Le rouge et le noir


En guise d'introduction récréative au premier épisode du feuilleton diabolique, on nous permettra de rapporter quelques échos qui nous invitent à décoder le caractère agressivement matriarcal de la société américaine. Or donc, la presse a révélé il y a quelques années que le président Clinton et son épouse Hillary étaient sous l'emprise - entre autres « conseillers spirituels » - d'un « gourou » juif nommé Michael Lerner [1], pseudo-philosophe inventeur de la « politique du sens », propre selon lui à révolutionner la politique américaine, et dont il distillait les arcanes dans son magazine Tikkun (en hébreu : « réparer », « transformer le monde »). Présenté comme le prophète de l'année 1993 (« This Year's prophet ») par le New York Times, Lerner a créé des cellules sur l'ensemble du territoire américain, e les « Tikkunistes » se réunissent au moins une fois par mois pour un repas végétarien où il est bien sûr interdit de fumer. Or - et c'est ce qui nous intéresse spécialement - Hillary Clinton apparaissait comme une disciple très zélée, « croyant fermement au plan de Tikkun visant à "féminiser" l'Amérique et achever la "Nouvelle Alliance". »

Pour changer de religion sans quitter pour autant ce féminisme « spiritualiste » à l'américaine, nous mentionnerons également le dominicain Matthew Fox, auteur de best-sellers qui dit la messe au nom de « Notre Mère » et, demandant à ses étudiants : « que fait Dieu toute la journée ? », répond lui-même : « Elle s'amuse » !

De ces douteuses plaisanteries devrait se dégager avec une certaine logique l'idée d'un Antéchrist féminin, aux yeux de traditionalistes accoutumés de longue date à dénoncer « la » Saint-Esprit, la Sophia des gnostiques et autres hérésiarques. La revue Sous la Bannière [7] nous le rappelle opportunément avec un article signé « Phazaël » et intitulé « Le dogme gnostique de la salvation féminine ». Selon cet auteur masqué, « la doctrine des "chers à Satan" enseigne que le principe féminin, c'est le Saint-Esprit. Ainsi le Saint-Esprit des gnostiques est Femme, il est la Femme divine, l'Éternel féminin, il est la Sagesse, la Sophia. »

Et puisque, « nous assistons en nos temps qu'il va bien falloir qualifier de plus en plus d'antéchristiques, à ce que l'on a appelé "le Retour de !'Esprit" », convenons que la Grande Prostituée ne devrait pas avoir beaucoup de mal à se faire passer pour l'Antéchrist... comme l'exige le plan contre-initiatique. Car, une fois « cette » Antéchrist vaincue, il ne peut être question, n'est-ce pas, que de la Délivrance finale et du Second Avènement. L'idée est d'une géniale simplicité, et bien propre à entraîner l'adhésion des « séduits ». Mais à la condition d'oublier qu'une Antéchrist peut en cacher un autre -le vrai... D'où l'absolue nécessité pour la Puissance des Ténèbres d'enraciner dans leur obsession les traditionalistes - indispensables pour « éclairer » l'immense troupeau des ci-devant matérialistes, agnostiques et indifférents, sur la « véritable signification » d'événements inouïs, lorsque l'Heure aura sonné ! Si un tel raccourci nous est permis, il s'agira en somme, pour une « élite » intégriste trop consciente de constituer « le petit reste », de donner un sens méta-physique à la victoire des Grands Blonds sur les Petits Gris, et de conférer aux premiers nommés l'auréole céleste qui leur est à n'en pas douter promise par les machiavéliques concepteurs du plan...

Ce n'est sûrement pas par hasard si, dès la fin du XIXe siècle, les néo-spiritualistes les plus provocateurs prédisaient l'avènement d'un « personnage » féminin. En leur donnant la parole, Jean Kostka (alias Jules Doinel) dénonçait en 1895, dans son Lucifer démasqué [4], « la » Saint-Esprit et l'atmosphère de sensualité morbide qui entourait son culte :

« Les Élus seuls la verront, l'entendront, la toucheront et lui feront cortège [...]. Elle se donnera à nous, et à un de nous, et à tous, et elle en choisira un qui sera l'élite de tous. Il faut la désirer, et c'est celui qui saura le mieux la désirer, qui la possédera chez lui. Néanmoins, elle se donnera à tous les élus, par sa parole, par son sourire, par sa compagnie, par sa doctrine, et par ses miracles. Une étoile l'annoncera. Et comment et pourquoi se donnera-t-elle ? Parce qu'elle est l'AMOUR, feu pour Simon, plérôme pour Valentin, amour pour nous.

