Au royaume de l'illusion

Le moment est venu de rappeler une vérité oubliée : l'homme, « créé à l'image de Dieu », est un microcosme qui récapitule en lui l'univers entier. Sous peine de succomber à une nouvelle illusion, il importe donc de comprendre la correspondance exacte entre le processus apparemment extérieur que nous avons décrit jusque-là, et notre psychophysiologie.

Comme l'écrit Guénon [1], commentant la « maladie de l'angoisse » qui affecte nombre de nos contemporains, tant que l'être « se considère comme entouré par un "monde extérieur", il lui est impossible de se mettre entièrement à l'abri des atteintes de celui-ci. La peur ne peut être causée que par l'existence d'autres êtres, qui, en tant qu'ils sont autres, constituent ce "monde extérieur", ou d'éléments qui, bien qu'incorporés à l'être lui-même, n'en sont pas moins étrangers et "extérieurs" à sa conscience actuelle ; mais l'"autre" comme tel n'existe que par un effet de l'ignorance, puisque toute connaissance implique essentiellement une identification ; on peut donc dire que plus un être connaît, moins il y a pour lui d'"autre" et d'"extérieur", et que, dans la même mesure, la possibilité de la peur, possibilité d'ailleurs toute négative, est abolie pour lui [...]

Cette « extériorité » trompeuse, cette scission de notre conscience entre objectif et subjectif, n'est que la conséquence de notre déchéance, de la limitation « égoïque » de notre vision du monde. Mais si notre âme individuelle se distingue aujourd'hui de l'âme universelle — ou de l'état subtil envisagé dans sa totalité — elle n'en est pas pour autant substantiellement séparée. Sinon, notre perception de la réalité matérielle elle-même serait irrémédiablement inadéquate, et les innombrables visions individuelles du monde sensible ne pourraient coïncider en une description commune, aussi fragmentaire soit-elle. Les prérogatives « adamiques » de l'homme-microcosme impliquent que le sujet « contienne » au moins virtuellement l'univers physique, ce que traduit très concrètement la structure de nos facultés cognitives. Ainsi, selon la cosmologie hindoue, telle qu'elle s'exprime dans le Sankhya, les éléments corporels ou bhutas correspondent à un nombre égal de « déterminations essentielles » ou tanmâtras, propres au sujet connaissant, et ces deux groupes issus de la materia prima de notre monde sont semblablement « réfractés » par le prisme d'ahankâra, la conscience individuelle, qui les « répartit » entre les pôles objectif et subjectif du monde manifesté [2]. Mais cette discrimination ponctuelle n'empêche évidemment pas les apparences sensibles d'être transposables dans le psychisme individuel. Cette abolition, consciente ou non, des frontières entre le « dedans » et le « dehors », donne la clef de représentations « subjectivement objectives », comme celles des anges, des démons... et des esprits des éléments. C'est pourquoi A.K. Coomaraswamy [3] souligne que la « caverne » et le « trésor caché » chers à tous les folklores, sont aussi une image de la Divinité en nous, demandant à être « excavée » et « délivrée » des gardiens – les forces psychiques inférieures – qui en interdisent l’approche. Car tel est bien le véritable enjeu.

Ce bref rappel de quelques réalités traditionnelles va nous permettre d'aborder plus sereinement les modalités techniques de la supercherie extra-terrestre. Ainsi, le transfert dans l'état subtil des éléments constitutifs du corps physique — tel que nous l'avons envisagé plus haut, à la fois en mode « glorieux » et en mode « infernal » suffit à expliquer les enlèvements par les « extra-terrestres ». Mais en dehors même des manipulations effectuées par certaines entités — tels ces êtres inorganiques » rencontrés par Carlos Castaneda, qui déplacent le « point d'assemblage » de leurs proies pour les attirer dans les bas-fonds du monde psychique — des expérimentateurs irresponsables peuvent jouer à cet égard les apprentis-sorciers. Les occultistes qui s'essaient à la « sortie en astral », par exemple, ne mesurent pas le danger d'un exercice contre lequel proteste à juste raison le bon peuple, qui préfère avoir « l'âme chevillée au corps ». Tout aussi irresponsables sont les spirites, qui peuvent même se vanter d'avoir joué un rôle non négligeable dans l'ouverture de certaines brèches, de certaines fissures de la Grande Muraille, livrant passage à des forces incontrôlées et accroissant d'autant le déséquilibre général.

