[...] On sait que l'extension géographique maximale de l'islam
coïncida avec le khalifat ommeyade de Damas, fondé par le fils d'un des
adversaires les plus acharnés du Prophète. Ses descendants furent « dignes
» de lui, qui professaient un Islam fort douteux, et dont le plus typique
représentant, Wélid II, s'exerçait même à la cible sur le Coran en déclarant :
« Au jour de la résurrection, tu diras au Seigneur : C'est le khalife Wélid qui
m'a mis en lambeaux »... Abd-el-Mélik de son côté, à l'instant où il fut salué
du titre de khalife, ferma ce même Coran qui jusqu'alors ne l'avait jamais
quitté en disant : « Maintenant il faut nous séparer [11] » Il n'est
sans doute pas indifférent que sous le règne de ces mécréants, précisément, la
tradition relative au Mahdi — qui doit rappeler le monde à la Loi divine à la
fin des temps — se soit développée au profit des descendants d'Ali [12],
incarnant la pureté de l'Islam face à ce qui, d'une certaine manière,
préfigurait toutes les errances d'un panislamisme « laïc » s'appuyant
frauduleusement sur une religion elle-même pervertie et « fondamentaliste ».
Certes, puisque les désordres partiels concourent à l'ordre
total, ces contacts un peu brutaux entre Islam et chrétienté ne pouvaient être
exclusivement négatifs (songeons par exemple aux soufis d'Andalousie). Mais la
légitimité fort contestable du khalifat ommeyade n'en explique pas moins le
reflux de la vague islamique, que l'on peut lire comme une sorte de « sanction
» exigée par l'économie providentielle.
Ces quelques considérations permettront de comprendre la
nature exacte de l'action de saint Guillaume de Gellone et de Charlemagne,
s'opposant non certes à l'islam — comme l'attestent les relations privilégiées
de l'empereur et d'Haroun Al-Rachid [13] — mais à certaines influences
véhiculées dans ce contexte précis par les envahisseurs, et qui n'étaient pas «
souhaitées » en France... Nous possédons d'ailleurs à cet égard, du côté
musulman, un témoignage précieux : la « Chronique d’Ibn Habîb »
(Târikh Ibn Habîb), ouvrage
hispano-arabe de la fin du IXe siècle, rapporte que lorsque les Arabes
envahirent l’Espagne wisigothique, un ange interdit à l'émir Moûsâ ibn Noçayr
de franchir les Pyrénées [14].
On conçoit donc la
parfaite légitimité traditionnelle des combats menés par Guillaume. D'ailleurs,
sa légende [15], chantée par la France du XIIe siècle, et qui rayonna à
l'étranger, nous apprend qu'après s'être emparé de son cheval Baucent (dont on précise bien qu'il
était noir et blanc !), il épousa la princesse sarrasine Oriabel, qui lui livra
la cité d’Orange, et que le frère de celle-ci, Rainouart, à la force
prodigieuse et qui jusqu’à la fin voila son identité, apporta au pair de
Charlemagne un concours décisif lors de la bataille des Alyscamps. Dante ne l’oublia
pas, qui le mentionne, au ciel de Mars, en compagnie de Guillaume. […]
________________________
[11] Cf. James Darmesteter, Le Mahdi, Paris, 1885.
[12] Cela ne signifie nullement, nous l'avons dit, que le
Mahdi se manifestera au sein de la tradition islamique, mais seulement que
l'Islam, eu égard à sa fonction spécifique dans l'ordre temporel, est tout
particulièrement concerné par cette haute figure.
[13] Relations qui sont parfaitement illustrées par cet
épisode très symbolique : après le sacre de l'empereur, une ambassade du
khalife abbasside de Bagdad — centre spirituel dont le cycle du Graal
soulignera l'importance — vint lui apporter les clefs du Saint-Sépulcre.
[14]. Cf. Michaël Barry, « La Table Ronde du Roi Arthur et
les Mille et une Nuits », in Les Romans
de la Table Ronde, la Normandie et au-delà..., éd. Charles Corlet,
Condé-sur-Noireau, 1987.
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