« C'est par l'amour, que toute nature se renouvelle. Et le grand mystère, c'est que notre corps astral s'allumera à son corps astral, Pour embraser non plus les sens, mais le cerveau. C'est le cerveau qui contient le feu de l'amour, et du cerveau, il descend au coeur. En attendant, vous allez vous sentir envahis par le feu de son amour. Mais celui qu'elle aura choisi, la possédera tellement, qu'aucun mot ne peut rendre cette possession divine. IL SERA DIEU EN DIEUE. »

Peut-on être plus explicite et, pour user d'une formule à la mode, donner davantage de grain à moudre aux chapelles intégristes ? N'oublions pas en outre que ces rêveries malsaines attribuées aux « gnostiques » étaient livrées en pâture aux catholiques, au moment précis où les héroïnes maléfiques du sieur Léo Taxil - le tristement célèbre mystificateur antimaçonnique - exerçaient sur ces mêmes catholiques une trouble fascination. Il est particulièrement significatif en effet que les romans taxiliens ou néo-taxiliens abondamment relayés quelques années plus tard par la très « antijudéo-maçonnique » Revue Internationale des Sociétés Secrètes [6], accordent toujours la vedette à un personnage féminin, qu'il s'agisse de Diana Vaughan ou de Clotilde Bersone (l'Élue du Dragon [8]), intronisée Grande Maîtresse luciférienne. Elles sont de surcroît liées au monde anglo-saxon - directement dans le cas de Diana Vaughan et indirectement dans celui de Clotilde Bersone, réputée maîtresse du président des États-Unis Garfield.

Si l'on doutait encore de l'« actualité » de ce Messie luciférien en jupons. en dehors même du féminisme américain et des hantises intégristes, il suffirait de se reporter, parmi beaucoup d'autres ouvrages voués au « New Age » et à l'exaltation de la Femme, au Dernier Secret de Nostradamus, par Guy Tarade et Alexandra Schreyer [8]. On y attend « le retour de la femme cosmique », car : « À la fin de ce millénaire, c'est la déesse, la polarité féminine, l'énergie en essence, le dynamisme divin qui demandera à être manifesté ».

Sur cette manifestation de la prétendue « polarité féminine », il est peut-être possible, grâce à Guénon, d'être un peu plus précis encore, ou à tout le moins plus « prospectif ». Dans un article publié en 1927 et repris dans les Symboles fondamentaux de la Science sacrée [9], il attire notre attention sur une société intitulée Order of Chylena, fondée en 1879 à Philadelphie, et dont le symbolisme est « peuplé » de personnages énigmatiques, tels Ethiopia, la Fiancée, et Chylena, le Rédempteur. L'étendard de l'Ordre portant quant à lui les mots Evangel et Evangeline inscrits dans des étoiles à six pointes, autrement dit des « sceaux de Salomon ». Il était aussi question de la parole perdue du Temple et de « cinq points de compagnonnage, dérivés du vrai point E Pluribus Unum (devise des États-Unis) ».

Ce bric-à-brac pseudo-symbolique laissait a priori perplexe, mais de cette manière discrète et allusive à laquelle il a habitué ses lecteurs, Guénon suggérait un rapprochement entre la « Fiancée » et le Cantique des Cantiques. Le nom d'Ethiopia qui lui est donné et qui s'applique vraisemblablement à la race noire, référant bien sûr au Nigra sum sed formosa (je suis noire mais je suis belle) du Cantique. Peut-être faudrait-il en conclure, écrit Guénon, « que la "rédemption" plus ou moins "évangélique" (c'est-à-dire protestante) de celle-ci [la race noire] est un des buts que se proposent les membres de l'association. S'il en était ainsi, la devise E Pluribus Unum pourrait logiquement s'interpréter dans le sens d'une tentative de rapprochement, sinon de fusion, entre les races diverses qui constituent la population des États-Unis, et que leur antagonisme naturel a toujours si profondément séparées [...]. »

Quant à la « Philosophie de la vie universelle » et au symbolisme du Sacré-Coeur également mentionnés dans le corpus doctrinal de ce _i_L 1..

