Le Nouvel Ordre Mondial ou le N.O.M. de la Bête


L'inquiétude suscitée par le « mondialisme » chez de nombreux esprits qui se flattent d'être lucides - et qui le sont partiellement... - atteste bien que le Nouvel Ordre Mondial, loin de représenter le nec plus ultra de la Subversion, sera particulièrement éphémère : le temps pour ses zélateurs aveuglés, séduits par les prestiges de la modernité, de réaliser son inhumanité, son horreur « totalitaire »... et beaucoup plus encore.

L'hostilité d'un certain public, en France et ailleurs, à l'égard de l'« Euromondialisme », peut donner une première idée, en mode mineur, du rejet de la Pax Americana « luciférienne ». Avant d'examiner des exégèses plus subtiles émanant d'« intellectuels de gauche », il nous semble intéressant de citer cette opinion d'Yvan Blot, représentant à l'époque le Front National au Parlement européen, et qui, dans sa concision, résume parfaitement les griefs et les hantises de la mouvance « traditionaliste » lato sensu. Puisque tout le monde sait déjà, sans bien saisir toute la portée de ce phénomène, que la détestation du Nouvel Ordre Mondial américain transcende les habituels clivages politiques.

« L'axe de recherche à privilégier, selon Yvan Biot [1], est l'existence d'un Nouvel Ordre mondial dirigé par les milieux cosmopolites dont les bases dirigeantes se situent aux États-Unis. L'Union européenne est une création coloniale. Son but n'est pas d'assurer l'indépendance de l'Europe, mais de dissoudre les nations en les soumettant au Nouvel Ordre mondial : si nous arrivons à faire prendre conscience de ce lien à nos compatriotes, ceux-ci comprendront que défendre les intérêts bien compris des Européens, c'est défendre la France et stopper le processus de Maastricht et d'Amsterdam. Si l'Ordre mondial l'emporte, se sera le chômage, la crise économique et la perte de souveraineté. Tout le reste, au regard de cette seule question, est secondaire. »

Certes, les organismes à vocation « mondialiste », d'origine généralement anglo-saxonne et regroupant politiciens «initiés » et magnats de l'économie et de la finance, constituent depuis longtemps déjà la cible favorite des traditionalistes de l'Ancien et du Nouveau Monde ; mais ceux-ci, désormais, ne sont plus seuls. Des « progressistes » les ont rejoints, au point qu'il est parfois difficile de distinguer un discours d'extrême droite d'un discours d'extrême gauche. Mais le renfort le plus significatif est bien sûr apporté par les ufologues de l'espèce « conspirationniste ». Avec l'ardeur belliqueuse qui les caractérise, ils ont donné une nouvelle jeunesse à des thèmes qui, il y a vingt ou trente ans, semblaient destinés à se « fossiliser » sous la plume de quelques rescapés de Vichy. Il est remarquable que Jung [2] lui-même ait joué une fois encore les précurseurs, à cet égard. Il s'en prenait déjà, en effet, à l'emprise massive et dictatoriale des grandes organisations politiques, menaçant la liberté individuelle et — psychanalyse oblige — entravant le fameux « processus d'individuation ». Puisque toute mesure collective accroît, par son essence même, l'effet étouffant de la masse ; il ne subsiste plus qu'un remède la mise en évidence, la mise en relief et la valorisation de l'individu. » Cette politisation du propos jungien (qui ne répugne pas même à évoquer le « gagne-pain en général confortable » des fonctionnaires internationaux) prend tout son sens et son sel quand on sait qu'elle a été en partie suscitée par la censure « non imaginaire » des autorités américaines visant certaines informations sur les soucoupes volantes... et s'opposant donc indirectement au processus d'individuation censément induit par celles-ci. À peine vingt ans plus tard, ladite censure, dans l'esprit des conspirationnistes, viserait le pacte inavouable entre les Short Grays et les autorités américaines... Et c'est à cette « lumière » -là, désormais, que se lit la longue histoire du « mondialisme luciférien », présupposant la présence de mauvais extra-terrestres embusqués dans les coulisses depuis, peut-être, l'origine de l'humanité.

Catholiques intégristes et ufologues dévots des Anciens Astronautes (les bons...) se retrouvent pour stigmatiser, par exemple, la Table Ronde fondée par Cecil Rhodes en 1891, et qui se proposait de promouvoir un gouvernement mondial à direction britannique, puis, plus largement, anglo-saxonne. Selon Wickham Stead son secrétaire, il avait en effet exposé son plan à Lord Rotschild qui lui répondit « C'est très bien si vous pouvez y joindre l'Amérique, sinon cela se réduit à rien [3]. » Cecil Rhodes rêva dès lors de réunir en une seule nation les États-Unis et la Grande-Bretagne – « idéal » qu'il transmit à l'école des « Rhodes Scholars », d'abord établie à Oxford pour former une « élite » selon ses vues, et qui essaima outre-Atlantique. Après la Première Guerre mondiale, la Round Table donna naissance au Council on Foreign Relations (CFR) américain, toujours très actif, et bête noire des antimondialistes.