Déjà, dans la revue Le Lotus de mars 1889, citée par Guénon [4], un psychiste, l'ingénieur Donald Mac-Nab, soulignait la possibilité de matérialiser dans une séance spirite « l'identité physique d'une personne éloignée, en rapport psychique avec le médium. Alors, si on agit maladroitement, on peut tuer cette personne. Bien des cas de mort subite peuvent se rapporter à cette cause. » (Remarque dont on ne s'étonnera pas outre mesure si l'on sait que le spiritisme prenait à l'époque les proportions d'une véritable pandémie.) Et le même auteur précise plus loin que la personne qui assiste ainsi « psychiquement » à la séance n'en a généralement pas conscience, mais qu'« elle éprouve une sorte d'absence ou d'abstraction. Ce cas est moins rare qu'on ne pense. » Ce véritable exemple de bilocation n'implique aucune contradiction entre la présence simplement psychique et la manifestation visible de l'individualité ainsi « évoquée », puisque le corps subtil est susceptible de plusieurs degrés de matérialisation, comme l'indiquent explicitement de nombreuses traditions [5].

On objectera peut-être à ces mises en garde que don Juan lui-même faisait « basculer » à volonté son disciple Castaneda dans d'autres états de conscience. Mais, outre que le procédé était parfaitement maîtrisé, il revêtait une fonction propédeutique – Castaneda explorant ainsi divers prolongements subtils de l'état humain, qualitativement très différents. Rien de tel chez les Occultistes et les spirites qui, trop évidemment, ne savent pas ce qu'ils font, ni où ils vont… (Rappelons à ce propos, avec Guénon, que de nombreux exemples de bilocation sont signalés dans les vies de saints, mais aussi dans les histoires de sorciers — ce qui devrait nous dissuader d'accorder a priori une valeur « spirituelle » aux phénomènes plus ou moins extraordinaires, de quelque nature qu'ils soient.)

S'agissant toujours de ce dédoublement qui concerne la composante psychique de l'individu, voici une autre difficulté apparente : certains « ravis », nous l'avons vu, conservent une trace matérielle de leur expérience, telle que cicatrice ou implant. En fait, l'existence, soulignée à l'instant, de différents degrés de matérialisation du corps subtil (douze exactement, croyons-nous savoir), lui permet non seulement de transmettre certains traumatismes au corps « grossier » (les troubles dits « psychosomatiques » n'ont pas d'autre cause) mais encore de ramener à l'état de veille des éléments matériels rencontrés lors de la phase de dédoublement. Le premier cas a été abondamment illustré au cours des siècles par ces pittoresques histoires de lycanthropes qui, touchés par quelque chasseur dans leur modalité « animale », gardaient, après leur retour à la forme humaine, cette blessure qui les dénonçait. (Puisque aussi bien don Juan, après Guénon, nous a confirmé la possibilité pour le « corps d'énergie », de revêtir toutes les apparences...) Quant à la seconde éventualité, nous connaissons personnellement deux témoins dignes de foi qui - en dehors de tout contexte « extra-terrestre » - ont ramené de voyages nocturnes « oniroïdes » en des lieux identifiés par eux mais beaucoup trop éloignés pour leur être accessibles physiquement, des indices matériels irréfutables. Enfin, il est un cas extrême de manipulation où il ne saurait même plus être question de bilocation : celui du « transport » vécu par de nombreux contactés de bonne foi. C'est alors l'individu tout entier, dans ses modalités subtile et corporelle (celle-ci se résorbant temporairement dans celle-là lors du « voyage ») qui est enlevé par d'occultes ravisseurs, avant d'être relâché en un lieu plus ou moins éloigné de celui de la rencontre. À l'image de certaines sorcières dans la nuit des anciens sabbats...