Quant à la «Philosophie de la vie universelle » et au symbolisme du Sacré-Cœur également mentionnés dans le corpus doctrinal de ce curieux Order of Chylena, Guénon en suspectait le caractère « individualiste », « moraliste » et «humanitaire ». Et d'évoquer, dans des contextes analogues, la contrefaçon du Sacré-Coeur que représente le « Coeur de l'Humanité ». N'était-ce pas indiquer que dans le cadre du moralisme américain, une représentante sacralisée de la race noire, détournant à son profit le symbolisme du Cantique des Cantiques et réunissant entre autres sous son sceptre les féministes et les adeptes du « politiquement correct », pourrait bien exhorter à une « divinisation de l'humanité, non pas au sens où le christianisme permet de l'envisager d'une certaine manière, mais au sens d'une substitution de l'humanité à Dieu ; cela étant, il est facile de comprendre que les propagateurs d'une telle idée cherchent à s'emparer de l'emblème du Sacré-Coeur, de façon à faire de cette divinisation de l'humanité une parodie de l'union des deux natures divine et humaine dans la personne du Christ. »

La nature humaine étant en l'occurrence représentée par « Evangeline » (empruntée au Célèbre Poème de Longfellow) alias Ethiopia. Ainsi donc la Femme écarlate serait-elle... noire ! Pour approfondir la signification de cette négritude maléfique, c'est bien sûr vers le sud symbolique, jadis manifesté par la Lémurie, qu'il faut nous tourner, en compagnie par exemple de Fabre d'Olivet [10]. Il décrit les « Sudéens » originels comme de talentueux architectes et d'habiles métallurgistes - activités typiquement « caïnite [11] » propres aux sédentaires oeuvrant dans la dimension temporelle. Le processus de « solidification » associé aux constructions titanesques des Sudéens, et leurs activités minières, renvoient en somme au fondement de l'organisation terrestre, ainsi que le suggère d'ailleurs l'étymologie. Commentant l'horreur suscitée par le nom de Sudéen ou Suthéen chez les nations d'origine blanche, Fabre d'Olivet écrit en effet:

« On sait que ces nations ont toujours placé au sud le domicile de l'Esprit infernal, appelé par cette raison Suth ou Soth par les Égyptiens, Sath par les Phéniciens et Sathan ou Satan par les Arabes et les Hébreux. » Et Fabre ajoute en note : « Ce nom a servi de racine à celui de Saturne chez les Etrusques, et de Sathur, Suthur ou Surthur chez le Scandinave, divinité terrible ou bienfaisante, suivant la manière de l'envisager. C'est du celte-saxon Suth que dérivent l'anglais South, le belge Suyd, et l'allemand et le français Sud, pour désigner la partie du globe terrestre opposée au pôle boréal. Il est à remarquer que ce mot, qu'on rend ordinairement par celui de Midi, n'y a aucun rapport étymologique. Il désigne proprement tout ce qui est opposé à l'élévation, tout ce qui est bas, tout ce qui sert de base ou de siège. Le mot sédiment en dérive par le latin Sedere, qui lui-même vient du celte-saxon Sitten, en allemand Sitzen, s'asseoir. »

Dans le contexte biblique, la face obscure de ce symbolisme s'exprime en particulier dans la malédiction de Cham, père de la « race » sudéenne. Mais ce célèbre épisode nous introduit en outre à un aspect prévisible du règne de la Grande Prostituée : ce faux universalisme, en fait ce syncrétisme, qui apparaît comme le reflet inversé de la Synthèse primordiale « hyperboréenne ».

