d'événements inouïs, lorsque
l'Heure aura sonné ! Si un tel raccourci nous est permis, il s'agira
en somme, pour une « élite » intégriste trop consciente de
constituer « le petit reste », de donner un sens méta-physique à
la victoire des Grands Blonds sur les Petits Gris, et de conférer
aux premiers nommés l'auréole céleste qui leur est à n'en pas
douter promise par les machiavéliques concepteurs du plan...
Ce n'est sûrement pas par hasard si,
dès la fin du XIXe siècle, les néo-spiritualistes les plus
provocateurs prédisaient l'avènement d'un « personnage » féminin.
En leur donnant la parole, Jean Kostka (alias Jules Doinel) dénonçait
en 1895, dans son Lucifer démasqué [4],
« la » Saint-Esprit et l'atmosphère de sensualité morbide qui
entourait son culte :
« Les Élus seuls la verront,
l'entendront, la toucheront et lui feront cortège [...]. Elle se
donnera à nous, et à un de nous, et à tous, et elle en choisira un
qui sera l'élite de tous. Il faut la désirer, et c'est celui qui
saura le mieux la désirer, qui la possédera chez lui. Néanmoins,
elle se donnera à tous les élus, par sa parole, par son sourire,
par sa compagnie, par sa doctrine, et par ses miracles. Une étoile
l'annoncera. Et comment et pourquoi se donnera-t-elle ? Parce
qu'elle est l'AMOUR, feu pour Simon, plérôme pour Valentin, amour
pour nous.
« C'est par l'amour, que toute nature
se renouvelle. Et le grand mystère, c'est que notre corps astral
s'allumera à son corps astral, Pour embraser non plus les sens,
mais le cerveau. C'est le cerveau qui contient le feu de l'amour,
et du cerveau, il descend au coeur. En attendant, vous allez vous
sentir envahis par le feu de son amour. Mais celui qu'elle aura
choisi, la possédera tellement, qu'aucun mot ne peut rendre cette
possession divine. IL SERA DIEU EN DIEUE. »
Peut-on être plus explicite et, pour
user d'une formule à la mode, donner davantage de grain à moudre
aux chapelles intégristes ? N'oublions pas en outre que ces rêveries
malsaines attribuées aux « gnostiques » étaient livrées en
pâture aux catholiques, au moment précis où les héroïnes
maléfiques du sieur Léo Taxil - le tristement célèbre
mystificateur antimaçonnique - exerçaient sur ces mêmes
catholiques une trouble fascination. Il est particulièrement
significatif en effet que les romans taxiliens ou néo-taxiliens
abondamment relayés quelques années plus tard par la très «
antijudéo-maçonnique » Revue Internationale des Sociétés
Secrètes [6], accordent
toujours la vedette à un personnage féminin, qu'il s'agisse de
Diana Vaughan ou de Clotilde Bersone (l'Élue du Dragon [8]),
intronisée Grande Maîtresse luciférienne. Elles sont de surcroît
liées au monde anglo-saxon - directement dans le cas de Diana
Vaughan et indirectement dans celui de Clotilde Bersone, réputée
maîtresse du président des États-Unis Garfield.
Si l'on doutait encore de l'«
actualité » de ce Messie luciférien en jupons. en dehors même du
féminisme américain et des hantises intégristes, il suffirait de
se reporter, parmi beaucoup d'autres ouvrages voués au « New Age »
et à l'exaltation de la Femme, au Dernier Secret de Nostradamus,
par Guy Tarade et Alexandra Schreyer [8]. On y attend « le
retour de la femme cosmique », car : « À la fin de ce millénaire,
c'est la déesse, la polarité féminine, l'énergie en essence, le
dynamisme divin qui demandera à être manifesté ».
Sur cette manifestation de la prétendue
« polarité féminine », il est peut-être possible, grâce à
Guénon, d'être un peu plus précis encore, ou à tout le moins plus
« prospectif ». Dans un article publié en 1927 et repris dans les
Symboles fondamentaux de la Science sacrée [9],
il attire notre attention sur une société intitulée Order of
Chylena, fondée en 1879 à Philadelphie, et dont le symbolisme est «
peuplé » de personnages énigmatiques, tels Ethiopia, la Fiancée,
et Chylena, le Rédempteur. L'étendard de l'Ordre portant quant à
lui les mots Evangel et Evangeline inscrits dans des étoiles à six
pointes, autrement dit des « sceaux de Salomon ». Il était aussi
question de la parole perdue du Temple et de « cinq points de
compagnonnage, dérivés du vrai point E Pluribus Unum (devise
des États-Unis) ».