Ajoutons que ces rapts, très souvent, n'affectent pas seulement la dimension spatiale, mais le continuum spatio-temporel lui-même, qui, dans l'état subtil, revêt évidemment des modalités différentes. Selon la pertinente formule de René Alleau, qu'il suffit ici de transposer légèrement pour l'adapter à notre cas : le temps mythique coule parallèlement au temps historique, mais à un autre rythme. Même ceux qui ne s'intéressent pas aux extra-terrestres connaissent ces vieilles légendes dont le héros, transporté dans « un autre monde », retrouve accablés par les ans... ou même ne retrouve pas, les proches qu'il a quittés il y a quelques heures seulement (du moins le croit-il) dans la fleur de l'âge.

Reste l'aspect le plus scabreux des enlèvements : les rapports sexuels avec les extra-terrestres. Eu égard à la nature véritable et à la « qualité » de ces derniers, de quoi pourrait-il bien s'agir, sinon d'incuba et de succubat ?... Et nous retrouvons ici sans surprise excessive le sulfureux et prophétique Montfaucon de Villars qui, par la bouche du comte de Gabalis, dénonce l'erreur des Pères de l'Église et des « mauvais Cabalistes » (« comme tous les Juifs sont ignorans ») prenant pour des anges déchus les « Enfants d'Eloym » qui « avoient recherché le commerce des Filles » dans le louable dessein de s'immortaliser. Traduction euphémique, peut-on penser, des aspirations vampiriques de ces entités de l'abîme dont les indicibles « embrassemens » évoquent d'autant mieux une parodie d'androgynat, que les « sages », amateurs de « voluptés Philosophiques », doivent impérativement renoncer aux femmes et à leurs « foibles appas.

Mais non, se récrieront les esprits éclairés, tout cela n'est qu'amusant, et il est hautement déraisonnable de dramatiser ce libertinage pseudo-hermétique, ce conte philosophique dont on voit mal quel écho il pourrait trouver dans la « sensibilité » contemporaine. Eh bien, écoutons la vertigineuse confession de Whitley Strieber, confronté à sa... sauterelle apocalyptique [6], et qui confirme en même temps d'éclatante façon la véritable nature des entités, issues d'abysses subconscients :

« Je la trouvais incontestablement attirante. En un certain sens, je pensais que je pouvais aimer cette chose, presque autant que je pourrais aimer ma propre anima. Je ressentais pour elle les mêmes sentiments de terreur et de fascination que j'aurais pu ressentir pour quelqu'un me regardant depuis les profondeurs de mon inconscient.

[...] Je pouvais sentir la présence de cette autre personne en moi ; ce qui était aussi troublant que curieusement sensuel. […] comment nous connaîtraient-ils si bien s'il ne s'agissait pas d’une part de nous-même ? »

Mais le comte de Gabalis nous en a également avertis sur le mode allégorique, ou plutôt, il a involontairement trahi ses «alliés » : il ne s'agit pas seulement pour eux de « devenir immortels » ; il s'agit en contrepartie pour les humains censément promis aux flammes infernales, de rendre leur âme mortelle par le commerce des sylphes ou des sylphides, sous le fallacieux prétexte d'échapper ainsi au châtiment posthume. Écoutons derechef Strieber, analysant les sentiments de soumission et d'amour que lui inspirait sa visiteuse insectiforme - et laissant par là même entrevoir la possibilité d'un véritable suicide psychique : « En sa présence, je n'avais pas la moindre liberté personnelle. Je ne pouvais parler ni bouger comme je le souhaitais.

« Je me demandai devant le feu si ce n'était pas là une sorte de soulagement. [...] Si je pouvais renoncer à mon autonomie au profit de quelqu'un d'autre, je pourrais éprouver non seulement de la peur mais encore ressentir un profond sentiment de repos. Ce serait un peu comme mourir que de s'abandonner ainsi, et se trouver avec elle, c'était également un peu comme mourir » (C'est nous qui soulignons.) Peut-on être plus tragiquement explicite, et céder de façon plus exemplaire à la fascination de l'abîme ?