Selon l'abbé Nicolas Boon [12], puisque le vin est un universel symbole de la Sagesse, l'ivresse de Noé doit s'entendre d'un haut état spirituel, d'une modalité d'union à Dieu. Que le patriarche se couche au milieu de sa tente, signifie qu'il occupe le centre - sacré et secret -d'un sanctuaire. Le péché de Cham est d'avoir proclamé au-dehors, et donc profané, la nudité de son père, car toute réalité spirituelle doit se voiler dans ses manifestations extérieures, afin de ne point offusquer la vue de qui n'est pas prêt à la recevoir dans son essence. Cette divulgation d'un secret spirituel, aux yeux de ceux dont l'intelligence demeure prisonnière des formes, des apparences, ne peut susciter que la trahison, en mode syncrétiste, d'une vérité ultime encore inaccessible.


Mais sa négritude représente seulement l'une des deux composantes majeures de la Grande Prostituée. Nous savons en effet que celle-ci incarne le quart sud-ouest du « cercle des civilisations disparues », et nous avons également compris tout ce qu'elle devait, à travers la révolte « babylonienne » et « phénicienne » des Rouges, à l'héritage atlante le plus subversif. C'est donc son ascendance juive qu'il nous faut maintenant considérer, comme nous y incite d'ailleurs le « métissage » symbolique qui la caractérise. Cette présence d'un Judaïsme dévié s'impose à un double titre : d'abord par la filiation atlante si reconnaissable dans le courant « abrahamique », et dont nous avons signalé plus haut quelques indices bibliques très explicites. Ensuite par le symbolisme même de la terre de Canaan conquise par les Hébreux. Comme toujours en pareil cas, la Terre promise ne pardonnait aucune faiblesse au Peuple élu providentiellement chargé d'en « transmuer » la fonction, mais qui pouvait aussi victime de redoutables influences résiduelles. Ajoutons enfin que dans la perspective du plan contre-initiatique, « cette » antéchrist délibérément offerte à l'exécration des traditionalistes... et de beaucoup d'autres, devait impérativement afficher un faux Judaïsme provocateur. Les habituels contempteurs du « lobby juif américain » (... et même français) n'imaginent certainement pas tout ce que l'on prépare à leur intention !

La difficulté apparente, dans le climat idéologique actuel, de critiquer la communauté israélite, pourrait nous rendre perplexe, quant aux moyens qu'utiliseront les ouvriers d'iniquité, pour raviver la flamme obscure de l'antisémitisme. En fait, la première partie de la réponse réside précisément dans le caractère délibérément outrancier de ce « tabou » dénoncé par certains Juifs lucides comme une forme d'antisémitisme à rebours, et qui, d'ores et déjà, ne manque pas d'entretenir le mythe du « complot juif » (censément triomphant). D'autre part, ce tabou lui-même peut être assez aisément déjoué par le biais d'un « fanatisme religieux » qui n'épargne pas le Judaïsme, comme en témoignent le massacre de Musulmans au Caveau des Patriarches à Hébron, par Baruch Goldstein, héros des extrémistes sionistes, et l'assassinat par un Juif de la même tendance du Premier ministre israélien Itzhak Rabin. Mais le plus intéressant, si l'on ose dire, est que ce fanatisme touche à la fois Israël et les États-Unis, où il est notoire que les sionistes opposés à tout accord avec les Palestiniens trouvent d'ardents soutiens. Ainsi, par un raccourci qui se révélera peut-être involontairement prophétique, le bimensuel catholique Monde et Vie [13], pouvait-il risquer sur sa couverture ce titre accusateur : « L'assassinat d'Itzhak Rabin : "Mêlez-vous de vos affaires", avait-il dit à la communauté juive américaine. »

Mais les Juifs américains les plus extrémistes ne se borneront sûrement pas à « nuire » à la communauté israélite en général par leur attitude. On peut sans doute leur assigner un rôle plus précis, dans le cadre d'un certain messianisme américain qui nous rapproche singulièrement du règne de la Grande Prostituée.

Les fondements politico-mystiques de l'arrogante domination anglo-saxonne, connus de longue date et qui constituent naturellement l'une des cibles des traditionalistes, s'inscrivent trop bien dans le scénario que nous suspectons. Un « biblisme » littéraliste et pseudo-messianique inspire en effet la puissante fédération du « British-Israel », née officiellement en 1919, et prônant l'union de l'Amérique et de l'Angleterre, qu'une funambulesque relecture de la Bible identifiait au Verus Israel.