Loin de nous l'idée de réhabiliter ces institutions toutes dévouées au règne de la Pax Americana. (L'animosité à son égard des dix « cornes » de la Bête n'en rend pas la Grande Prostituée moins coupable, et il en va de même des organisations politico-économiques qui préparent plus ou moins inconsciemment son avènement.) Il s'agit seulement d'en relativiser l'importance, ou à tout le moins de la circonscrire à la première phase du piège. Cette précision s'impose d'autant plus que déjà, un aspect très particulier du Nouvel Ordre Mondial en gestation — et qui nous éloigne (en apparence) du « règne de la quantité » — vise manifestement à accréditer son caractère « antéchristique ».

Les choses se compliquent en effet pour les matérialistes... et elles s'éclaircissent d'autant (croient-ils) aux yeux des traditionalistes et des soucoupistes « mystiques », lorsque la perversité de la ploutocratie mondialiste se trouve très obligeamment soulignée par des signes et des symboles « religieux ». À commencer par le nombre de la Bête apocalyptique, ce « 666 » géant qui somme, par exemple, le «Rockefeller Center » de Manhattan, « siège de l'empire colossal du magnat de la finance à New York », comme l'écrit J. Guieu [4]. Ce dernier commente ainsi le très intrigant témoignage d'un de ses amis, un certain (ou un incertain ?) Lucien Cometta, sur l'« innocence » duquel on pourra s'interroger, tant il conforte opportunément certaines phobies et certains phantasmes propres au camp antimondialiste. Au prix de bien des approximations (mais quelle importance ?...) nous entrons là dans le vif du sujet.

« Se pourrait-il, écrit Guieu, que cet éminent personnage [David Rockefeller] devienne notre premier président du Gouvernement Mondial ? On sait déjà que David Rockefeller [ ...] se trouve être président-fondateur du CFR et président nord-américain de la Commission Trilatérale... qui pourrait bien avoir (ou avoir eu) des "connexions" avec l'affaire des EBE [Entités Biologiques Extra-terrestres], plus exactement les Gris... [...] Il se trouve également que c'est David Rockefeller qui finança la campagne électorale de Dwight D. Eisenhower... et qui, avec lui, élabora les structures secrètes du MJ12 (nom-code de la commission chargée au début des contacts avec les Extraterrestres) sous le contrôle de ce que les Anglo-Saxons appellent les "Étrangers" (Aliens), entendant par là qu'ils sont étrangers à notre Terre et non pas natifs de la Papouasie ou du Liechtenstein ! »

Bis repetita placent : outre que les instances mondialistes (du moins celles qui existent réellement) sont tout aussi ignorantes que le commun des mortels du scénario « extra-terrestre », il est hélas naïf de croire que le Nouvel Ordre Mondial qu'elles préparent constituera l'aboutissement du plan subversif, l'incarnation ultime de la Puissance des Ténèbres. C'est sous-estimer... diablement l'Adversaire que d'imaginer qu'il puisse afficher la couleur aussi imprudemment ! Singuliers comploteurs en effet que ceux qui étalent au grand jour leurs plus « secrets » desseins, et agitent avec autant d'insistance le chiffon rouge. Nous voulons dire : ce « 666 », ce nombre de la Bête sur lequel il nous faut revenir. Il est en effet omniprésent sous la forme de cartes de crédit et de systèmes de marquage électronique parmi lesquels bien sûr l'universel « code barres [5] ». Ainsi la signature par la Grèce, le 11 juin 1997, de la convention de Schengen sur l'espace de libre circulation en Europe, suscita une violente opposition de la part de l'Église orthodoxe, dont les représentants signifièrent au Premier ministre Costas Simitis leur refus d'un système informatique dont « le code principal est le nombre 666 [6] ». Le dimanche des Rameaux, l'Église avait mis en garde les fidèles contre « l'introduction systématique du 666 dans la vie de la nation grecque », et les moines du mont Athos demandèrent quant à eux aux 300 députés de ne pas ratifier la convention, s'élevant contre « la mise en fiches électroniques au niveau européen, et peut-être ultérieurement au niveau mondial, de chaque individu libre ». Le gouvernement dut assurer que la convention ne portait atteinte « ni aux libertés individuelles ni à la religion ». Enfin, par un rapprochement significatif, certains des manifestants qui, à Athènes, dénonçaient « le nombre de la Bête », distribuaient également des tracts visant les « projets totalitaires et sionistes de Maastricht et de Schengen », tandis que d'autres brandissaient des banderoles réclamant « le départ des espions sionistes de la Grèce de Jésus-Christ [7] ».