Et pourtant, une autre intuition de Strieber semblerait de nature à combattre cette fascination. De ses sinistres rencontres il retire en effet (et avec lui bien d'autres abductees) l'impression que les visiteurs constituent une sorte d'entité collective régie par un « cerveau » unique dont ils seraient les exécutants robotisés. (George C. Andrews [7] dit exactement la même chose, tout en identifiant ce cerveau unique, on s'en souvient, à celui de la « Reine Araignée »...). Cet état peu enviable susciterait chez eux un sentiment de peur face à l'indépendance des humains, qui compenseraient ainsi leur infériorité technologique par une supériorité ontologique garante de leur délivrance finale.

Toujours dans le contexte de la mythologie soucoupiste, cela pourrait parfaitement s'accorder avec l'hypothèse de von Neuman, selon qui toute civilisation spatiale technologiquement avancée devait être amenée, pour explorer les systèmes solaires voisins, à expédier en reconnaissance dans des vaisseaux interstellaires, des robots autoreproducteurs, programmés pour choisir des planètes éventuellement habitables par leurs maîtres extra-terrestres. Ce statut de robot expliquerait le comportement des Petits Gris, et leur faculté autoreproductrice justifierait — outre leurs actuelles manipulations biologiques — leur aspect humanoïde, puisqu'ils sont censés avoir trouvé sur Terre en des temps reculés, le matériel génétique de base nécessaire à leur duplication. Ils auraient ainsi « évolué »selon le même schéma que nous. Ce processus, bien que foncièrement inquiétant, serait néanmoins suffisamment neutre sur le plan éthique (tout dépendant, in fine, de la qualité des Maîtres) pour convenir à la phase d'attente, précédant l'accélération ultime du scénario. En d'autres termes, cette illusion au second degré permettrait de séduire assez de monde pour les nécessités de la première phase, celle du faux règne antéchristique... En tout cas, le témoignage de Strieber s'inscrit parfaitement dans ce cadre interprétatif :

« Je les ai vus de près, comme des êtres vivants. Et ce qui m'a le plus frappé chez eux, c'est qu'ils semblaient se mouvoir selon une sorte de chorégraphie... comme si chaque action de chaque être indépendant était décidée ailleurs et transmise ensuite à chaque individu.

« Je veux ici revenir à l'idée qu'il pourrait s'agir d'une espèce de ruche. Si c'est le cas, ils pourraient constituer un unique esprit avec des millions de corps : une créature brillante mais dépourvue de la rapidité de l'homme indépendant et à l'esprit vif. »

L'archétype, en somme, du totalitarisme ! En réalité, ceci nous rappelle invinciblement la description par don Juan des êtres inorganiques « assemblés comme les cellules de notre corps ». On pourrait également, à cet égard, multiplier les rapprochements mythologiques, mais nous n'en retiendrons qu'un, particulièrement significatif : l'épisode de l'expédition des Argonautes dans lequel Jason, semant les dents d'un dragon, fait naître de la terre des guerriers qui s'entretuent promptement après qu'il a jeté au milieu d'eux un énorme disque de pierre. Comme l'écrit Yves Dacosta [8], ces guerriers « appartiennent à une catégorie particulièrement grossière et inculte de génies souterrains. Mus par un automatisme aveugle, ils paraissent mécaniques [...]. En face du héros, qui a la grandeur d'un individu solitaire et unique, ils interviennent sous la forme d'une multitude impersonnelle. Tous ces traits incitent à voir en eux le symbole des penchants instinctifs, sans cesse revivifiés par l'inertie de la matière, qui viennent combattre l'initiation. Dans le monde apparent, opposé au monde vrai, ces puissances hostiles s'autodétruisent dès que le héros est arrivé à conjurer leur menace [...]. »

Mais ces forces instinctives, profitant de notre actuelle déchéance, peuvent aussi nous investir totalement ; et les hommes de fer jaillissant des sillons tracés par Jason préfigurent alors les hommes de... l'âge de fer à l'âme endurcie, nés des dents du dragon - symbole d'agressivité, de volonté de puissance. N'ayant d'autre moteur que l'ambition consubstantielle à un individualisme forcené (ombre portée de l'autonomie et de la liberté du héros), leur destin les pousse à s'entretuer jusqu'au dernier. Puisque la matière est un principe de division.