Les origines historiques de la mythologie des « tribus perdues d'Israël », qui fonde cette exégèse, remontent assez loin, puisque Guénon nous désigne un Israélite d'origine portugaise, Mordecaï Manuel Noah, ancien consul des États-Unis à Tunis, comme le véritable promoteur du sionisme, dont la première Terre promise n'était autre que l'Amérique. En 1825, écrit Guénon [14], il « acheta une Île appelée Grand Island, située dans la rivière Niagara, et lança une proclamation engageant tous ses coreligionnaires à venir s'établir dans cette île, à laquelle il donna le nom d'Ararat. Le 2 septembre de la même année, on célébra en grande pompe la fondation de la nouvelle cité ; or, et c'est là ce que nous voulions signaler, les Indiens avaient été invités à envoyer des représentants à cette cérémonie, en qualité de descendants des tribus perdues d'Israël, et ils devaient aussi trouver un refuge dans le nouvel Ararat. Ce projet n'eut aucune suite, et la ville ne fut jamais bâtie ; une vingtaine d'années plus tard, Noah écrivit un livre dans lequel il préconisait le rétablissement de la nation juive en Palestine [...]. L'épisode que nous venons de rappeler est antérieur de près de cinq ans à la fondation du Mormonisme. » Or ce dernier affirmerait que les Indiens de l'Amérique du Nord descendaient du Patriarche Joseph. Étendant cette « révélation », l'un des treize articles de foi formulés par Joseph Smith, le fondateur de la secte, disait ceci : « Nous croyons au rassemblement littéral d'Israël et à la restauration des dix tribus ; nous croyons que Sion sera rebâtie sur ce continent, que le Christ régnera personnellement sur la terre, et que la terre sera renouvelée et recevra la gloire paradisiaque. »

Ce « sionisme américain » préfigurait directement les dogmes du British-Israel, nébuleuse qui s'articule autour de centres et de publications facilement identifiables, et offre toutes les caractéristiques requises pour bien jouer son rôle provocateur aux yeux des traditionalistes : mondialiste évidemment, et furieusement anticatholique, il illustra parfaitement la « ténébreuse alliance » de la Finance cosmopolite et du bolchevisme — promu instrument de la Justice immanente pour punir Rome et ses séides. Ainsi le 19 novembre 1937, lors d'un déjeuner à l'hôtel Astor à New York, Murray Butler, l'un des prophètes du British-Israel, confiait cyniquement à Lord Cecil que : « le communisme est l'instrument avec lequel on jettera par terre les gouvernements nationaux en faveur d'un gouvernement mondial, d'une police mondiale, d'une monnaie mondiale [15]. »

Le contenu doctrinal, ou plutôt l'absence de contenu, du Christianisme flou, sans dogme, sans liturgie, sans sacrements, prôné par le British-Israel, facilitait son « universalisation » parodique, tout en annonçant clairement cette divinisation de l'humanité dénoncée par Guénon. Le professeur M. Murray, cité par Virion, ne la voit-il pas en marche « à travers le chaos du monde vers le Christ cosmique » ?

Reste l'élément essentiel de ce pseudo-messianisme : sa composante vétérotestamentaire, dans la lignée du biblisme protestant. C'est Herbert W. Armstrong, autre prophète, et parmi les plus écoutés, du British-Israel, fondateur en 1934 de l'Église de Dieu, qui va nous y introduire dans une « brochure éducative » publiée en 1982 : Les Anglo-Saxons selon la prophétie. Son argumentation se fonde sur les promesses faites par Dieu à Abraham, dans lesquelles il distingue celles relatives au « droit d'aînesse » et celles concernant « le sceptre ». C'est-à-dire la grâce répandue sur tous les hommes par l'intermédiaire du Christ, appartenant à la tribu royale de Juda. Or, selon Armstrong, tous les Israélites ne sont pas juifs. Seuls peuvent revendiquer cette qualité les membres de la tribu de Juda, et conséquemment ceux des tribus de Lévi et de Benjamin qui la rejoignirent après le schisme. À eux donc, puisque « le Salut vient des Juifs », la primauté spirituelle. Mais les promesses relatives au droit d'aînesse faites à Joseph (I Chroniques, V, 2) ne les concernaient pas. « Les Juifs n'ont jamais hérité de ces grandes promesses matérielles nationales. » (Sic.)