Encore étrangers à cet émoi politico-eschatologique, les « laïques » qui, dans toute l'Europe, se levèrent contre la menace « maastrichtienne », se contentaient pour leur part de débattre des inconvénients de la monnaie unique, et aussi du caractère potentiellement liberticide et « déréalisant » des nouveaux moyens informatiques, et de la violence sauvage engendrée par l'ultralibéralisme qu'ils sous-tendent. Ainsi, des « eurosceptiques » ou des antimondialistes agnostiques qui considèrent les perspectives eschatologiques comme le domaine réservé des sectes, peuvent néanmoins trouver à leur détestation « rationnelle » de la Pax Americana des aliments de choix, en parfaite adéquation avec leurs schémas mentaux, mais qui n'en préparent pas moins « la suite » : lorsque le caractère totalitaire, façon Orwell, du Nouvel Ordre Mondial sera révélé, même aux yeux d'une (relative) majorité séduite par les fallacieuses promesses d'une paix universelle s'inscrivant en apparence dans le trop fameux « sens de l'histoire ». Cela sans parler encore du plus important : l'irruption au grand jour d'indicibles horreurs avec lesquelles nous avons familiarisé les lecteurs peu avertis de ces convulsions souterraines, annonciatrices d'un inimaginable séisme. (Tout le monde ne s'intéresse pas forcément aux cauchemars inspirés de l'Amérique profonde confrontée « aux frontières du réel », même quand ils investissent nos soirées familiales le samedi soir sur M6...) C'est d'ailleurs cette irruption des univers parallèles qui confère un caractère inconsciemment prophétique aux commentaires de certains intellectuels, comme Paul Virilio. En dénonçant, disions-nous, la perversité intrinsèque des nouveaux réseaux informatiques, il met en relation, tout en les opposant, « notre » réalité quotidienne et cette réalité « virtuelle » dans laquelle les adolescents, déjà, nous prouvent que l'on peut basculer totalement, jusqu'à y rencontrer, qui sait, des humanoïdes gris macrocéphales...

Décrivant la « bombe informatique » dont Einstein avait prévu l'explosion après la bombe atomique et avant la bombe démographique, Virilio sensibilise dès l'abord le public « cultivé » à la menace que fait peser l'informatique sur une dimension essentielle de la conscience humaine : [. ..] à partir du moment où nous sommes devant un système binaire, statistique (oui-non, vrai-faux), cela a une influence sur la dimension subjective, poétique du langage. Le langage a mille issues, mille interprétations possibles, c'est toute la subjectivité de l'analogie par rapport à l'objectivité du numérique. Je ne suis pas poète, mais je crains que le numérique n'ampute l'analogique de sa richesse et de sa diversité [8]. » Les conséquences de cet amoindrissement, de cette « robotisation » du langage concomitante de la dernière étape de la solidification du monde, sont aisément universalisables :

« Les dangers de l'informatique, c'est la possibilité d'un conditionnement immédiat des mentalités et des populations à l'échelle du monde. C'est une menace pour l'individu et pour la démocratie [9]. » Et Virilio en arrive à redouter — crainte particulièrement « intéressante » à nos yeux — une mondialisation accélérée et « uniformisante », provoquant « le déclin de la réalité au profit d'une réalité virtuelle qui va nous entraîner dans des délires d'interprétation ». Car les nouvelles technologies « offrent non seulement la possibilité de voir ou d'entendre, mais aussi de toucher à distance. On vient d'inventer les capteurs olfactifs. Tous les sens sont transférables à distance. Séduction totale : c'est celle d'un fantôme, d'un spectre, d'une apparition. » Apparition... Le mot est lâché ; et repris au vol par les évêques français réunis à l'Institut National de l'Audiovisuel lors d'une journée d'information sur le thème de l'image virtuelle. Selon Marie-Élisabeth Rouchy [10], « ils ont reposé le problème de la légitimité de la représentation humaine obtenue à partir d'équations mathématiques, et souligné les risques de confusion engendrés par ces images, qui pourraient passer, aux yeux de certains, pour des apparitions...

Et qui donc est réputé susciter de fausses apparitions, sinon le diable et l'Antéchrist ? Ne discerne-t-on pas ici plus qu'une transition entre « notre » vie ordinaire d'ores et déjà frappée d'obsolescence, et le monde de demain, le « new age » néo-spiritualiste cher aux Anglo-Saxons, abhorré par les traditionalistes, et qui, par un instructif glissement sémantique, désigne également, désormais, l'ère nouvelle de prospérité matérielle insolente et... « babylonienne » dont les États-Unis se flattent de montrer le chemin !