Le mensonge extra-terrestre n'est qu'un déguisement risible jeté sur ces incontestables réalités psychiques qu'il nous faut encore approfondir. C'est toujours Guénon qui, par analogie, nous fournit l'explication « technique » de cette robotisation des Petits Gris, tout en nous confirmant encore le caractère totalement illusoire de la frontière séparant l'objectif et le subjectif. À propos de la nature essentiellement symbolique des personnifications propres à la magie occidentale (et au folklore...), il écrit [9] qu'entre l'appel et le renvoi des forces subtiles qu'il a captées, le magicien peut prêter à celles-ci « une sorte de conscience, reflet ou prolongement de la sienne propre, qui leur constitue comme une individualité temporaire ; et c'est cette individualisation factice qui, à ceux que nous appelons des empiriques et qui appliquent des règles incomprises, donne l'illusion d'avoir affaire à des êtres véritables. Le magicien qui sait ce qu'il fait, s'il interroge ces pseudo-individualités qu'il a lui-même suscitées aux dépens de sa propre vitalité, ne peut voir là qu'un moyen de faire apparaître, par un développement artificiel, ce que son "subconscient" contenait déjà à l'état latent [...]. » C'est très exactement ce qu'explique don Juan à Castaneda à propos de cette force impersonnelle venue du « royaume des êtres inorganiques », qui se manifeste comme une voix, et est même susceptible de se matérialiser :

« Le problème avec l'émissaire de rêver [ainsi les « sorciers » désignent-ils cette force] est qu'il ne peut dire que ce que le sorcier sait déjà ou est supposé savoir, s'il vaut son pesant d'or. […] » Et encore : « [...] Ses déclarations étaient exactes, et ce n'est que toi qui les a prises pour des révélations. L'émissaire n'a simplement fait que reprendre ce que tu savais déjà [10]. »

Moyennant une indispensable transposition - le magicien devenant par exemple une puissante organisation occulte - on peut parfaitement concevoir la manipulation et là aussi l'individualisation factice (plus affirmée encore que celle induite par le prisme de la perception ordinaire), des forces hantant les bas-fonds du psychisme cosmique - assimilés symboliquement aux entrailles de la terre - et du subconscient humain. Car, répétons-le encore, l’« extériorité » des forces et des entités concernées est la conséquence d'une illusion d'optique de notre conscience « excentrée »- nous qui sommes relégués, en ces temps de la Fin, à la périphérie de notre état d'existence.

La « réalité illusoire » des enlèvements et de leurs à-côtés étant ainsi précisée, il convient de revenir sur l'hypnose qui les met au jour, d'une façon plus trompeuse encore. Très souvent en effet, les terribles expériences des abductees sont partiellement ou totalement oblitérées par l'« amnésie salvatrice » chère aux psychiatres, et il faut censément exhumer du gouffre protecteur de l'oubli ce missing time, ce « temps manquant », ce hiatus plus ou moins prolongé, ce « trou de mémoire » d'où surnagent comme des débris d'épaves quelques souvenirs erratiques ou même seulement un malaise diffus. Cette amnésie dont souffrent les « ravis » n'étonnera pas, une fois de plus, les lecteurs de Castaneda, qui savent que toutes ses expériences vécues dans la « seconde attention », c'est-à-dire dans un état de conscience inhabituel où le plongeait don Juan, furent longtemps dissociées de son existence ordinaire, et que les personnages, bien réels et « terrestres », qu'il y fréquentait, lui étaient totalement étrangers dans « le monde de la vie quotidienne ».

Mais dans le cas des contactés, c'est seulement du subconscient qu'il s'agit. De fait, Guénon nous rappelle [11] que, d'une façon générale, l'« on est fort loin de connaître toutes les possibilités de l'être humain : chacun de nous peut être en rapport, par cette partie obscure de lui-même, avec des êtres et des choses dont il n'a jamais eu connaissance au sens courant de ce mot, et il s'établit là d'innombrables ramifications auxquelles il est impossible d'assigner des limites définies. »

 Cela étant, on conçoit qu'en dehors de sa fonction strictement remémorative (ou supposée telle), l'hypnose - eu égard à la co-plexité du scénario extra-terrestre - permette d'assurer un « suivi » du contacté. Étrange et prémonitoire coïncidence : la première utilisation de cette technique au XIXe siècle par un psychiatre genevois, le professeur Flournoy, se traduisit par un livre intitulé Des Indes à la planète Mars, dans lequel le praticien avait rassemblé les « souvenirs » d'un de ses sujets, qui prétendait avoir vécu diverses expériences sur Terre et ailleurs. Le crédit que l'on pouvait a priori accorder à l'hypnose « thérapeutique » s'en trouve quelque peu ébranlé !