Ce bric-à-brac pseudo-symbolique
laissait a priori perplexe, mais de cette manière discrète et
allusive à laquelle il a habitué ses lecteurs, Guénon suggérait
un rapprochement entre la « Fiancée » et le Cantique des
Cantiques. Le nom d'Ethiopia qui lui est donné et qui s'applique
vraisemblablement à la race noire, référant bien sûr au Nigra
sum sed formosa (je suis noire mais je suis belle) du Cantique.
Peut-être faudrait-il en conclure, écrit Guénon, « que la
"rédemption" plus ou moins "évangélique"
(c'est-à-dire protestante) de celle-ci [la race noire] est un des
buts que se proposent les membres de l'association. S'il en était
ainsi, la devise E Pluribus Unum pourrait logiquement
s'interpréter dans le sens d'une tentative de rapprochement, sinon
de fusion, entre les races diverses qui constituent la population des
États-Unis, et que leur antagonisme naturel a toujours si
profondément séparées [...]. »
Quant à la « Philosophie de la vie
universelle » et au symbolisme du Sacré-Coeur également mentionnés
dans le corpus doctrinal de ce _i_L 1..
Quant à la «Philosophie de la vie
universelle » et au symbolisme du Sacré-Cœur également mentionnés
dans le corpus doctrinal de ce curieux Order of Chylena, Guénon en
suspectait le caractère « individualiste », « moraliste » et
«humanitaire ». Et d'évoquer, dans des contextes analogues, la
contrefaçon du Sacré-Coeur que représente le « Coeur de
l'Humanité ». N'était-ce pas indiquer que dans le cadre du
moralisme américain, une représentante sacralisée de la race
noire, détournant à son profit le symbolisme du Cantique des
Cantiques et réunissant entre autres sous son sceptre les
féministes et les adeptes du « politiquement correct », pourrait
bien exhorter à une « divinisation de l'humanité, non pas au sens
où le christianisme permet de l'envisager d'une certaine manière,
mais au sens d'une substitution de l'humanité à Dieu ; cela étant,
il est facile de comprendre que les propagateurs d'une telle idée
cherchent à s'emparer de l'emblème du Sacré-Coeur, de façon à
faire de cette divinisation de l'humanité une parodie de l'union des
deux natures divine et humaine dans la personne du Christ. »
La nature humaine étant en
l'occurrence représentée par « Evangeline » (empruntée au
Célèbre Poème de Longfellow) alias Ethiopia. Ainsi donc la
Femme écarlate serait-elle... noire ! Pour approfondir la
signification de cette négritude maléfique, c'est bien sûr vers le
sud symbolique, jadis manifesté par la Lémurie, qu'il faut nous
tourner, en compagnie par exemple de Fabre d'Olivet [10]. Il décrit
les « Sudéens » originels comme de talentueux architectes et
d'habiles métallurgistes - activités typiquement « caïnite
[11] » propres aux sédentaires oeuvrant dans la dimension
temporelle. Le processus de « solidification » associé aux
constructions titanesques des Sudéens, et leurs activités minières,
renvoient en somme au fondement de l'organisation terrestre,
ainsi que le suggère d'ailleurs l'étymologie. Commentant l'horreur
suscitée par le nom de Sudéen ou Suthéen chez les nations
d'origine blanche, Fabre d'Olivet écrit en effet:
« On sait que ces nations ont toujours
placé au sud le domicile de l'Esprit infernal, appelé par cette
raison Suth ou Soth par les Égyptiens, Sath par
les Phéniciens et Sathan ou Satan par les Arabes et
les Hébreux. » Et Fabre ajoute en note : « Ce nom a servi de
racine à celui de Saturne chez les Etrusques, et de Sathur, Suthur
ou Surthur chez le Scandinave, divinité terrible ou bienfaisante,
suivant la manière de l'envisager. C'est du celte-saxon Suth
que dérivent l'anglais South, le belge Suyd,
et l'allemand et le français Sud, pour désigner la partie du globe
terrestre opposée au pôle boréal. Il est à remarquer que ce mot,
qu'on rend ordinairement par celui de Midi, n'y a aucun rapport
étymologique. Il désigne proprement tout ce qui est opposé à
l'élévation, tout ce qui est bas, tout ce qui sert de base ou de
siège. Le mot sédiment en dérive par le latin Sedere,
qui lui-même vient du celte-saxon Sitten, en allemand Sitzen,
s'asseoir. »
Dans le contexte biblique, la face
obscure de ce symbolisme s'exprime en particulier dans la malédiction
de Cham, père de la « race » sudéenne. Mais ce célèbre
épisode nous introduit en outre à un aspect prévisible du règne
de la Grande Prostituée : ce faux universalisme, en fait ce
syncrétisme, qui apparaît comme le reflet inversé de la Synthèse
primordiale « hyperboréenne ».