Paco Rabanne, le divertissant « couturier visionnaire », tire — pour un vaste public, inaccessible à Virilio et aux évêques — la conclusion « logique » de ces considérations, tout en nous ramenant à l'incontournable métaphore du « 666 » new-yorkais : « Au coeur de la ville, sur la façade d'un gratte-ciel, j'ai pu voir trois gigantesques chiffres lumineux. Trois 6, soit 666 : le nom codé, donné dans l'Apocalypse à la "Bête" [...].

« [...] On m'apprit alors qu'il s'agissait de la fréquence hertzienne choisie par la première émission de radio...

« J'eus aussitôt le sentiment que tout se mettait en place dans ma vision des choses. Pour moi, il ne faisait aucun doute que les ondes hertziennes, baptisées au chiffre de la Bête, figuraient le moyen de propagande de celle-ci. Radio d'abord, puis télévision : "On lui donna le pouvoir d'animer l'image de la Bête pour la faire parler", dit Jean. Cette image qui s'anime, donc bouge, et qui parle, qu'est-ce d'autre que l'image télévisuelle, sinon - également - celle de tous les réseaux de communication informatiques et électroniques dont nous disposons désormais [11] ? »

Tout cela donne évidemment une résonance particulière aux... démons » (sic) utilisés par les systèmes d'exploitation informatique, et qui se chargent automatiquement de certaines tâches [12]. Dans ce même registre des « imprudences » sémantiques (ou des provocations verbales !), on retiendra encore cette remarque de Philippe Quéau : « Le contraire "virtuel" d'une position "réelle", c'est l'impression de son abolition, c'est le vertige de l'abîme. »

Démons et abîme... Mais au fait, la machine elle-même, qui a engendré cet inquiétant univers, n'aurait-elle rien à nous apprendre, par-delà l'apparente banalité de son fonctionnement quotidien ? Deux auteurs, en particulier, Michaël Shallis et Jacques Bonvin, nous livrent à cet égard de très curieuses informations. Le premier [13], physicien et maître de conférences à Oxford, postule une sorte de lien extra-sensoriel entre l'ordinateur et son utilisateur, celui-ci pouvant influer « psychiquement » sur le fonctionnement de celui-là... et réciproquement. « Beaucoup de gens en intimité avec les ordinateurs parlent d'entités dans la machine. » Nous avons bien lu : des entités « hantent » l'ordinateur, et peuvent même apparaître « quand les conditions sont réunies. J'ai soumis cette idée à beaucoup d'informaticiens expérimentés, qui au premier abord s'en moquent. Invariablement, ils reviennent me voir et disent qu'ils pensent que j'ai raison, qu'à la réflexion ils reconnaissent l'existence d'entités dans l'ordinateur. Quelques-uns quittent le métier après s'être rendu compte de cette réalité. D'autres la prennent avec désinvolture. il leur est égal de travailler avec un fantôme dans la machine. »

Qu'il nous soit permis d'ajouter cette anecdote : nous avons personnellement connu un « opérateur » à qui son ordinateur délivra spontanément un « message », sans aucune intervention manuelle !

Jacques Bonvin, pour expliquer ces singuliers phénomènes, émet une hypothèse fort judicieuse, en rappelant que le monde informatique doit sa puissance à la maîtrise des cristaux de germanium ou de silicium. Or, les recherches effectuées sur les cristaux mettraient en lumière une sorte d'« intelligence », et en tout cas une puissante énergie, utilisée par certains thérapeutes. Jacques Bonvin envisage donc l'existence d'« entités cristallines » en quelque sorte prisonnières de la machine, et coupées de leur « milieu vital » subtil par le champ électrique dans lequel elles baignent en permanence. D'où leur « révolte ». De fait, toujours selon Bonvin, il existerait sur le clavier d'ordinateur, un point « d'une nocivité extrême qui irradie en permanence sous la main du claviste. Ce point se trouve situé exactemment à l'aplomb de la table des caractères, là où sont emprisonnés les cristaux. »

Au-delà de ces considérations, à mi-chemin de la géobiologie et de la science-fiction, nous rappellerons quant à nous que le cristal - instrument par excellence de la clairvoyance — a été considéré par toutes les civilisations d'Orient et d'Occident, comme un symbole de la médiation entre le visible et l'invisible, ainsi que l'attestent par exemple les sandales de cristal portées par les elfes des légendes. Fragments du trône céleste de la Divinité, ces pierres-lumière permettent aux chamans de « voir » l'âme des malades qu'ils soignent, et les Negritos de Malacca, en particulier, discernent également dans les cristaux, grâce aux esprits qui y résident, les maladies de leurs patients [14].