Elizabeth Loftus, élue en 1997 présidente de l'American Psychological Society, commente en ces termes le refus, par nombre d'États américains, des témoignages fondés sur l'hypnose [12] : « La recherche montre en effet de manière très convaincante que l'hypnose crée un état de haute suggestibilité pendant lequel des souvenirs peuvent être amplifiés, fixés ou tout simplement implantés dans l'esprit d'une personne [...] Au cours de mes expériences, conduites sur des milliers de sujets pendant plus de deux décennies, j'ai modelé la mémoire des gens [...]. J'ai été capable d'implanter des faux souvenirs dans l'esprit des gens, leur faisant croire à l'existence de personnages qui n'avaient jamais existé ou à des événements qui ne s'étaient jamais produits. »

Guénon nous a depuis longtemps expliqué [13] le mécanisme de cette trop fameuse « régression de la mémoire » : les sujets hypnotiques employés dans ces expériences « ne font rien d'autre que de refléter toutes les idées qui leur sont suggérées volontairement ou involontairement. Il suffit que l'expérimentateur pense à une théorie, qu'il l'envisage comme simplement possible à tort ou à raison, pour que cette théorie devienne chez le sujet, le point de départ de divagations interminables ; et l'expérimentateur accueillera naïvement comme une confirmation ce qui n'est que l'effet de sa propre pensée agissant sur l'imagination "subconsciente" du sujet, tant il est vrai que les intentions les plus "scientifiques" n'ont jamais garanti personne contre certaines causes d'erreur. » En effet, écrit encore Guénon, entre les phénomènes du rêve et ceux de l'état hypnotique, l'unique différence, « c'est que, dans l'état hypnotique, la conscience du sujet se trouve en communication avec une autre conscience individuelle, celle de l'expérimentateur, et qu'elle peut s'assimiler les éléments qui sont contenus dans celle-ci, au moins dans une certaine mesure, comme s'ils ne constituaient qu'un de ses propres prolongements. C'est pourquoi l'hypnotiseur peut fournir au sujet certaines des données qu'il utilisera dans son rêve, données qui peuvent être des images, des représentations plus ou moins complexes, ainsi que cela a lieu dans les expériences les plus ordinaires, et qui peuvent être aussi des idées, des théories quelconques [ ...], idées que le sujet s'empresse d'ailleurs de traduire également en représentations imaginatives ; et cela sans que l'hypnotiseur ait besoin de formuler verbalement ces suggestions, sans même qu'elles soient aucunement voulues de sa part. »

Certes, le phénomène des enlèvements ne saurait évidemment se réduire à une simple suggestion hypnotique, mais l'on comprend maintenant à quel point cette technique est susceptible d'aider les contactés à jouer leur rôle. Car, dans le cas qui nous intéresse, l'hypnotiseur lui-même peut n'être pas plus responsable que le médium dans certaines séances spirites. Il suffit que le sujet soit replongé dans cet état hypnoïde que les spirites anglo-saxons appellent trance, pour que les véritables manipulateurs reprennent, à distance, le contrôle direct des opérations.