Selon l'abbé Nicolas Boon [12],
puisque le vin est un universel symbole de la Sagesse, l'ivresse de
Noé doit s'entendre d'un haut état spirituel, d'une modalité
d'union à Dieu. Que le patriarche se couche au milieu de sa tente,
signifie qu'il occupe le centre - sacré et secret -d'un sanctuaire.
Le péché de Cham est d'avoir proclamé au-dehors, et donc profané,
la nudité de son père, car toute réalité spirituelle doit
se voiler dans ses manifestations extérieures, afin de ne
point offusquer la vue de qui n'est pas prêt à la recevoir dans son
essence. Cette divulgation d'un secret spirituel, aux yeux de ceux
dont l'intelligence demeure prisonnière des formes, des apparences,
ne peut susciter que la trahison, en mode syncrétiste, d'une vérité
ultime encore inaccessible.
Mais sa négritude représente
seulement l'une des deux composantes majeures de la Grande
Prostituée. Nous savons en effet que celle-ci incarne le quart
sud-ouest du « cercle des civilisations disparues », et nous avons
également compris tout ce qu'elle devait, à travers la révolte «
babylonienne » et « phénicienne » des Rouges, à l'héritage
atlante le plus subversif. C'est donc son ascendance juive qu'il nous
faut maintenant considérer, comme nous y incite d'ailleurs le «
métissage » symbolique qui la caractérise. Cette présence d'un
Judaïsme dévié s'impose à un double titre : d'abord par la
filiation atlante si reconnaissable dans le courant « abrahamique »,
et dont nous avons signalé plus haut quelques indices bibliques très
explicites. Ensuite par le symbolisme même de la terre de Canaan
conquise par les Hébreux. Comme toujours en pareil cas, la Terre
promise ne pardonnait aucune faiblesse au Peuple élu
providentiellement chargé d'en « transmuer » la fonction, mais qui
pouvait aussi victime de redoutables influences résiduelles.
Ajoutons enfin que dans la perspective du plan contre-initiatique, «
cette » antéchrist délibérément offerte à l'exécration des
traditionalistes... et de beaucoup d'autres, devait impérativement
afficher un faux Judaïsme provocateur. Les habituels contempteurs du
« lobby juif américain » (... et même français) n'imaginent
certainement pas tout ce que l'on prépare à leur intention !
La difficulté apparente, dans le
climat idéologique actuel, de critiquer la communauté israélite,
pourrait nous rendre perplexe, quant aux moyens qu'utiliseront les
ouvriers d'iniquité, pour raviver la flamme obscure de
l'antisémitisme. En fait, la première partie de la réponse réside
précisément dans le caractère délibérément outrancier de ce «
tabou » dénoncé par certains Juifs lucides comme une forme
d'antisémitisme à rebours, et qui, d'ores et déjà, ne manque pas
d'entretenir le mythe du « complot juif » (censément triomphant).
D'autre part, ce tabou lui-même peut être assez aisément déjoué
par le biais d'un « fanatisme religieux » qui n'épargne pas le
Judaïsme, comme en témoignent le massacre de Musulmans au Caveau
des Patriarches à Hébron, par Baruch Goldstein, héros des
extrémistes sionistes, et l'assassinat par un Juif de la même
tendance du Premier ministre israélien Itzhak Rabin. Mais le plus
intéressant, si l'on ose dire, est que ce fanatisme touche à la
fois Israël et les États-Unis, où il est notoire que les sionistes
opposés à tout accord avec les Palestiniens trouvent d'ardents
soutiens. Ainsi, par un raccourci qui se révélera peut-être
involontairement prophétique, le bimensuel catholique Monde et
Vie [13], pouvait-il risquer sur sa couverture ce titre
accusateur : « L'assassinat d'Itzhak Rabin : "Mêlez-vous de
vos affaires", avait-il dit à la communauté juive
américaine. »
Mais les Juifs américains les plus
extrémistes ne se borneront sûrement pas à « nuire » à la
communauté israélite en général par leur attitude. On peut sans
doute leur assigner un rôle plus précis, dans le cadre d'un certain
messianisme américain qui nous rapproche singulièrement du règne
de la Grande Prostituée.