Voilà certes un détonateur imprévu de la « bombe informatique » ; mais il est temps de retrouver une « imagerie » plus accessible à nos contemporains.

Fallait-il attribuer à la malice des choses, il y a quelques années, la sortie presque simultanée sur les écrans, en pleine crise américano-européenne du GATT, de Germinal de Claude Berri, et de Jurassic Park de Steven Spielberg, qui passa aux yeux de beaucoup pour une allégorie de la cynique puissance yankee, face à laquelle se dressait le héros de Zola, réveillant la nostalgie des colères populaires. Moyennant une légère mise à jour, Germinal brandissait l'étendard (français) de la révolte contre la perversité « reptilienne » de la Pax Americana qui, à l'instar des « nouveaux dinosaures » rapides et intelligents - tels que les conçoivent désormais les spécialistes - asservissait la planète par la séduction de ces images virtuelles qui dissolvent les fondements de notre monde, et nous mènent à... l'abîme.

Comme pour bien clarifier les choses et situer les enjeux, la clef de cet antagonisme nous est très obligeamment (et paradoxalement) fournie par le diptyque dinosaurien de Michael Crichton : Alan Grant, le héros du Parc jurassique, déclare qu'il « déteste ces foutus ordinateurs », tandis que Le Monde perdu [15] nous offre par le truchement du mathématicien Ian Malcolm, qui apparaît dans les deux livres, un développement beaucoup plus « doctrinal », et qui devrait pleinement satisfaire les contempteurs « laïcs » du mondialisme, encore évolutionnistes, mais déjà moins démocrates au égalitaristes que certains naïfs pourraient l'espérer (les temps changent) :

« [...] Je pense, à titre personnel, que le cyberespace marquera la fin de notre espèce.

« - Ah bon ! Pourquoi ça ?

« - Car ce sera la fin de l'innovation. L'idée d'une interconnexion de la planète entière est synonyme de destruction globale. Tous les biologistes savent que l'évolution la plus rapide s'opère dans un petit groupe isolé. Si on met un millier d'oiseaux sur une île, au milieu de l'océan, ils évolueront très vite. Si on en met dix mille sur un continent, l'évolution est plus lente. Pour ce qui est de notre espèce, l'évolution s'opère en majeure partie par le comportement. Pour nous adapter, nous innovons dans notre comportement. Tout le monde sait que l'innovation n'a lieu que dans un groupe restreint. Trois personnes formant une commission peuvent faire avancer les choses. Si elles sont dix, cela devient plus difficile. À trente, il ne se passe plus rien. À trente millions, cela devient absolument impossible. C'est l'effet des mass media ; ils empêchent quoi que ce soit de se produire. La diffusion massive de l'information étouffe la diversité. Elle rend tous les lieux semblables. [...] Dans cet univers uniformisé ne subsistent que les dix livres, les dix films, les dix disques, les dix idée dont on parle. » Cette uniformisation fatale à la diversité intellectuelle , « notre ressource la plus précieuse », entraînera la sclérose de l'humanité tout entière. « Tout s'arrêtera net. Tout le monde pensera la même chose en même temps. L'uniformité sera totale. »

Au risque de lasser notre lecteur, nous répéterons une fois de plus qu'il n'est nullement question de disculper ce Nouvel Ordre Mondial à direction yankee, dont les tares congénitales, telles qu'elles viennent d'être (partiellement) dénoncées par un auteur de best-sellers, sont intelligibles par tout le monde. Mais c'est cette évidence même, qui devrait en rendre la dénonciation plus suspicieuse et circonspecte qu'elle ne l'est, même chez ceux dont le diagnostic est infiniment plus « affiné » que celui de Malcolm-Crichton. Nous redoutons en effet que ces contempteurs n'y voient, in fine, le Mal absolu. Alors qu'il est d'ores et déjà patent que sa très relative séduction s'évanouira comme un mauvais rêve. Que l'on nous pardonne ce raccourci peu charitable, mais si le plus bêlant et le plus pétitionnaire des « intellectuels de gauche », zélateur exclusif des libertés individuelles et des droits de l'homme, si le plus obtus et le plus manichéen des fondamentalistes antignostiques, si le plus étroit et le plus frileux des nationalistes, replié sur le pré carré, pouvaient sans autre difficulté démasquer l'Adversaire, l'Évangile n'évoquerait pas l'éventualité que les élus eux-mêmes pussent être séduits ! Or la « séduction » exercée par la Grande Prostituée sera si éphémère que les cinq mois durant lesquels les sauterelles de l'Apocalypse (IX, 5) auront le pouvoir de torturer les hommes, doivent s'entendre ad litteram... L'actualité ne nous offre-t-elle pas chaque jour des exemples de la rapidité avec laquelle l'opinion peut se retourner ?...