Ouvrons ici une parenthèse : cette mise en œuvre particulièrement suspecte de l'hypnose ne « bénéficie » pas aux seuls extraterrestres. Depuis une dizaine d'années, une polémique très médiatisée agite les États-Unis à propos de prétendues réminiscences suscitées selon le modus operandi qui nous est désormais familier, et qui intervient ici dans le cadre plus général de « psychothérapies » et de « cures » psychanalytiques. Il s'agit de souvenirs d'inceste, d'abus sexuels subis pendant l'enfance, sur lesquels viennent se greffer, de plus en plus souvent, des souvenirs de rites sataniques. Ces exhumations morbides n'ont là encore rien d'inédit puisque l'inventeur du syndrome n'est autre que Sigmund Freud qui, dès les années 1890, affirmait que l'hystérie et plus généralement les névroses avaient pour origine le souvenir réprimé d'un attentat sexuel subi durant l'enfance. Cela avant de réviser son opinion (seulement sous la pression du milieu, assurent certains), et de s'orienter vers le complexe d'Œdipe[14]... Quoi qu'il en soit, une actualité dont on a encore difficilement idée en Europe, se nourrit de procès abominables opposant parents et enfants, dont certains ont conduit à de tragiques erreurs judiciaires.

Dans ce climat de folie collective dont, selon certaines sources, seraient frappés au moins un million de Nord-Américains, toute personne sensée s'efforçant courageusement de faire la part des choses, comme Elizabeth Loftus, ne peut qu'être l'objet de réactions non moins absurdes :

« Une lettre anonyme m'accuse de collaboration avec des satanistes. "Considérez que votre travail équivaut à nier l'existence des camps d'extermination pendant la Seconde Guerre Mondiale", conclut la même lettre. »

Une question hante, bien sûr, les gens raisonnables : d'où ces souvenirs peuvent-ils bien venir ? De la même source, selon toute vraisemblance, que la supercherie extra-terrestre. Et à cet égard, si la destruction de la cellule familiale, et l'aggravation du déséquilibre général qui en résulte, ne requièrent pas de longs commentaires, la révélation cauchemardesque d'une toile d'araignée sataniste tissée sur l'Amérique pourrait bien nous intéresser plus directement. On ne tardera sans doute pas, en effet, à établir un lien entre cette ombre géante et la première phase du scénario extra-terrestre, qui met en scène les Short Grays... et qui a déjà programmé, nous l'avons vu, sa propre diabolisation.

Face à la logique de l'imposture, subtile, patiente et méthodique, l'évidence d'un plan une nouvelle fois s'impose. Nous avons déjà désigné la « contre-initiation » comme la seule organisation apte à le concevoir et à le mettre en œuvre, et l'on comprendra bientôt pourquoi. Ne nous laissons pourtant pas abuser par les apparences : le scénario subversif doit moins à la « géniale » perversité d'un cénacle occulte poursuivant un dessein multimillénaire de domination mondiale, qu'à la fatalité du déclin, à cet obscurcissement spirituel qui, à un certain stade, revêt inéluctablement le visage du mensonge. Ténébreux mystère dont les hiérophantes présumés sont en fait les plus mystifiés des mystificateurs. Ce qui ne les empêche pas d'avoir essentiellement fondé leur pouvoir de suggestion sur une contrevérité dont eux-mêmes ne sont pas dupes : l'idée du Progrès et de l'Évolution.

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[1] Initiation et Réalisation spirituelle, Éditions Traditionnelles, 1967.

[2] Cf. Titus Burckhardt, « Cosmologie et Science moderne », Études Traditionnelles, janvier-février 1965, et Alchimie. Sa signification et son image du monde, Thoth, 1974.

[3] La Doctrine du Sacrifice, Dervy, s.d. (1978).

[4] L'Erreur spirite, op. cit.

[5] On lira à ce sujet d'intéressants développements dans : Henry Corbin, Terre céleste et corps de résurrection, Buchet/Chastel, 1960.

[6] Communion, op. cit.

[7] Extra-Terrestrial Friends and Foes, op. cit.

[8] Initiations et sociétés secrètes dans l'antiquité gréco-romaine, Berg International, 1991.

[9] L'Erreur spirite, op. cit.

[10] Carlos Castaneda, L'Art de rêver, op. cit.

[11] L'Erreur spirite, op. cit.

[12] Elizabeth Loftus et Katherine Ketcham, Le Syndrome des faux souvenirs et le mythe des souvenirs refoulés, Exergue, 1997.

[13] L'Erreur spirite, op. cit.


[14] Cf. Harriet Coles, « Sigmund Freud sur la sellette », Le Monde, 10 octobre 1997.

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