Les symboles de l’analogie - extrait

Dans le symbolisme chrétien, cette figure est ce qu’on appelle le chrisme simple ; on la regarde alors comme formée par l’union des deux lettres Ι et Χ, c’est-à-dire des initiales grecques des deux mots Jêsous Christos, et c’est là un sens qu’elle paraît avoir reçu dès les premiers temps du christianisme ; mais il va de soi que ce symbole, en lui-même, est fort antérieur, et, en fait, il est un de ceux que l’on trouve répandus partout et à toutes les époques. Le chrisme constantinien, qui est formé par l’union des lettres grecques Χ et Ρ, les deux premières de Christos, apparaît à première vue comme immédiatement dérivé du chrisme simple, dont il conserve exactement la disposition fondamentale, et dont il ne se distingue que par l’adjonction, à la partie supérieure du diamètre vertical, d’une boucle destinée à transformer l’Ι en Ρ. Cette boucle, ayant naturellement une forme plus ou moins complètement circulaire, peut être considérée, dans cette position, comme correspondant à la figuration du disque solaire apparaissant au sommet de l’axe vertical ou de l’« Arbre du Monde » ; et cette remarque revêt une importance particulière en connexion avec ce que nous aurons à dire par la suite au sujet du symbole de l’arbre[1].

Il est intéressant de noter, en ce qui concerne plus spécialement le symbolisme héraldique, que les six rayons constituent une sorte de schéma général suivant lequel ont été disposées, dans le blason, les figures les plus diverses. Que l’on regarde, par exemple, un aigle ou tout autre oiseau héraldique, et il ne sera pas difficile de se rendre compte qu’on y trouve effectivement cette disposition, la tête, la queue, les extrémités des ailes et des pattes correspondant respectivement aux pointes des six rayons ; que l’on regarde ensuite un emblème tel que la fleur de lis, et l’on fera encore la même constatation. Peu importe d’ailleurs, dans ce dernier cas, l’origine historique de l’emblème en question, qui a donné lieu à nombre d’hypothèses différentes : que la fleur de lis soit vraiment une fleur, ce qui s’accorderait en outre avec l’équivalence de la roue et de certains symboles floraux tels que le lotus, la rose et le lis (ce dernier, du reste, a en réalité six pétales), ou qu’elle ait été primitivement un fer de lance, ou un oiseau, ou une abeille, l’antique symbole chaldéen de la royauté (hiéroglyphe sâr), ou même un crapaud [2], ou encore, comme c’est plus probable, qu’elle résulte d’une sorte de « convergence » et de fusion de plusieurs de ces figures, ne laissant subsister que leurs traits communs, toujours est-il qu’elle est strictement conforme au schéma dont nous parlons, et c’est là ce qui importe essentiellement pour en déterminer la signification principale.

D’autre part, si l’on joint les extrémités des six rayons de deux en deux, on obtient la figure bien connue de l’hexagramme ou « sceau de Salomon », formée de deux triangles équilatéraux opposés et entrelacés ; l’étoile à six branches proprement dite, qui en diffère en ce que le contour extérieur seul est tracé, n’est évidemment qu’une variante du même symbole. L’hermétisme chrétien du moyen âge voyait entre autres choses, dans les deux triangles de l’hexagramme, une représentation de l’union des deux natures divine et humaine dans la personne du Christ ; et le nombre six, auquel ce symbole se rapporte naturellement, a parmi ses significations celles d’union et de médiation, qui conviennent parfaitement ici [3]. Ce même nombre est aussi, suivant la Kabbale hébraïque, le nombre de la création (« l’oeuvre des six jours » de la Genèse, en relation avec les six directions de l’espace), et, sous ce rapport encore, l’attribution de son symbole au Verbe ne se justifie pas moins bien : c’est en somme, à cet égard, comme une sorte de traduction graphique de l’omnia per ipsum facta sunt de l’Évangile de saint Jean.

_________________________________________

[1] Certaines formes intermédiaires montrent par ailleurs une parenté entre le chrisme et la « croix ansée » égyptienne, ce qui peut d’ailleurs être facilement compris par ce que nous avons dit plus haut à propos de la croix à trois dimensions ; dans certains cas, la boucle du Ρ prend aussi la forme particulière du symbole égyptien de la « boucle d’Horus ». Une autre variante du chrisme est représentée par le « quatre de chiffre » des anciennes marques corporatives, dont les significations multiples demandent d’ailleurs une étude spéciale [voir Le quatre de chiffre]. Signalons encore que le chrisme est parfois entouré d’un cercle, ce qui l’assimile aussi nettement que possible à la roue à six rayons.

[2] Cette opinion, si bizarre qu’elle puisse paraître, a dû être admise assez anciennement, car, dans les tapisseries du XVe siècle de la cathédrale de Reims, l’étendard de Clovis porte trois crapauds. Il est d’ailleurs fort possible que, primitivement, ce crapaud ait été en réalité une grenouille, animal qui, en raison de ses métamorphoses, est un antique symbole de « résurrection », et qui avait gardé cette signification dans le christianisme des premiers siècles.

[3] Dans le symbolisme extrême-oriental, six traits autrement disposés, sous la forme de lignes parallèles, représentent pareillement le terme moyen de la « Grande Triade », c’est-à-dire le Médiateur entre le ciel et la terre, l’« Homme véritable » unissant en lui les deux natures céleste et terrestre.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.