Cela dit, il est certaines critiques dont l'ambiguïté même semble préparer directement la suite ou qui, en d'autres termes, ne dénoncent la (future) Grande Prostituée que pour faciliter - inconsciemment - le véritable règne antéchristique. Annoncée par la croisade paysanne « anti-McDo » de l'été 1999, conduite par l'omniprésent José Bové, l'opposition à la conférence de l'OMC à Seattle, poussait ainsi le raffinement jusqu'à mettre au premier plan, face au totalitarisme planétaire du « Marché », l'agriculture française, forte de sa « dimension humai-ne », et cristallisant implicitement les aspirations à un « retour à l'ordre naturel », auquel pourraient se rallier les écologistes lato sensu, mais aussi certains nostalgiques de la « révolution nationale ». Nouvelle preuve que les publics les plus opposés se retrouvent parfois autour d'une idée-force, que l'on imposera à la masse des « Consommateurs » en brandissant l'épouvantail de périls réels ou supposés (tels, entre mille autres, les « pics d'ozone » estivaux et les marées noires hivernales). Quant aux intellectuels, on s'adressera à leur « sagesse », comme le faisait un de leurs maîtres à penser, Cornelius Castoriadis, dans un texte posthume publié par Le Monde diplomatique d'août 1998 et intitulé : « Contre le conformisme généralisé. Stopper la montée de l'insignifiance ». Il y appelait ultimement à l'autolimitation de nos désirs, pour éviter la destruction de la planète :« Je pense que nous devrions être les jardiniers de cette planète. Il faudrait la cultiver. La cultiver comme elle est et pour elle-même. Et trouver notre vie, notre place relativement à cela. Voilà une énorme tâche. [...] Or cela est très loin non seulement du système actuel mais de l'imagination dominante actuelle. L'imaginaire de notre époque, c'est celui de l'expansion illimitée, c'est l'accumulation de la camelote - une télé dans chaque chambre, un micro-ordinateur dans chaque chambre -, c'est cela qu'il faut détruire. Le système s'appuie sur cet imaginaire-là. »

Dans ce même registre des prises de position aussi prémonitoires qu'équivoques, nous mentionnerons un autre acteur, aujourd'hui disparu, de la scène économico-politico-médiatique : Jimmy Goldsmith, le financier franco-britannique colistier de Philippe de Villiers lors des élections au Parlement européen de juin 1994, et qui, apparemment «touché par la grâce » (les guillemets sont de rigueur) partait en guerre contre le GATT et le traité de Maastricht, dans un livre d'entretiens très médiatisé intitulé ironiquement Le Piège [16]. I1 y professait des idées que nous qualifierions presque de « guénoniennes », dénonçant en des termes qui ne sont pas sans rappeler en effet La Crise du Monde moderne ou Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, l'illusion funeste sur laquelle sont édifiées les sociétés occidentales :

« Le succès d'une nation ne se mesure pas exclusivement en termes économiques. Le relèvement national n'est pas seulement le résultat de la croissance économique.

« Un des défauts de la culture moderne est qu'elle fait croire que tout problème, quel qu'il soit, est réductible à l'analyse chiffrée et par conséquent peut être mesuré. Lorsque la mesure, plutôt que la sagesse, devient l'outil privilégié, cela peut conduire à de graves erreurs. »

De même J. Goldsmith ne se prive pas de stigmatiser les décisions ubuesques de la bureaucratie européenne, légiférant sur la forme des concombres ou l'empaquetage du lait et, a contrario, il appelle à respecter « les forces, les cultures et les traditions de chaque nation [...] »

De tout cela se dégage l'idée, ou l'espoir, d'un monde nouveau répudiant la bureaucratie centralisatrice, les grandes entreprises monopolistiques, et qui nous épargnerait en outre les terribles dangers du nucléaire : « Nous avons besoin d'une société riche d'une multitude d'artisanats et de petites ou moyennes entreprises couvrant un large spectre d'activité. » La terre, cette « terre qui ne ment pas », délivrée des funestes illusions et des monstruosités de l'agriculture et de l'élevage intensifs engendrant des troupeaux de vaches folles, apporterait l'équilibre à cette société rédimée, en réinstaurant le primat de la qualité des produits, également garante de la préservation de l'environnement et de la stabilité sociale, face à l'actuelle prolifération cancéreuse des mégapoles et à leurs métastases subversives.