Les fondements politico-mystiques de
l'arrogante domination anglo-saxonne, connus de longue date et qui
constituent naturellement l'une des cibles des traditionalistes,
s'inscrivent trop bien dans le scénario que nous suspectons. Un «
biblisme » littéraliste et pseudo-messianique inspire en effet la
puissante fédération du « British-Israel », née officiellement
en 1919, et prônant l'union de l'Amérique et de l'Angleterre,
qu'une funambulesque relecture de la Bible identifiait au Verus
Israel.
Les origines historiques de la
mythologie des « tribus perdues d'Israël », qui fonde cette
exégèse, remontent assez loin, puisque Guénon nous désigne un
Israélite d'origine portugaise, Mordecaï Manuel Noah, ancien consul
des États-Unis à Tunis, comme le véritable promoteur du sionisme,
dont la première Terre promise n'était autre que l'Amérique. En
1825, écrit Guénon [14], il « acheta une Île appelée Grand
Island, située dans la rivière Niagara, et lança une proclamation
engageant tous ses coreligionnaires à venir s'établir dans cette
île, à laquelle il donna le nom d'Ararat. Le 2 septembre de la même
année, on célébra en grande pompe la fondation de la nouvelle cité
; or, et c'est là ce que nous voulions signaler, les Indiens avaient
été invités à envoyer des représentants à cette cérémonie, en
qualité de descendants des tribus perdues d'Israël, et ils devaient
aussi trouver un refuge dans le nouvel Ararat. Ce projet n'eut aucune
suite, et la ville ne fut jamais bâtie ; une vingtaine d'années
plus tard, Noah écrivit un livre dans lequel il préconisait le
rétablissement de la nation juive en Palestine [...]. L'épisode que
nous venons de rappeler est antérieur de près de cinq ans à la
fondation du Mormonisme. » Or ce dernier affirmerait que les Indiens
de l'Amérique du Nord descendaient du Patriarche Joseph. Étendant
cette « révélation », l'un des treize articles de foi formulés
par Joseph Smith, le fondateur de la secte, disait ceci : « Nous
croyons au rassemblement littéral d'Israël et à la restauration
des dix tribus ; nous croyons que Sion sera rebâtie sur ce
continent, que le Christ régnera personnellement sur la terre, et
que la terre sera renouvelée et recevra la gloire paradisiaque. »
Ce « sionisme américain »
préfigurait directement les dogmes du British-Israel, nébuleuse qui
s'articule autour de centres et de publications facilement
identifiables, et offre toutes les caractéristiques requises pour
bien jouer son rôle provocateur aux yeux des traditionalistes :
mondialiste évidemment, et furieusement anticatholique, il illustra
parfaitement la « ténébreuse alliance » de la Finance cosmopolite
et du bolchevisme — promu instrument de la Justice immanente pour
punir Rome et ses séides. Ainsi le 19 novembre 1937, lors d'un
déjeuner à l'hôtel Astor à New York, Murray Butler, l'un des
prophètes du British-Israel, confiait cyniquement à Lord Cecil que
: « le communisme est l'instrument avec lequel on jettera par terre
les gouvernements nationaux en faveur d'un gouvernement mondial,
d'une police mondiale, d'une monnaie mondiale [15]. »
Le contenu doctrinal, ou plutôt
l'absence de contenu, du Christianisme flou, sans dogme, sans
liturgie, sans sacrements, prôné par le British-Israel, facilitait
son « universalisation » parodique, tout en annonçant clairement
cette divinisation de l'humanité dénoncée par Guénon. Le
professeur M. Murray, cité par Virion, ne la voit-il pas en marche «
à travers le chaos du monde vers le Christ cosmique » ?
Reste l'élément essentiel de ce
pseudo-messianisme : sa composante vétérotestamentaire, dans la
lignée du biblisme protestant. C'est Herbert W. Armstrong, autre
prophète, et parmi les plus écoutés, du British-Israel, fondateur
en 1934 de l'Église de Dieu, qui va nous y introduire dans une «
brochure éducative » publiée en 1982 : Les Anglo-Saxons
selon la prophétie. Son argumentation se fonde sur les promesses
faites par Dieu à Abraham, dans lesquelles il distingue celles
relatives au « droit d'aînesse » et celles concernant « le
sceptre ». C'est-à-dire la grâce répandue sur tous les
hommes par l'intermédiaire du Christ, appartenant à la tribu royale
de Juda. Or, selon Armstrong, tous les Israélites ne sont pas juifs.