Ce sont les deux fils de Joseph, Éphraïm et Manassé, objets d'une bénédiction spéciale de la part de Jacob, qui, en héritant du nom d'Israël, recueilleront ces promesses... Appartenant aux dix tribus du Nord dont les prévarications provoqueront la dispersion par l'Éternel et qui ne reviendront pas en Palestine après leur exil - au contraire de Juda - ces Israélites qui ne sont pas juifs (!) alimentent le mythe des tribus perdues. Perdues ? Pas pour Armstrong et le British-lsrael, selon qui Éphraïm et Manassé, justement, ont donné naissance à la Grande-Bretagne et aux États-Unis. Cela le plus simplement du monde. Ils suivirent les Assyriens dans leur migration vers le nord-ouest, et alors que ceux-ci s'arrêtèrent en Allemagne, la plupart des enfants d'Israël poursuivirent leur errance, et s'installèrent finalement en Europe occidentale, en Scandinavie et dans les îles Britanniques. Comme le prouve le nom « British » qui tout le monde l'aura compris, est composé de berith ou b'rith (alliance) et ish (homme ou peuple), et signifie donc : le peuple de l'Alliance... Manassé, pour sa part, émigra plus tard en Amérique du Nord.



Le courant du British-Israel — qu'il ne s'agit évidemment pas de circonscrire aux seules sectes ou « Églises » qui s'en réclament explicitement — se présente ainsi comme un concurrent direct du Sionisme, et nous ne doutons pas que quelques « vrais » Juifs anglo-saxons ne viennent en temps opportun cautionner cette relecture de la Bible, de façon à exalter une très matérielle assomption d'« Israël », conforme à la première partie du plan.



Ce décor sommairement brossé n'en permet pas moins d'« actualiser » l'univers mythique où certains seraient sans doute tentés de reléguer la Grande Prostituée. D'ailleurs, il suffit d'ouvrir les yeux sur le monde qui nous entoure pour y discerner d'innombrables indices annonçant ce premier avènement diabolique, et pour comprendre dès maintenant les réactions qu'il suscitera.
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[1] Cf Ratier, « Le gourou d'Hillary et Bill Clinton », Lectures Françaises, n° 440., décembre 1993



[2] Cf. Thomas Molnar, « Un Prêtre businessman de la foi... » , Monde et Vie n° 554, 7-27 octobre 1993

[3] N° 78, juillet-août 1998.



[4] Rééd. Slatkine, 1983.



[5] Cette conception - qui peut symboliser volontairement l'assomption éphémère d'une société bourgeoise victime d'hypertrophie mentale (confondue avec l'intelligence) - contredit à angle droit l'authentique doctrine traditionnelle, qui fait du coeur le tabernacle de l'Intellect transcendant, et donc de l'Amour, au sens où l'entendaient Dante et les Fedeli d'Amore, entre beaucoup d'autres. Et la Madonna Intelligenzia ne s'opposait pas moins à cette pseudo-Sophia échappée des lupanars de Canaan...



[6] Inspirée par des contre-initiés que Guénon s'employa à dénoncer, durant l'entre-deux-guerres.



[7] « Les Étincelles », 1929, Fernand Sorlot, 1932, Nouvelles Éditions Latines, 1978.



[8] Presses de la Cité, 1993.



[9] Chap. LXXI, « L'emblème du Sacré-Coeur dans une société secrète américaine ».



[10] Histoire philosophique du genre humain, op. cit., t.I.



[11] Il nous semble ici opportun de rappeler ce qu'écrivait Guénon dans Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps : « [...] la Thorah hébraïque se rattache proprement au type de loi des peuples nomades : de là la façon dont est présentée l'histoire de Caïn et d'Abel, qui, au point de vue des peuples sédentaires, apparaîtrait sous un autre jour et serait susceptible d'une autre interprétation [...] ».



[12] Au coeur de l'Écriture, op. cit.



[13] N° 590, 16 novembre - 6 décembre 1995.



[14] « Les Origines du Mormonisme », in Mélanges, Gallimard, 1976.



[15] Cité par Pierre Virion, Le Nouvel Ordre du Monde, Téqui, s.d. (1974).



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