Malheureusement, cette esquisse d'un nouvel Âge d'Or pourrait fort bien convenir au véritable avènement antéchristique, dont il ne faut jamais oublier qu'il sera accueilli comme une libération par la grande majorité de nos contemporains, et qu'il usera des formes de séduction les plus subtiles. Le règne de la « grande parodie », répétons-1e après Guénon [17], « ne sera certes plus le "règne de la quantité" ; ce sera au contraire, sous le prétexte d'une fausse "restauration spirituelle", une sorte de réintroduction de la qualité en toutes choses, mais d'une qualité prise au rebours de sa valeur légitime et normale [...]. »

Si l'on nous trouvait par trop injuste à l'égard de « Sir Jimmy » - qui se découvrit pour la circonstance, dans des milieux très « droitistes », d'inattendus zélateurs — nous nous attarderions un peu sur ses conclusions, que les traditionalistes qui l'encensaient n'ont pas plus remarquées que Philippe de Villiers, grand restaurateur de « valeurs » devant l'Éternel, et dont le catholicisme affiché ne s'est pas offusqué des énormités échappées à la plume de son bâilleur de fonds. Pour comble de disgrâce, cette troublante ambiguïté de la péroraison goldsmithienne concerne précisément le domaine spirituel, et mêle comme à l'accoutumée le vrai... et le très contestable : certains aperçus sur la nécessité de préserver les traditions de chaque peuple, la condamnation de l '« impérialisme » occidental (incarné par les États-Unis) rendent la encore un son très guénonien. Il est très vrai que : « Les nations modernes doivent cesser de croire qu'elles sont moralement supérieures parce que leur technologie est plus "avancée". » Il est encore exact que les maux de l'Occident sont dus à la séparation entre la science (censée pouvoir résoudre tous les problèmes) et la religion — séparation dont Descartes et Francis Bacon, en particulier, furent des artisans majeurs. Mais pourquoi donc associer à ces « penseurs » subversifs la tradition platonicienne qui se situe à l'antipode d'une telle philosophie ?

Il est enfin dangereusement ambigu d'affirmer sans autre précision que l'homme ne jouit pas dans l'univers d'un statut privilégié (idée chère à tous les ufologues !). C'est tout à fait exact si l'on se réfère à la Manifestation universelle et à la multiplicité indéfinie des états de l'Être, mais c'est faux si l'on pense à notre univers où l'anthropocentrisme, même s'il ne coïncide pas avec un géocentrisme symboliquement, n'en est pas moins parfaitement fondé. L'humanité terrestre occupe une « position » centrale par rapport aux humanités extra-terrestres – ce qui se traduit l'impossibilité, pour ces dernières, de nous rendre visite, par quelque moyen que ce soit... Si ce statut ontologique privilégié a été fort mal interprété, induisant une domination matérielle particulièrement brutale sur la nature - victime du péché de l'homme comme nous le rappelle saint Paul (Romains, VIII, 18-23) - il ne faut pas en conclure pour autant que le judéo-christianisme est d'essence totalitaire ! A contrario, sous prétexte que les « peuples dits primitifs » et aussi les « bouddhistes et hindouistes traditionnels » entretiennent une « relation d'harmonie » avec la nature, il ne faudrait pas verser dans une sorte de panthéisme ou d'immanentisme implicites. Doctrines qui sont bien sûr aussi radicalement étrangères aux traditions orientales qu'au judéo-christianisme, mais dont la contre-initiation, fermée à toute conception métaphysique, et dont le domaine est en somme celui de l'« Esprit de la Terre », ne peut que tirer un notable avantage dans l'instauration « en douceur » de son règne.

Jimmy Goldsmith était vraisemblablement inconscient des implications pratiques et doctrinales de son livre, mais le succès de ce dernier témoigne trop bien de l'air du temps. Il faut hélas s'accoutumer à cette idée : une légitime (mais incomplète) dénonciation du Nouvel Ordre Mondial peut fort bien préparer l'avènement du... désordre hiérarchisé et sacralisé qui lui succédera. Ne nous y trompons pas, en effet : les formules incantatoires exaltant les « valeur démocratiques » n'appartiennent pas à la liturgie antéchristique !

Dans un registre purement romanesque, l'inépuisable Guerre des Mondes, de Wells, nous fournit une description prophétique de l'opposition entre l'« esprit » du Nouvel Ordre Mondial, et celui de la « résistance ». Description d'autant plus intéressante qu'elle intègre ici, avec les envahisseurs martiens, l'indispensable composante extra-terrestre.