Seuls peuvent revendiquer cette qualité les membres de la tribu de
Juda, et conséquemment ceux des tribus de Lévi et de Benjamin qui
la rejoignirent après le schisme. À eux donc, puisque « le Salut
vient des Juifs », la primauté spirituelle. Mais les promesses
relatives au droit d'aînesse faites à Joseph (I Chroniques, V, 2)
ne les concernaient pas. « Les Juifs n'ont jamais hérité de ces
grandes promesses matérielles nationales. » (Sic.)
Ce sont les deux fils de Joseph, Éphraïm et Manassé, objets d'une bénédiction spéciale de la part de Jacob, qui, en héritant du nom d'Israël, recueilleront ces promesses... Appartenant aux dix tribus du Nord dont les prévarications provoqueront la dispersion par l'Éternel et qui ne reviendront pas en Palestine après leur exil - au contraire de Juda - ces Israélites qui ne sont pas juifs (!) alimentent le mythe des tribus perdues. Perdues ? Pas pour Armstrong et le British-lsrael, selon qui Éphraïm et Manassé, justement, ont donné naissance à la Grande-Bretagne et aux États-Unis. Cela le plus simplement du monde. Ils suivirent les Assyriens dans leur migration vers le nord-ouest, et alors que ceux-ci s'arrêtèrent en Allemagne, la plupart des enfants d'Israël poursuivirent leur errance, et s'installèrent finalement en Europe occidentale, en Scandinavie et dans les îles Britanniques. Comme le prouve le nom « British » qui tout le monde l'aura compris, est composé de berith ou b'rith (alliance) et ish (homme ou peuple), et signifie donc : le peuple de l'Alliance... Manassé, pour sa part, émigra plus tard en Amérique du Nord.
Le courant du British-Israel — qu'il ne s'agit évidemment pas de circonscrire aux seules sectes ou « Églises » qui s'en réclament explicitement — se présente ainsi comme un concurrent direct du Sionisme, et nous ne doutons pas que quelques « vrais » Juifs anglo-saxons ne viennent en temps opportun cautionner cette relecture de la Bible, de façon à exalter une très matérielle assomption d'« Israël », conforme à la première partie du plan.
Ce décor sommairement brossé n'en permet pas moins d'« actualiser » l'univers mythique où certains seraient sans doute tentés de reléguer la Grande Prostituée. D'ailleurs, il suffit d'ouvrir les yeux sur le monde qui nous entoure pour y discerner d'innombrables indices annonçant ce premier avènement diabolique, et pour comprendre dès maintenant les réactions qu'il suscitera.
_________________________
[1] Cf Ratier, « Le gourou d'Hillary et Bill Clinton », Lectures Françaises, n° 440., décembre 1993
[2] Cf. Thomas Molnar, « Un Prêtre businessman de la foi... » , Monde et Vie n° 554, 7-27 octobre 1993
[3] N° 78, juillet-août 1998.
[4] Rééd. Slatkine, 1983.
[5] Cette conception - qui peut symboliser volontairement l'assomption éphémère d'une société bourgeoise victime d'hypertrophie mentale (confondue avec l'intelligence) - contredit à angle droit l'authentique doctrine traditionnelle, qui fait du coeur le tabernacle de l'Intellect transcendant, et donc de l'Amour, au sens où l'entendaient Dante et les Fedeli d'Amore, entre beaucoup d'autres. Et la Madonna Intelligenzia ne s'opposait pas moins à cette pseudo-Sophia échappée des lupanars de Canaan...
[6] Inspirée par des contre-initiés que Guénon s'employa à dénoncer, durant l'entre-deux-guerres.
[7] « Les Étincelles », 1929, Fernand Sorlot, 1932, Nouvelles Éditions Latines, 1978.
[8] Presses de la Cité, 1993.
[9] Chap. LXXI, « L'emblème du Sacré-Coeur dans une société secrète américaine ».
[10] Histoire philosophique du genre humain, op. cit., t.I.
[11] Il nous semble ici opportun de rappeler ce qu'écrivait Guénon dans Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps : « [...] la Thorah hébraïque se rattache proprement au type de loi des peuples nomades : de là la façon dont est présentée l'histoire de Caïn et d'Abel, qui, au point de vue des peuples sédentaires, apparaîtrait sous un autre jour et serait susceptible d'une autre interprétation [...] ».
[12] Au coeur de l'Écriture, op. cit.
[13] N° 590, 16 novembre - 6 décembre 1995.
[14] « Les Origines du Mormonisme », in Mélanges, Gallimard, 1976.
[15] Cité par Pierre Virion, Le Nouvel Ordre du Monde, Téqui, s.d. (1974).
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