Après le temporaire anéantissement des Terriens, un survivant irréductible, militaire de profession, « l'homme de Putney Hill », anticipe la suite des événements. Stigmatisant d'abord avec une verve dévastatrice la « misérable petite existence » des employés londoniens assimilés à des lapins craintifs — image de la masse des séduits, hypnotisés par les prestiges de la Grande Prostituée — il se met ensuite à vaticiner : « Pour ces gens-là, les Martiens seront une bénédiction : de jolies cages spacieuses, de la nourriture à discrétion ; un élevage soigné et pas de soucis. Après une semaine ou deux de vagabondage à travers champ, le ventre vide, ils reviendront et se laisseront prendre volontiers. Au bout de peu de temps, ils seront entièrement satisfaits. Ils se demanderont ce que les gens pouvaient bien faire avant qu'il n'y ait eu des Martiens pour prendre soin d'eux. […]

« - Très probablement, les Martiens auront des favoris parmi tous ces gens, ils leur enseigneront à faire des tours et, qui sait ? feront du sentiment sur le sort d'un pauvre enfant gâté qu'il faudra tuer. Ils en dresseront, peut-être aussi, à nous chasser. »

Si nous remplaçons les Martiens par les Short Grays, l'ambiance psychologique est parfaitement d'actualité. Prêtons donc une oreille attentive à la suite de la prophétie de l'homme de Putney Hill. Face au totalitarisme insidieux aggravé par la lâcheté et la démission collectives, une seule réponse : la survie d'un noyau conscient et décidé, d'une nouvelle « élite ». « Et nous formerons une troupe d'hommes vigoureux et intelligents, sans nous embarrasser de tous les incapables qui nous viendront. Au large, les faibles ! » Voilà comment, par la... force des choses, tout naturellement, on pourrait en venir à répudier cette idole aux pieds d'argile qu'est devenue la Démocratie. Impuissante à satisfaire les aspirations les plus légitimes de l'humanité, serait-elle un mot vide de sens, seulement propre à assurer l'hypocrite domination de fausses élites corrompues et corruptrices ? La devise gravée au fronton des temples républicains aurait-elle servi de prétexte à l'avènement de cette « Démocratie du Marché » exaltée impudemment par Bill Clinton, comme l'insurpassable idéal du nouveau millénaire ?...

Avant même le « couronnement » de la Femme vêtue de pourpre et d'écarlate, dont la bourgeoisie mercantile partagera, dans une ignoble ivresse, la très fugitive assomption, certains commencent déjà à se poser ces redoutables questions.

Ils ignorent encore qu'une « société secrète » à laquelle l'homme de Putney Hill lui-même n'aurait pas osé rêver, s'apprête à leur apporter une réponse inouïe. C'est avec elle que les choses sérieuses commencent véritablement, puisque les « libérateurs » qui la composent ne sont autres que les soldats de l'Antéchrist...


[1] Cf. National Hebdo, n° 745, 29 octobre-4 novembre 1998.

[2] Un Mythe moderne, op. Cit.

[3] Cf. Pierre Virion, Le Nouvel Ordre du Monde, op. Cit.

[4] Nos « Maîtres » les Extraterrestres, op. Cit.

[5] Voir son... décodage par Louis de Boanergès dans Actualité de la fin des temps, (Publications L. de Boanergès, 1992, t.1).

[6] Il en va de même des traditionalistes français, si l'on en croit Louis Long (« Le polygone inviolable. Maastricht-Schengen-L'immigration. L'Europe et son carcan », Sous la Bannière, n° 74, novembre-décembre 1997) : « Le dispositif Schengen est fondé sur un système informatique baptisé Système d'Information Schengen [5.1.5.]. Ce S.I.S. se divise en deux composants internes qui sont d'une part, une architecture centrale et d'autre part des structures nationales.

« Il n'est pas impossible que le S.I.S. soit un préliminaire à cette marque de la bête dont l'Apôtre saint Jean fait mention dans son Apocalypse. En effet l'architecture informatique de l'espace Schengen repose en réalité sur trois éléments qui sont le S.I.S. universel, composé du S.I.S. central (ou C.-S.I.S.) et des S.I.S. nationaux (ou N.-S.I.S.), soit S.I.S.-N-S.I.S.-C.- S.I.S., communément désignés par l'appellation 6.6.6. »

[7] Cf. Didier Kunz, « "666", le code-barres qui mènerait les Grecs en enfer... » Le Monde 13 juin 1997.

[8] Le Figaro Magazine, 31 octobre 1998.

[9] Cf. Télérama, n° 2282, 945 octobre 1993.

[10] Cf. Télérama, n° 2284, 23-29 octobre 1993.

[11] La Fin des Temps. D'une ère à l'autre, Michel Lafon, 1993.

[12] Cf. Philippe Quéau, Le Virtuel. Vertus et Vertiges, Champ Vallon, 1993.

[13] Le Péril Électronique, L'Âge du Verseau, 1989. Cité par Jacques Bonvin, Triskel, pierre de vie, Éditions Mosaïque, 1997.

[14] Cf. Dictionnaire des Symboles, op. cit. 15. Robert Laffont, 1996.

[16] Fixot, 1993.

[17] Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, op. cit.  

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